La Biennale de Venise en 7 expositions incontournables
Sous l’intitulé « Foreigners Everywhere », Venise accueille la 60e Biennale jusqu’à la fin du mois de novembre. Focus vous guide parmi les incontournables de la plus grande foire d’art du monde.
Un personnage grandeur nature porte sur son dos un filet rempli d’objets divers, Atlas anonyme dans un monde parcouru du flux des migrants. Au-dessus de lui, un néon forme l’inscription « Foreigners Everywhere« . Non, l’entrée en matière proposée par Adriano Pedrosa, commissaire brésilien de cette 60e Biennale de Venise et le premier directeur artistique latino-américain, n’est pas des plus subtiles. Mais comment la plus grande foire d’art du monde -qui a accueilli lors de sa dernière édition un nombre record de 800 000 visiteurs payants- aurait-elle pu commencer autrement que par l’œuvre lumineuse du collectif italien Claire Fontaine qui donne son titre à l’événement?
Le thème principal de cette édition: les migrations, et l’écologie, et le colonialisme, et le Sud global, et l’homosexualité, parmi d’autres. Une 60e édition qui n’est pas un grand cru et dont la sélection officielle, en voulant plus que jamais remettre en question les notions de « frontières » et de « pays », attire ironiquement encore plus l’attention sur les différents pavillons nationaux. Parmi ceux-ci, plusieurs valent tout de même la visite. Comme celui du Liban, où Monira Al Solh propose une installation à connotation féministe sur le mythe d’Europe. Ou celui de l’Australie qui a remporté le Lion d’or pour la première fois, avec un hommage aux morts indigènes.
En raison de la guerre dévastatrice à Gaza, le pavillon israélien a suscité la polémique avant même l’ouverture de l’événement. Il a fermé ses portes au premier matin des journées d’avant-première. L’artiste Ruth Patir avait appelé à un cessez-le-feu et à un accord sur la libération des otages par le biais d’une affiche sur la vitrine. Trop peu et trop hypocrite, ont pensé les activistes pro-palestiniens qui ont ensuite dispersé des tracts: « No Death in Venice. No to the genocide Pavilion. »
Les géants et les géantes qui remplissent le pavillon belge ne semblaient pas se soucier de l’agitation. Ou ils ne le pouvaient pas l’entendre, à cause des tambours de la fanfare qui résonne à fond de balle dans les haut-parleurs. Ils s’appellent Dame Nuje Patat, Edgar l’Motard et Erasmus et sont réunis là à l’invitation de Petticoat Government, un collectif artistique qui a emprunté des géants existants à des troupes folkloriques de Belgique, de France et du Pays basque espagnol. Avant d’arriver à Venise, ils se sont rendus en Italie via le Col di Resia et, en 2025, ils retourneront à Charleroi et à Dunkerque. Leur présence à la Biennale est donc une étape d’un voyage/performance transfrontalier. Le concept est malin et la mise en avant de la culture populaire mérite certainement un roulement de tambour, mais cela n’enlève rien au fait que, visuellement, le pavillon reste un peu décevant.
Mais de nombreux autres artistes belges émaillent cette Biennale. Tom Herck, de sa propre initiative (et à ses frais), a installé un squelette géant qui repêche des dinosaures dans le Grand Canal. Koen Van Mechelen présente un enfant portant une ancre dans l’étang des Giardini et accoste à l’Arsenale avec une arche de Noé où figurent Naomi Campbell et le Mahatma Gandi, comme une réflexion sur un monde en crise (climatique). Arne Quinze expose des sculptures immersives en verre et en céramique dans la Scuola San Pasquale. Et dans l’église Santa Maria della Visitazione, le collectionneur Walter Vanhaerents présente une installation vidéo générée par l’intelligence artificielle de Memo Akten ainsi que de belles œuvres d’Otobong Nkanga et de David Claerbout.
Mais l’art belge le plus fort, le plus humble et le plus poétique que l’on puisse admirer et contempler à cette Biennale, c’est celui de Berlinde de Bruyckere. L’artiste gantoise a pu remplir la magnifique basilique de San Giorgio Maggiore, à la Giudecca, d’archanges paisibles et d’arbres de cire. Des œuvres magnifiques qui appellent silencieusement à la compassion et à l’humanité. C’est la première des sept étapes de notre parcours dans les ruelles et les canaux de la Cité des Doges.
Les 7 artistes à ne pas manquer
1. BERLINDE DE BRUYCKERE – Ville refuge III / San Giorgio Maggiore
« You better run, you better run, you better run to your city of refuge« , crie Nick Cave dans la chanson qui a inspiré à Berlinde de Bruyckere le titre de son exposition personnelle dans la basilique de San Giorgio Maggiore, joyau de la Renaissance conçu par Palladio sur l’île de la Giudecca. Cave semble avoir parfaitement raison, comme s’il avait déjà imaginé ces archanges hybrides et ces arbres de cire flétris. Les nouvelles œuvres que Berlinde De Bruyckere -qui avait investi le pavillon belge en 2013 avec l’installation monumentale Kreupelhouta créées pour ce lieu unique se fondent parfaitement dans le décor. La lumière les enveloppe d’un voile, en évoquant subtilement des tableaux de maîtres anciens. Quatre anges cabossés, posés sur des socles, semblent flotter entre ciel et terre. Dans le cloître, des membres sont présentés comme des reliques dans des vitrines. Ailleurs sont installées des tables en métal sur lesquelles repose un arbre en décomposition. Un ensemble d’une beauté obsédante. C’est ce qu’on a vu de plus serein dans la Serenissima pendant cette Biennale.
2. PINCHUK ART CENTRE – From Ukraine: Dare to Dream / Palazzo Contarini
En 2007 et 2009, le Pinchuk Art Centre de Kiev avait été officiellement autorisé à représenter l’Ukraine à la Biennale. Cette fois, deux ans après l’invasion russe, il organise une exposition collective saisissante et pleine de vie au Palazzo Contarini, le long du Grand Canal. L’exposition pose cette question: avons-nous encore le courage de rêver, alors que les extrêmes politiques gagnent du terrain et que la planète est mal en point? Des réponses positives et stimulantes sont apportées par des artistes ukrainiens et par le duo Allora & Calzadilla, qui a rempli le sol de fleurs de boabab peintes. Mais l’exposition a aussi des couleurs belges, grâce au directeur artistique Björn Geldhof. On y trouve une belle tapisserie d’Otobong Nkanga et David Claerbout y présente des oeuvres vidéo feutrées, pleines d’oiseaux qui respirent et de villas qui explosent. Bienvenue dans une nouvelle utopie, que Poutine ne pourra jamais contrôler.
3. ARCHIE MOORE – Kith & Kin / pavillon australien / Giardini
Les Belges remplissent leur pavillon de géants dansants. Les Américains ont invité les sculptures queer psychédéliques de Jeffrey Gibson qui adressent un clin d’oeil aux traditions indigènes. Les Néerlandais exposent des figurines en argile couleur cacao provenant du Congo. Mais le pavillon des Giardini qui a sans doute le plus impressionné et qui a d’ailleurs reçu le Lion d’or est celui de l’Australie. Le subtil Kith & Kin -titre que l’on peut traduire par « parents »- propose une promenade autour d’un étang-miroir
sombre qui rend hommage aux peuples indigènes. D’Australie et d’ailleurs. Au milieu du bassin sont disposées 500 piles de documents, principalement des rapports d’autopsies d’Aborigènes morts en garde à vue. Les murs et les plafonds sont remplis de noms, dressant un arbre généalogique céleste qui
s’étend sur 65 000 ans. Un puissant monument aux morts et aux esprits encore vivants d’une nation qui remonte à bien plus loin que Mel Gibson et Crocodile Dundee.
4. PIERRE HUYGHE – Liminal / Punta della Dogana
Des aquariums remplis de pierres flottantes et de méduses qui dansent. Des vaisseaux spatiaux qui crachent un brouillard multicolore. Une œuvre vidéo obsédante mettant en scène un singe-humain portant un masque de femme. Dans l’expo Liminal, l’artiste français Pierre Huyghe propose d’explorer les frontières entre les mondes humain et non-humain, sans mode d’emploi et dans l’obscurité. L’art, la philosophie, la fiction spéculative et, le cas échéant, les spectateurs entrent en collision. La Punta della Dogana -le palais du milliardaire François Pinault à l’extrémité de Dorsoduro- se transforme en un décor inquiétant, peuplé de créatures petites et grandes, humaines et non-humaines. Une exposition comme un rituel imprévisible, sans hiérarchie, sans nécessité de connaissances préalables et à visiter, de préférence, sans la lampe de poche de votre smartphone.
5. WILLEM DE KOONING E L’ITALIA – Willem de Kooning e l’Italia / Galleria dell’ Accademia
Au cours des dernières Biennales, Philip Guston, Georg Baselitz et Anish Kapoor entre autres ont pris
possession de la Galleria dell’ Accademia, qui héberge habituellement les Titien, Tintoret, Véronèse et autres Vénitiens de l’Histoire de l’art. Cette année, l’accent est mis sur l’Américain d’origine néerlandaise Willem de Kooning, et plus particulièrement sur l’impact de ses deux voyages en Italie -en 1959 et 1969- sur son oeuvre abstraite-expressionniste. Les nus féminins se transforment en carcasses de chair colorées. Les décors romains sont capturés par des bandes d’encre d’un noir profond. Un arbre napolitain et la Villa Borghèse apparaissent dans des paysages pastoraux abstraits. Les clinquantes sculptures en bronze de de Kooning -genre Rodin sous LSD- vous accueillent avec le sourire.
6. JULIE MEHRETU – Ensemble / Palazzo Grassi
Pas facile d’égaler les rétrospectives de Luc Tuymans et de Marlene Dumas au Palazzo Grassi, qui fait lui aussi partie du catalogue immobilier de François Pinault. Mais ce n’est pas une excuse pour faire l’impasse sur l’exposition de Julie Mehretu. L’Américaine appartient à la fine fleur de la peinture contemporaine, capable qu’elle est de rassembler des couches complexes d’Histoire, de politique et d’expérience humaine dans des compositions énergiques. Ses toiles épiques sont caractérisées par des dessins architecturaux envahis de signes mystérieux et de gribouillis. Comparables à des cartes imaginaires qui auraient été conçues conjointement par les esprits de Cy Twombly et de Joan Miró en travaillant avec un programme informatique de design industriel lors d’une séance de spiritisme. Y figurent également des œuvres de sa collègue Tacita Dean, de sa femme Jessica Rankin et des parties du corps tatoué de Justin Bieber. Ou du moins celles réalisées par l’artiste post-pop Paul Pfeiffer.
7. JEAN COCTEAU – La Revanche du jongleur / Musée Peggy Guggenheim
Cette exposition n’a rien à voir avec la sélection officielle. Ni même avec les « eventi collaterali », ces activités périphériques labellisées « Biennale ». Mais on ne boudera pas le maître du surréalisme Jean Cocteau (1889-1963) ni le lieu qui l’accueille, le palais Venier dei Leoni de Peggy Guggenheim, le long du Grand Canal. Ses films comme La Belle et la Bête et Orphée -dont sont présentés des accessoires, des affiches et des extraits- continuent d’enchanter. Ses recueils de poèmes font vibrer les âmes, mais Cocteau a aussi jonglé avec les arts plastiques, en tant que dessinateur, sculpteur et créateur de bijoux. Une plongée dans le monde merveilleux de l’enfant terrible français qui comptait Coco Chanel et Édith Piaf parmi ses meilleurs amies et qui jouait déjà avec le genre et l’(homo)sexualité quand les arcs-en-ciel n’étaient encore que des phénomènes météorologiques et Kylie Minogue n’était même pas née.
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