Comment les Musées des beaux-arts de Belgique déconstruisent les stéréotypes de genre dans leurs collections

Une exposition au Musées des beaux-Arts de Belgique interroge les rapports entre les collections et les stéréotypes de genre (ici Couple humain de Roger Raveel) © Johan Geleyns
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Art x Gender interroge la façon dont les collections caressent, ou étrillent, les stéréotypes de genre. Une démarche adossée à la recherche scientifique pour un musée ouvert aux enjeux de société.

EXPOS / MÉDIATION

Art x Gender

Jusqu’au 19 avril au Musées des beaux-arts de Belgique, à Bruxelles.
La cote de Focus: 3/5

Dans la foulée d’un vaste mouvement critique international, les Musées royaux des beaux-arts de Belgique (MRBAB) poursuivent leur salutaire introspection. Après avoir ouvert des chantiers sur le colonialisme et la restitution, l’institution s’attache désormais aux représentations de genre avec Art x Gender. Le projet, conçu par Géraldine Barbery (médiation culturelle) et Audrey Lasserre (MRBAB/UCLouvain), historienne spécialiste des récits de genre, s’interdit de construire une contre-histoire de l’art: il s’agit plutôt de rendre visibles les mécanismes qui, depuis des siècles, imprègnent nos imaginaires.

Le cœur du parcours, installé dans la salle 66 du musée Old Masters, se repère immédiatement: une imposante frise textuelle aligne, blanc sur gris, des questions telles que «Les œuvres des hommes sont-elles universelles?» ou «L’homme crée, la femme procrée?». Sous ces interrogations en trois langues, un accrochage évoquant, en version allégée, les galeries de la Renaissance, au sein duquel certaines pièces quittent pour la première fois les réserves, comme ces Baigneuses (1945) d’Ania Staritsky, tableau restauré pour l’occasion. Au centre trône un Couple humain (1968-1975), de Roger Raveel: l’homme, le collectionneur Goeminne, y est solidement figuré, tandis que la femme n’apparaît qu’esquissée, à la manière d’une coquille vide. Autour, deux panneaux tout aussi prescripteurs d’Adam et Eve peints par Cranach.

Au-delà des œuvres, les curatrices interpellent aussi l’architecture muséale. Les salles, la façade du musée, les proximités créent une hiérarchie implicite: «Les pièces ne sont jamais exposées de manière neutre», rappelle Géraldine Barbery. D’où l’importance de disséminer la réflexion. Si la salle 66 cristallise le propos, celui-ci se prolonge dans tout l’Old Masters et jusqu’au musée Magritte, porté par une signalétique spécifique et une quarantaine de cartels thématiques. Avec un solide livret du visiteur, Art x Gender répond ainsi aux interpellations de la société civile en adoptant une démarche exemplaire: poser des questions plutôt qu’asséner un discours. Audrey Lasserre le souligne: «On apprend à voir autrement, à comprendre que rien n’est naturel et que les images façonnent autant qu’elles reflètent.» Elle précise encore: «Notre objectif n’est pas de dire quoi penser, mais d’offrir les conditions d’un déplacement du regard.»

Indirectement, l’exposition aborde aussi une question plus structurelle: la restauration. A quelles œuvres alloue-t-on du budget? Celles des artistes consacrés ou celles restées dans l’ombre? Le cas Ania Staritsky illustre parfaitement cet enjeu: car rendre visibles les artistes gommés, c’est aussi leur redonner une voix. Les MRBAB le promettent, cette réflexion ne sera ni ponctuelle ni périphérique. Elle préfigure le nouveau parcours permanent prévu pour 2027. Une manière d’inscrire durablement, au cœur de l’institution, la question des récits que l’art transmet, et de ceux qui attendent d’être racontés.

Michel Verlinden

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