Cindy Sherman, photographe anti-fashion au FOMU d’Anvers

Untitled #462 2007/2008 Chromogenic color print © Cindy Sherman Courtesy the artist and Hauser & Wirth
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Entre l’exposition L’Archipel du moi d’Ariane Loze au MACS –elle se terminera le 3 novembre, on ne saurait trop recommander d’aller la voir– et l’évènement que le FOMU consacre à Cindy Sherman, il y a comme un passage de témoin. Comme si l’actualité culturelle nous invitait à mieux regarder, à mieux se défaire des préjugés qui nous encombrent lourdement. De quoi s’agit-il? À travers sa pratique, Loze ne cesse de questionner la notion d’identité. Et quand on dit questionner, on parlerait plus volontiers de « faire voler en éclat ». On le sait, dans ses vidéos, la Bruxelloise incarne tous les rôles, cette économie de moyens est devenue sa signature. Nécessité au départ, cette approche s’est avérée par la suite consubstantielle de sa volonté de donner à entendre les différentes voix qui résonnent en nous.

Le tout pour une intentionnalité qui n’est rien de moins que politique. Souvent il se fait que nous taisons cette polyphonie intérieure, voie royale vers l’horizon tellement souhaitable du « nous », pour se mettre au diapason des « crampes identitaires » qui secouent le monde. « Il est courant de donner le change en présentant aux autres un moi unique et cohérent alors qu’à l’intérieur nous sommes traversés par de multiples dissensions. Ces scènes à plusieurs personnages que je filme laissent apparaître les potentialités que nous avons d’être tout ce que nous ne sommes pas« , explique-t-elle. Que se passe-t-il quand ce « moi » qui doit s’affirmer est lui-même multiple et que les différentes parties de ce moi ne sont pas en accord?

À l’opposé d’une apologie des identités figées et monolithiques, le travail de Loze suggère en filigrane ce qui rend l’être humain riche: le flou, l’ouverture, la béance. En orchestrant une grande rétrospective du travail de Cindy Sherman, sur cinq niveaux, avec plus de cent œuvres couvrant la période des années 70 à aujourd’hui, le musée anversois dédié à la photographie enfonce ce clou plus profondément encore. Cette fois à travers la succession d’images fixes, sortes de tableaux grimaçants. C’est particulièrement vrai du pan de l’œuvre de Sherman qui aborde le système de la mode, au centre du propos du FOMU, en faisant surgir une sorte de bug du style, une étrangeté à lui-même.

Untitled #414 2003, Chromogenic color print © Cindy Sherman Courtesy the artist and Hauser & Wirth

Sherman montre ceci: se vêtir de tels ou tels vêtements n’est jamais un choix personnel, l’option ne surgit jamais d’une seule et même personne, mais d’une infinité d’interactions techno-culturelles que nul ne maîtrise. Loin des habituelles images glamour, les autoportraits d’Anti-Fashion soulignent ces déroutantes perspectives en faisant un pas visuel de côté qui met l’individu souverain à mal –ce tyran prompt à établir des hiérarchies entre les êtres et les vies. Nous pensons choisir notre apparence mais en réalité, c’est le règne de l’apparence qui nous choisit. Sherman gonfle les stéréotypes jusqu’à l’absurde et au grotesque pour battre la culture dominante en brèche. Difficile après cela de se regarder serein dans le miroir.

Cindy Sherman, au FOMU à Anvers, jusqu’au 02/02. www.fomu.be

Ariane Loze, L’Archipel du moi, jusqu’au 3/11 au MACS, à Hornu.

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