Laissez tomber l’alcool, la clope et la drogue: allez au musée!

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Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Prescrire des visites au musée pour améliorer le bien-être et la santé mentale? C’est possible à Bruxelles depuis le 1er juin. La psychiatre Catherine Hanak a testé avec ses patients, avec des résultats positifs.

Depuis le 1er juin dernier, 18 structures médicales de la Ville de Bruxelles -hôpitaux, centres de santé mentale, maisons médicales, plannings familiaux…- peuvent prescrire des visites de musées gratuites à leurs patients dans 14 musées du même territoire. Objectif: améliorer le bien-être et la santé mentale. Inspiré d’une initiative du Musée des Beaux-Arts de Montréal, le projet a connu une phase pilote, lancée il y a trois ans par l’échevinat de la Culture de la Ville de Bruxelles. La psychiatre Catherine Hanak, cheffe de clinique au CHU Brugmann et spécialiste en troubles de l’humeur et addictologie, y a participé.

Qu’est-ce qui vous intéressait dans ce projet pilote?

Catherine Hanak: Quand on occupe une position de consultant, on n’a pas la possibilité de participer concrètement à l’organisation pour nos patients d’activités médiées par l’art. Habituellement, les activités d’art-thérapie se font dans les centres de jour ou dans les hôpitaux de jour. Or je suis convaincue que ce type d’activités est très important en termes de revalidation et de prévention des rechutes sur le plan du bien-être psychique. Dans ce cas, les personnes peuvent bénéficier des bienfaits de l’art sans être nécessairement créateurs d’art. Ce que j’apprécie, c’est la multiplication des opportunités. Face aux difficultés psychiques, il est important de multiplier les approches: une approche univoque, un seul type de soins, ce n’est souvent pas suffisant. Je suis aussi heureuse de proposer un projet concret et de donner aux patients les moyens de le réaliser, et pas juste de faire des recommandations.

Catherine Hanak

En quoi une visite de musée peut être bénéfique pour un patient?

Catherine Hanak: C’est lié à la neurochimie du cerveau. La zone du cerveau qu’on appelle « le circuit de récompense » est une zone spécialisée qui libère un neurotransmetteur, la dopamine, qui fait qu’on se sent bien. Les personnes qui se sentent mal, qui sont malheureuses sont souvent dans un états dits hypodopaminergique. Ils peuvent alors avoir la tentation de faire libérer de la dopamine en recourant à l’alcool, les drogues ou la nicotine, ce qui marche très bien et très activement. Or, quand on pratique une activité culturelle, on libère la même dopamine. Quand on se promène dans la nature, quand on va dans un musée, quand on écoute de la musique, quand on fait du sport, on libère de la dopamine de façon non néfaste et bienfaisante. Donc ça participe au mieux-être des personnes.

Sans les effets négatifs du tabac, de l’alcool ou des drogues…

Catherine Hanak: Il n’y a aucun effet négatif connu et la participation au programme de prescriptions muséales est compatible avec tout autre traitement. Les recherches se multiplient à ce sujet, avec plusieurs publications importantes sur les « musées comme espaces de bien-être ». En 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé a par exemple publié le rapport What Is the Evidence of the Role of the Art in Improving Health and Well-Being. Il y a aussi un groupe de travail mis en place par l’Union européenne. Ça s’inscrit dans un mouvement global qui étudie le potentiel thérapeutique des musées et donc des nouveaux rôles pour les musées, qui sont progressivement devenus des acteurs en tant que lieux de bien-être, et même de mieux-être, et des partenaires du système de santé, notamment sur le plan de la santé mentale et du rétablissement. La muséologie moderne considère les musées non comme des lieux exclusifs, voire élitistes, mais comme des espaces de coexistence et de rencontres générateurs d’expériences nouvelles et enrichissantes qui vont à la rencontre de la diversité des personnes en situation de vulnérabilité, avec des troubles physiques ou psychiques.

Ces prescriptions conviennent-elles à tous les types de patients?

Catherine Hanak: Elles ne se mettent pas en place pour des personnes qui vont vraiment très mal. Dans ce cas, la prise en charge est centrée sur la situation aiguë: les personnes nous racontent ce qui ne va pas, on peut modifier des traitements, organiser une hospitalisation. Les prescriptions muséales conviennent bien aux personnes en phase de convalescence.

Concrètement, pour vous et vos patients, comment s’est passé ce projet pilote?

Catherine Hanak: J’ai mené une petite étude qualitative avec mes patients qui ont participé au programme. La plupart des personnes ont ressenti des effets favorables en termes de détente, de bien-être, d’énergie, d’humeur améliorées, de réduction de l’anxiété, d’espoir, d’optimisme, de répit de leurs tracas et d’enrichissement personnel. Un autre aspect positif, c’est que les patients ont été heureux de se confronter à l’extérieur, d’organiser leur trajet, de trouver les musées, d’oser surmonter les freins, de se confronter aux autres, que ce soit aux autres visiteurs des musées ou au personnel. C’est déjà toute une organisation pratique et psychique qu’ils ont réussi à mener à bien. Il y a eu aussi des retours positifs en termes de lutte contre l’isolement culturel et social, en termes d’inclusion et de lutte contre la stigmatisation et l’autostigmatisation.

Certains n’étaient jamais allés dans un musée?

Catherine Hanak: Effectivement. Ils n’avaient jamais osé. Plusieurs m’ont demandé des conseils sur comment se comporter, comment s’habiller. Certains patients y sont allés à plusieurs, pour se donner du courage. Certaines personnes sont conscientes qu’avec leurs difficultés, parfois involontairement elles ne disent pas ou ne font pas ce qui est attendu socialement. Et donc elles ont ressenti du bonheur et de la fierté d’avoir réussi à le faire et que ça se soit bien passé.

Bio express – Catherine Hanak
1987 Licence en Histoire contemporaine
De 1995 à aujourd’hui Psychiatre au CHU Brugmann à Bruxelles
2014 à 2019 Effectue des missions en RDC
2019 Devient cheffe de Clinique au CHU Brugmann à Bruxelles et psychiatre responsable médicale à l’asbl Habitations Protégées Bruxelloises
2021 Début de la participation au projet de prescriptions muséales lancée par l’échevinat de la Culture de Bruxelles

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