Alain Séchas, ses lignes épurées et ses chats sont à découvrir au BPS22
Héritées du dessin, les lignes épurées d’Alain Séchas emportent tout sur leur passage: sculpture, vidéo… et même peinture. Démonstration à l’occasion d’une “rétro-perspective” au BPS22.
Bien plus que “Peindre ou faire l’amour”, “Enseigner ou mener une carrière artistique” constitue l’alternative, fondée sur des stéréotypes bien ancrés, à laquelle on confronte souvent les jeunes artistes au sortir de leurs études. Comme s’il fallait absolument choisir entre l’un ou l’autre. L’œuvre d’Alain Séchas (Colombes, 1955) tord le cou à ce cliché et en élargit les contours. Professeur de dessin à Metz et à Paris pendant plus de 20 ans avant de se consacrer pleinement à son art, le Français a su nourrir sa pratique artistique grâce à son expérience d’enseignant. Loin d’être une contrainte, cette double casquette lui a permis d’explorer diverses techniques, de faire évoluer son approche et de développer un trait unique marqué par un sens aigu de la synthèse. Pour tenir ses élèves en haleine, le plasticien se devait de maîtriser une variété de médiums, ce qui l’a incité à naviguer entre différentes disciplines, enrichissant ainsi son propre travail. “Enseigner l’a enjoint à se renouveler tout le temps pour susciter l’intérêt de ses classes”, plussoie Pierre-Olivier Rollin, commissaire de l’exposition.
Cette flexibilité créative, née de la transmission, a très logiquement façonné une démarche artistique multiple. Séchas passe aisément du dessin à la sculpture, comme en témoigne son emblématique série des “chats”. Plutôt que voir l’enseignement comme un frein, il serait donc plus juste de le considérer comme un moteur et, dans le cas d’Alain Séchas, comme un véritable laboratoire permanent l’ayant poussé à explorer des voies nouvelles. Ce souffle pédagogique en constante évolution lui a permis de conserver une fraîcheur créative inentamée tout au long de sa carrière. De cette richesse découle une véritable jubilation esthétique qui se palpe tout au long du vaste parcours que lui consacre le BPS22.
Linéarité graphique
En exhibant plus de 230 œuvres, Je ne m’ennuie jamais suit l’itinéraire plastique d’Alain Séchas au plus près de ses nombreux détours. Au cœur de celui-ci, on trouve 180 dessins, surplombant la salle Pierre Dupont, qui révèlent le cœur, le noyau dur de sa pratique. Imaginés pendant la crise sanitaire pour être diffusés sur les réseaux sociaux, ces “Insta-Dessins” réalisés au feutre acrylique sur papier possèdent également la vertu de situer son auteur sur la carte de l’Histoire de l’art.
Alain Séchas s’inscrit clairement dans la continuité des artistes qui, au fil des siècles, ont exploré la tension entre le dessin et la peinture, avec la ligne et la couleur comme expressions artistiques antagonistes. Séchas, explique Rollin, “revendique la primauté de la ligne”, une approche qui le rattache aux débats classiques opposant les tenants du trait, symbolisant “la pensée et la forme”, à ceux de la couleur, plus proche de “l’expression corporelle”. Issu du dessin tel qu’il l’a appris à l’École Supérieure des Arts Appliqués de Paris, Séchas valorise cette épure dans son œuvre, rejoignant des figures historiques comme le néoclassique John Flaxman et, plus tard, Matisse. Pour Séchas, la ligne n’est pas seulement un contour: elle est un moyen d’expression qui remplace le modelage. “Il ne modèle pas un visage qui exprime la peur, souligne Rollin. Il se contente de quelques traits qui suggèrent l’expression.”
Cette esthétique, où chaque trait est pensé, Séchas va d’abord l’étendre au domaine de la sculpture, tout en conservant cette vibration propre au dessin. Rollin de préciser: “Alain Séchas a commencé ses premières sculptures en utilisant de la frigolite, un matériau léger et facile à travailler. Il coupait directement dans des blocs de polystyrène expansé, sans modeler la matière, mais en conservant l’idée de la silhouette. Pour lui, la sculpture devait garder la même fluidité que le dessin. Une fois les blocs de frigolite découpés, il les recouvrait de fibres de verre, un procédé similaire à celui utilisé pour les planches de surf. Ce qui l’intéressait, c’était de maintenir la ligne du dessin dans le geste du sculpteur, tout en refusant l’approche plus traditionnelle du modelage de la matière. Il travaillait donc par soustraction, coupant la matière plutôt que de l’ajouter, et conservant ainsi cette linéarité graphique dans ses sculptures.”
Et la peinture? Jugée trop bourgeoise au début de sa carrière, elle va progressivement revenir dans son travail à la façon d’une évidence. Ce retour du refoulé se fait d’abord de manière subreptice, dès 2008, à travers des murs peints imaginés pour contextualiser des sculptures. Le plasticien l’aborde avec une approche distincte, en commençant par des aplats de couleur qu’il structure ensuite avec des traits noirs, à la manière de Matisse. Là aussi, le processus lui permet de conserver la spontanéité et la fluidité caractéristiques de son dessin tout en jouant sur la profondeur et la composition. Finalement, la peinture s’impose comme un élément central de sa pratique artistique, non pas en opposition à la sculpture et au dessin, mais en complément, lui permettant de renouveler son expression tout en explorant la couleur et les formes avec un plaisir manifeste.
De mieux en mieux
Très bien pour la forme, mais qu’en est-il du fond? Le panorama des œuvres montrées, qui s’étend de la vidéo à l’installation en passant par de multiples formats de sculptures et de toiles, montre un talent qui s’approche, sans pour autant y souscrire, à des champs tels que le dessin de presse, la caricature ou la bande dessinée. Ce décalage fait de lui un témoin avisé, parfois incisif, du monde actuel.
“Il se considère comme un observateur du monde, mais sans jugement. Séchas possède un regard de moraliste, dans le sens où il constate les comportements et les absurdités de notre quotidien, mais sans ironie ni caricature. Il assume parfois d’être lui-même le personnage qu’il représente, évitant ainsi toute distance entre l’œuvre et le spectateur”, analyse Rollin. Difficile de ne pas penser à La Bruyère ou même à Lafontaine, ce que conforte l’usage de son “bestiaire” -le chat mais aussi la figure du Martien ou du cochon-, qui permet de parler de tout le monde sans avoir à mettre en scène quelqu’un en particulier.
Bien sûr, cette utilisation du matou n’a pas manqué de faire surgir le spectre d’un autre félin, celui de Philippe Geluck. Rien à voir pourtant. “On mentionne souvent le parallèle mais il y a une grande différence entre leurs travaux. Geluck ne dessine pas aussi bien qu’Alain Séchas. Il a un dessin beaucoup plus laborieux, on sent l’humoriste accroché à son crayon, le gars qui tire la langue. Le trait est moins fluide, moins spontané, presque emprunté. Il fonctionne davantage comme un dessinateur moderne qui reprend toujours le même dessin. C’est un comique verbal, intellectuel, mais pas un comique visuel. À l’inverse, Séchas se sert parfaitement de la ligne et de l’énergie du dessin pour adresser le regard”, pointe le directeur du BPS.
Enfin, sous des dehors légers, il convient de pointer le caractère percutant de certaines pièces de Séchas. Ainsi de Professeur Suicide, une très artisanale installation de 1995 composée entre autres de moulages en polyester et d’un film vidéo musical. Inspirée par les suicides collectifs de sectes comme celle de l’Ordre du Temple solaire, elle met en scène des personnages aux têtes ovales, naïves en apparence, qui jouent avec des épingles sur un fond musical signé Haydn, créant une tension insoutenable. Sans oublier Hommage à Émile Coué (2006), un dispositif en aluminium sérigraphié déployant une spirale hypnotique activée par le visiteur. Incompréhensible dans un premier temps, la bande-son qui l’accompagne débite en boucle la célèbre phrase emblématique de la méthode d’autopersuasion Coué: “Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux.” La pièce apparaît comme la métaphore idéale d’une société médusée et lunaire tentée, à l’ère post-vérité, des crispations identitaires et du dérèglement climatique, par le déni du réel.
Alain Séchas: Je ne m’ennuie jamais. **** Jusqu’au 05/01 au BPS22, Charleroi.
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