Fin novembre, la Suède accueillait le festival de « musiques actuelles » Europavox. Dans un an, ce sera au tour de Bruxelles. L’occasion de se questionner sur l’identité musicale européenne.

Samedi 21 novembre, Stockholm, salle Debaser Medis, 3 h du matin. Les lumières se rallument, les serveurs nettoient leur zinc, la fête est finie. Tchèques, Espagnols, Français, Belges, Suédois (…) s’étreignent, se font des serments, dans un anglais approximatif. Non, Bruxelles n’est pas loin d’Oslo, Prague, Londres et Cie. Oui, on se reverra. Non, on ne dit pas Herman Van Rompouille mais Van Rompeuille. Ça ressemble à la fin des colonies de vacances, sauf qu’aujourd’hui, ce n’est plus son adresse postale que l’on donne, mais son nom de famille qu’on épèle, pour pouvoir se retrouver sur Facebook. L’Europe paraît minuscule, le monde, un village. Une impression vivifiante galvanise les fêtards: le sentiment de liberté. Liberté de circuler dans un continent sans frontières, liberté de se faire comprendre partout grâce à un lexique fait de mots d’anglais, de langage du corps et d’un amour commun pour la musique. Le pari d’Europavox est largement gagné. François Missonnier, le directeur de ce festival européen de « musiques actuelles » exulte, après « une telle illustration du slogan européen: Unité dans la diversité ». D’autant que ces trois jours de musique viennent de s’achever sur un show flamboyant. Ebony Bones, coincée dans un avion à Istanbul, a dû céder sa position très enviée de clôture sur le line up aux Flamands de Das Pop… Ils eurent droit à l’unique rappel du festival, après une performance ayant laissé le public stockholmois exténué mais heureux. « C’est émouvant », lâche François Missonnier. Emouvant, certes, de voir qu’une affiche faite essentiellement de stars dans leur pays mais d’illustres inconnus ailleurs peut avoir un public. Et que celui-ci -qu’il s’agisse d’une faune fashion victim branchouille se déplaçant pour être vue ou de vrais mélomanes – accepte de se laisser conquérir par des sons venus d’ailleurs, parfois à la limite de l’étrangeté.

Lost in translation

Né à Clermont-Ferrand il y a 5 ans, le festival Europavox est porté par des énergies et des fonds locaux et européens. Un projet – fait de concerts mais aussi de débats, de rencontres professionnelles… – dédié à la promotion de la diversité musicale. Une autre manière de faire vivre l’Europe, amalgame de pays pas toujours très lisible, au fonctionnement institutionnel complexe, aux préoccupations parfois très arides… C’est Aurore, jeune liégeoise séjournant à Stockholm aux frais de la princesse contre 5 minutes de prise de parole lors d’un débat sur l’identité musicale européenne – c’est qu’on n’est pas pauvre, à l’Europe -, qui fait le mieux écho aux visées du festival. « Moi je vis ma vie et je ne me pose pas trop de questions. C’est pas bien, je crois qu’il faudrait que je m’intéresse plus mais j’ai pas envie, en fait. Je me laisse porter… Je m’en fous un peu du côté institutionnel de l’Europe. Je suis ici pour m’amuser. Je ne parle pas un mot d’anglais mais ça ne me bloque pas. J’ai rencontré un producteur de hip hop suédois qui m’a dit qu’étant jeune il adorait MC Solaar alors qu’il ne comprenait rien. Moi c’est pareil. C’est la musique qui m’emporte, je l’applaudis sans me prendre la tête. » Europavox a remporté une bourse attribuée par la Commission européenne. La dringuelle a pour objectif de soutenir des opérations culturelles d’envergure ciblant les pays présidant l’Union. Voilà pourquoi cet automne, le festival a proposé une délocalisation en Suède, tandis que l’an prochain, c’est Bruxelles qui aura ses faveurs (lire encadré).

Une sorte d’Eurovision de la chanson, le côté kitch et l’aspect compétition en moins, puisqu’ils ont tous gagné. Les jeunes Norvégiens de The New Wine, qui ne sont encore signés nulle part, voient ainsi l’événement comme un tremplin pour leur pop légère aux accents électroniques. « On est très fiers de représenter notre pays », rigolent-ils. Et d’embrayer sur l’Eurovision, la vraie – c’est un Norvégien (« enfin, d’origine biélorusse! ») qui l’a remportée l’an dernier -, leur amour pour Sébastien Tellier et leur dépit face à son échec cuisant au dit concours. De parler d’Europe, de bière belge (« Dangereuse, surtout la Duvel. Quand on a joué au festival Domino à Bruxelles, ce mec-là a failli… Non, je ne peux pas le dire! », charrie Johan, le bassiste), d’A-ha et de John Olav Nilsin. Qui ça? « Un gars inspiré par The Smiths et Morrissey… mais il chante en norvégien. Il marche très fort grâce à ça chez nous. »

Couleur locale

C’est l’un des constats importants opérés lors de ce festival: l’identitaire marche fort. Actuellement, pour faire son trou dans son propre marché, il faut dans beaucoup de pays chanter dans le jargon local. Voilà pourquoi on entend peu parler de groupes tchèques et espagnols, par exemple.

« L’Espagne fut une dictature de 1939 à 1977. Quand la révolution du rock’n’roll vint au monde civilisé, nous devions l’attendre… », rappelle le journaliste espagnol Luis Javier Menendez Alonso. « Quand l’Espagne s’est ouverte à la musique, elle a copié ce qui se faisait ailleurs: en France, en Allemagne… Et puis, à la fin des années 70, elle a pris une autre direction, avec la Movida… On faisait du Cure et du Depeche Mode en espagnol. Ça a eu un succès énorme… Mais uniquement en Espagne et en Amérique latine – langue oblige. Les groupes ont ensuite tenté de s’internationaliser, de s’exporter… sans succès. Aujourd’hui, le défi de la musique espagnole est d’arrêter de se focaliser sur l’Amérique latine et de conquérir l’Europe… »

En République tchèque, l’exportation est encore plus insignifiante.  » Sous le communisme, impossible d’avoir de la musique en provenance de l’Ouest, elle était bannie« , explique le journaliste Pavel Kucera. « Après la révolution de velours et le renversement du régime communiste, la Tchéquie s’est ouverte à la musique occidentale. Mais après un petit moment, la nostalgie a étreint les Tchèques, qui n’avaient écouté que des chanteurs tchèques toute leur vie… Ils ont eu envie de réentendre cette musique-là. Les gens sont habitués à tout recevoir dans leur langue – pour le cinéma c’est pareil, tout est doublé. Difficile de percer en République Tchèque si on chante en anglais. Impossible de s’exporter si on chante en tchèque… et il n’y a que 10 millions d’habitants en Tchéquie. »

Les Français du collectif Kütu Folk ont opté pour l’anglais. Damien se dit fier d’être européen , « et pas vraiment d’être Français. Et puis l’anglais met une distance entre nous et les textes… c’est une forme de pudeur qui, paradoxalement, nous permet d’aller plus loin dans l’expression, de dire réellement ce qu’on pense. »

Chacun ses raisons. Les locaux de l’étape, les Shout Out Louds, chantent eux aussi dans la langue de Shakespeare. Et comptent des fans tant en Australie qu’au Brésil et en Allemagne. « J’écris depuis que j’ai 11-12 ans« , raconte Adam Olenius, le leader du groupe pop/rock.  » A l’époque, mes influences allaient du heavy metal à Georges Michael, mais je n’écoutais que de l’anglophone. Il faut dire qu’à la maison, je n’avais pas le choix, mon père m’imposait ses goûts anglo-saxons. J’écris aussi en anglais parce que pouvoir vivre de la musique est un rêve de gosse, et que c’est plus facile de le faire dans cette langue. Et quand on s’exporte, on peut visiter tellement de villes, toucher tellement plus de gens. En Suède il y a 10 villes et puis basta! »

Il n’empêche, ils estiment que leur musique a une âme suédoise.  » Est-ce que ça existe, un son scandinave?« , s’interroge le chanteur.  » C’est certainement une touche de mélancolie, une forme de timidité. Stockholm a à mon avis une vraie influence sur nous. D’abord par sa météo, ses températures basses, ses nuits qui tombent si tôt en ce moment, son hiver de 5 mois… » De l’influence de la météo sur la diversité de la musique européenne: ça mériterait bien un essai, ça. Parce qu’il n’y a pas que la politique, dans la vie. Van Rompouille le dit lui-même.

Texte Myriam Leroy, à Stockholm.

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