Par Bertrand Tavernier. Institut Lumière/Actes Sud. 996 pages.

Cinq kilos de pure cinéphilie »: c’est en ces termes, notamment, que Thierry Frémaux, directeur de l’Institut Lumière et délégué général du Festival de Cannes, introduit Amis américains, ouvrage monumental de Bertrand Tavernier. Il y a de cela, bien sûr, dans cette somme précieuse. Mais, plus encore peut-être, une passion communicative, un désir de partage et, partant, un rapport à la vie, qui font de ce livre assurément l’un des plus beaux jamais consacrés au cinéma, au même titre que le fameux Hitchcock/Truffaut.

Paru en 1993, mais depuis longtemps épuisé, voilà donc Amis américains objet d’une toute nouvelle édition. La formule prend ici tout son sens puisque Bertrand Tavernier a profité de la circonstance pour réévaluer certains auteurs à la lumière de nouvelles découvertes. Il a aussi ajouté à un corpus pourtant déjà imposant plusieurs entretiens: avec André De Toth, d’une part, mais aussi, avec Alexander Payne, Joe Dante et Quentin Tarantino, venus apporter à ce livre, qui s’ouvre à l’âge classique avec quelques « grands anciens », une coloration également contemporaine.

Le voyage n’en est que plus passionnant, qui embrasse une large partie de l’histoire du cinéma américain. Ce en laissant la parole à ses auteurs, de John Ford à Robert Altman, en passant par Henry Hathaway, William Wellman, Jacques Tourneur, Elia Kazan, Joseph Losey et tant d’autres, cinéastes (et scénaristes à l’occasion) que Tavernier a interrogés longuement depuis les années 60 – des entretiens qu’il encadre d’essais critiques d’une rare pertinence.

Que ce soit par le truchement de l’anecdote ou par celui de l’analyse, le propos est passionnant de bout en bout. Le seul chapitre consacré à John Ford, pierre angulaire de cet édifice, est ainsi un pur enchantement, conciliant joliment ces deux approches. Les Notes d’un attaché de presse compilées par Tavernier (qui occupa cette fonction avant de devenir réalisateur) lorsqu’il accueillit Ford à Paris en 1966, sont un récit comme on n’ose en rêver – avec, parmi diverses anecdotes formidables, celle où Ford offre son chapelet au journaliste de L’Humanité venu l’interviewer. Ce n’est là, toutefois, qu’un exemple parmi d’autres, puisé à une source pratiquement inépuisable: une correspondance admirable avec Delmer Daves y voisine une rencontre captivante avec Robert Parrish; un chapitre sur Roger Corman et la série B en précède un autre, volumineux, consacré à l’époque de la Liste noire, de multiples témoignages rares et précieux (Edward Chodorov, Herbert Biberman,…) à l’appui.

Amis américains se révèle ainsi une merveilleuse plongée au c£ur du cinéma US; un livre qui, pour décortiquer un système, est aussi à l’écoute de l’aventure humaine, en même temps que s’y déploie une certaine éthique du septième art. Le mot de la fin, on l’empruntera à Richard Quine, l’auteur de pépites aussi estimables que Strangers When We Meet et autre Bell, Book and Candle (Kim Novak n’a jamais été aussi délicieuse): « Ce qui m’intéresse, c’est d’exalter la beauté, si j’ose dire. Je voudrais faire sentir la beauté d’une histoire, d’un geste…  » Précepte dont cet ouvrage se fait à son tour la vibrante expression…

Jean-François Pluijgers

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