Titre - En los margenes
Genre - Drame social
Réalisateur-trice - Juan Diego Botto
Casting - Penélope Cruz, Luis Tosar, Juan Diego Botto
Sortie - En salles
Durée - 1h45
Critique - Jean-François Pluijgers
Penélope Cruz endosse les habits de productrice pour En los márgenes, le premier long métrage réalisé par le comédien Juan Diego Botto, un drame social ayant pour toile de fond les expulsions abusives en Espagne.
À l’origine d’En los márgenes, il y a une étincelle. Ou plutôt une conversation entre Juan Diego Botto et Penélope Cruz, pendant laquelle l’actrice fétiche de Pedro Almodóvar suggère au comédien au long cours -plus de 30 ans d’une carrière internationale l’ayant notamment conduit devant la caméra de John Malkovich (The Dancer Upstairs) ou de James Gunn (The Suicide Squad)-, par ailleurs dramaturge, d’écrire pour le cinéma. En ressortira ce qui constitue le premier long métrage comme réalisateur pour l’un, la seconde expérience de productrice pour l’autre. Un projet dont ils nous parlaient de concert lors de la dernière Mostra de Venise, là-même où tout avait commencé pour la comédienne 30 ans plus tôt avec la présentation de Jamón, jamón, de Bigas Luna: “J’en ai gardé des souvenirs inoubliables, s’illumine-t-elle. L’expérience de la première aux côtés de Bigas, bien sûr, mais aussi le fait de vivre des moments inouïs, comme lorsqu’on a croisé Jack Lemmon, et qu’on devait se pincer pour le croire, nous disant: “C’est Jack Lemmon, il a travaillé avec Marilyn Monroe, avec Billy Wilder…” Nous étions complètement éblouis par le fait de rencontrer ces personnes que nous admirions depuis toujours. Je n’étais pour ainsi dire qu’une enfant, le festival de Venise reste très spécial à mes yeux…”
Si la Mostra a constitué la rampe de lancement de sa carrière, Penélope Cruz le lui a bien rendu, retrouvant à diverses reprises un Lido où elle a notamment glané la coupe Volpi de la meilleure actrice pour Madres paralelas, de son ami Almodóvar, et où elle présentait l’an dernier pas moins de deux films, L’immensità, d’Emanuele Crialese, s’ajoutant à En los márgenes. Un projet qu’elle avait manifestement à cœur, en tenant l’un des premiers rôles -une mère courage sur qui pèse la menace d’une expulsion de son logement- en plus d’en être la productrice. “C’est le second film que je produis après Ma ma, de Julio Medem, sur le cancer du sein, où j’avais déjà mon ami Luis Tosar pour partenaire. Juan Diego et moi, nous nous connaissons depuis nos 13, 14 ans. Je l’ai vu faire des choses incroyables, tant comme auteur que comme acteur, et j’entretenais secrètement depuis longtemps l’espoir de l’amener à écrire un projet que nous pourrions interpréter ensemble et qu’il réaliserait. J’ai trouvé le scénario de En los márgenes incroyable, et je lui ai dit: “Pourquoi ne le mettrais-tu pas en scène, cette histoire t’appartient?” Deux jours plus tard, il acceptait, et nous nous sommes mis à assembler les pièces du puzzle, au niveau financier notamment.”
Le besoin de partager
En los márgenes a pour toile de fond la crise du crédit hypothécaire ayant frappé l’Espagne, et les expulsions par dizaines de milliers de propriétaires incapables de rembourser leurs prêts en ayant découlé. Un sujet à l’urgence palpable que Juan Diego Botto a choisi de traiter sous forme d’un récit choral impliquant divers protagonistes touchés au premier chef: retraitée ne sachant à quel saint se vouer face à l’imminence de sa mise à la rue; femme jonglant entre plusieurs boulots au point d’en négliger sa fillette; avocat dévoué à la cause jusqu’à en oublier ses proches, etc. Le fruit des innombrables rencontres du réalisateur et de sa coscénariste, Olga Rodriguez: “Nous avons passé beaucoup de temps avec des personnes confrontées à cette situation qui nous ont raconté leur histoire, explique le cinéaste. Et nous avons vu que cela ne concernait pas que quelques familles, mais bien des centaines voire des milliers de familles espagnoles -c’est un problème à l’échelle nationale. Chaque jour, des dizaines de personnes sont expulsées, une centaine environ. Et une fois qu’elles vous ont raconté leur histoire, vous en êtes partie prenante, et vous ressentez le besoin de la partager. Nous avons ressenti la nécessité d’écrire ce scénario, parce que nous avons vu ces femmes et ces hommes, nous avons passé du temps avec eux, et nous nous devions de raconter cette histoire.” “Ce film est né d’une impulsion qui était à la fois organique, honnête et naturelle”, renchérit l’actrice. De fait, drame inscrit dans un tissu social précarisé, En los márgenes allie le cœur et les tripes, affirmant les vertus d’une solidarité des humbles, sans toujours échapper à un certain manichéisme. Qu’importe en l’espèce, la fin justifiant parfois les moyens: “Bien sûr, l’impact d’un film est limité. Et nous savons qu’il ne va pas changer le monde ni agir directement sur la réalité, observe Juan Diego Botto. Mais il se peut que le public soit ému par un film, de même que nous pouvons braquer les projecteurs sur un aspect guère montré de la réalité. Si nous n’avons pas l’ambition de changer le monde, nous pouvons contribuer à un débat plus que jamais nécessaire. À quoi s’ajoute que nous avons voulu faire un film qui puisse aussi fonctionner en tant que tel, et capter votre attention dès la première minute…”
Notre critique d’En los márgenes ***(*)
Inscrit dans la réalité madrilène d’aujourd’hui, En los márgenes suit, l’espace de 24 heures, une galerie de personnages sous pression: Teodora et German (Adelfa Calvo et Font García), une mère et son fils qu’une faillite lestée de non-dits semble avoir irrémédiablement séparés; Azucena (Penélope Cruz), une femme essayant de faire front face à la menace d’expulsion de son logement; et Rafa (Luis Tosar), un avocat spécialisé dans les affaires sociales tentant désespérément de retrouver la mère d’une fillette risquant d’être placée, dût-il pour cela négliger ses proches. La crise des crédits hypothécaires ayant frappé l’Espagne pour toile de fond -plus de 400 000 saisies ont été opérées en dix ans-, Juan Diego Botto signe, sous couvert de récit mosaïque, un drame social évoquant le cinéma d’un Ken Loach. S’il a parfois la main lourde, c’est toutefois pour mieux réaffirmer les vertus de la solidarité, un propos auquel les excellents Luis Tosar et Penélope Cruz (également productrice) apportent conviction et éclat.
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