Pour le réalisateur de The Time That Remains, le cinéma est une expérience poétique plus que politique. Il pense aussi que l’on peut rire de tout. Au risque de déplaire à certains esprits coincés…

Son nouveau film est une petite merveille de chronique, semi-autobiographique, humoristique et poétique. Le sujet de The Time That Remains est pourtant grave, puisqu’il aborde un demi-siècle de conflit israélo-palestinien, vu à travers l’expérience d’une famille arabe de Galilée. Mais le réalisateur de Divine Intervention a pris le parti de la drôlerie façon Tati, et d’un cinéma cultivant le plaisir, même mélancolique. Trop subtil pour certains (il est banni, paradoxe, dans nombre de pays arabes!), son cinéma libéré des contraintes affiche une liberté tantôt tranquille, tantôt insolente. Il revient pour nous sur la genèse de The Time That Remains et l’état de grâce qu’il a connu durant son tournage. Sans oublier l’incompréhension que rencontre parfois son £uvre…

Comment est né The Time That Remains?

Il y a sans doute eu plusieurs points de départ, mais ma mémoire incertaine m’empêche de me souvenir de la plupart d’entre eux. En fait j’avais tenté, dans le passé, de raconter certaines des histoires contenues dans le film. Mais elles n’avaient pas suffisamment mûri. Il s’agit d’abord de la première partie du film ( la guerre au moment de la proclamation d’indépendance d’Israël, ndlr). On me l’avait tant de fois racontée, je savais que tôt ou tard il me faudrait la raconter à mon tour. Mais j’avais aussi le sentiment que ce serait très difficile, à cause notamment du fait que je suis pas à l’aise dans l’adaptation de faits dont je n’ai pas été le témoin moi-même, et aussi de l’aspect épique, que je ne voyais pas cadrer avec mon style. J’en suis venu à penser que ce serait le film que je ne réaliserais jamais…

Mais la maturation s’est faite?

Cette histoire m’a été si souvent racontée par mon père. Il l’avait vécue, je pouvais regarder dans ses yeux et imaginer ce qu’il avait vu. Cette familiarité, plus la maturation des différents éléments, a fini par laisser envisager la possibilité d’un film. J’avais accumulé un grand nombre de Post-it que je collais sur les murs du studio où je travaille. Une pièce avec un mur pour chaque période historique, en fait. De cette accumulation est progressivement née une forme. Les différents éléments, venus du réel et nourris d’imaginaire, finissent par trouver leur place et se mettre à « flotter » naturellement.

Avant de prendre corps au tournage?

Oui, mais là aussi – et même si c’est alors un processus concret – avec une dimension spirituelle que j’ai enfin trouvée, et qui confine au miracle. Les circonstances, les conditions, étaient difficiles, réunir tout ce qu’il fallait pour filmer était une lutte de chaque jour. Et pourtant, dans ce chaos, j’ai ressenti un sentiment inédit pour moi. J’étais comme dans un état d’élévation, un état de grâce. Un état d’euphorie, de tendre plaisir indéfinis- sable… Lequel ne m’a toujours pas quitté depuis.

Vous accueillez donc les aspects organiques du cinéma, là où tant d’autres réalisateurs restent obsédés par le contrôle?

Le système de production et de fabrication cinématographique est la négation de l’aspect méditatif, poétique, spirituel, que l’acte de création suppose. Filmer dans ce contexte est comme assurer la survie de l’esprit au c£ur d’une machinerie. C’est comme une guerre intérieure, dont l’enjeu est un territoire… poétique. Ce que vous défendez n’est pas matériel, c’est une émotion.

Comment prenez-vous les censures et exclusions dont votre £uvre fait régulièrement l’objet?

Je ne fais pas des films de propagande. Et quand je me retrouve empêché de montrer mes films parce qu’ils ne sacrifient pas à la propagande, cela me donne encore plus envie de faire des films poétiques, pour échapper à l’emprise des censeurs… On me reproche l’humour. On me dit que l’on ne peut pas rire avec la cause palestinienne. Mais souvenons-nous que même durant la Shoah, des gens qui souffraient terriblement ont trouvé la force d’en plaisanter, d’en rire! Dès mon premier film (Chronical Of A Disappearance, en 1996, ndlr), on m’a interdit, en m’accusant d’être un « collaborateur ». Et cela à cause de ce crime d’humour! Ils veulent que tout soit plat, simpliste, que les Palestiniens soient montrés en victimes absolues, ou en guerriers héroïques. Je préfère emmener le spectateur ailleurs, loin des certitudes de tous ceux qui veulent seulement reproduire des clichés. Dont ceux, en Occident même, qui m’ont fait le reproche de ne pas faire des films « assez palestiniens »…

Rencontre Louis Danvers

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