Titre - Emily
Genre - Drame
Réalisateur-trice - Frances O'Connor
Casting - Emma Mackey, Fionn Whitehead
Sortie - En salles
Durée - 2h10
Critique - Jean-François Pluijgers
Frances O’Connor livre un portrait vibrant d’Emily Brontë, l’autrice des Hauts de Hurlevent, dont l’exceptionnelle Emma Mackey fait une héroïne moderne.
Découverte en 1999 dans Mansfield Park, une adaptation de… Jane Austen, c’est sur une autre romancière britannique du XIXe siècle que l’actrice Frances O’Connor a jeté son dévolu pour son passage derrière la caméra. Emily Brontë en l’occurrence, l’autrice d’un unique roman, mais quel roman: Les Hauts de Hurlevent, paru en 1847, un an avant sa mort, à l’âge de 30 ans à peine, et rapidement élevé au rang de classique. S’il s’inspire de l’existence des Brontë, Emily, le film, ne s’inscrit pas pour autant dans le cadre rigide des biopics stricto sensu -peu conforme à la nature généralement décrite comme sauvage de l’écrivaine, en tout état de cause. À quoi la cinéaste a préféré un hybride fécond, les éléments imaginaires venant s’imbriquer aux emprunts biographiques pour tracer un portrait d’une artiste et de son élan créatif, la vie et l’œuvre composant une surface poreuse pour faire de la femme passionnée une figure résolument actuelle.
Faire entendre sa voix
Ce projet, Frances O’Connor le porte depuis dix ans -“Certains aspects de la vie d’Emily me parlent profondément, observe-t-elle dans les notes de production du film. Certains éléments qui, je pense, font partie des Hauts de Hurlevent et de sa vie, auxquels beaucoup de femmes peuvent s’identifier. L’idée est donc venue de là.” S’y greffera, au détour de son parcours de comédienne, le désir de raconter ses propres histoires: “J’étais déterminée à écrire et j’ai toujours voulu réaliser. Au cours des cinq dernières années, j’ai eu envie de dépasser mon rôle d’actrice et de raconter une histoire dans son ensemble. Cette volonté a coïncidé avec le mouvement #MeToo et le fait que de nombreuses femmes ont pu faire entendre leur voix. Il y a cinq ans, je n’aurais peut-être pas eu cette possibilité.”
Qui mieux pour rencontrer cette aspiration qu’une autrice que ses poèmes et son roman ont érigée en figure de proue de la création féminine, en plus d’être une personnalité incontournable des lettres britanniques et mondiales? Si Wuthering Heights n’a pas fini de fasciner, c’est peut-être parce que, comme le suggérait Andrea Arnold, qui en signa une formidable adaptation en 2011, “quiconque s’y aventure y trouvera quelque chose de différent. Apparemment, Emily Brontë a écrit ce roman sans penser qu’il serait jamais lu. Du fait de cette liberté, elle a pu laisser son imagination vagabonder, et écrire, sans être en rien inhibée. C’est aussi ce qui fait le prix de ce livre: elle s’y autorise une suprême liberté, et de ce fait même, on y trouve beaucoup d’éléments déconcertants, relevant pour partie de l’inconscient.” Partant, cette œuvre-phare de la littérature romantique se révèle d’une richesse inépuisable.
Des amants traversant le temps
Le cinéma (et la télévision) ne s’y sont d’ailleurs pas trompés: si Jane Austen demeure la championne incontestée des adaptations littéraires “classiques”, les transpositions, tous supports confondus, de l’ouvrage d’Emily Brontë se comptent par dizaines. La plus fameuse restant celle de William Wyler en 1939 avec Laurence Olivier dans le rôle de Heathcliff et Merle Oberon dans celui de Cathy, qu’avait précédée, dès 1920, une version de A.V. Bramble, avec Milton Rosmer et Ann Trevor. Transcendant temps et espace, l’histoire des amants maudits devait, par la suite, être déclinée sous les latitudes les plus diverses: Luis Buñuel en proposera une relecture dans le Mexique du XIXe siècle à la faveur de Abismos de Pasión; Jacques Rivette la transposera dans la France des années 30 dans Hurlevent; Kijû Yoshida la déclinera dans le Japon médiéval dans Arashi ga oka. Quelques versions parmi beaucoup d’autres, d’une qualité à l’image du temps balayant les landes du Yorkshire: variable. Il y eut même, en 2015, un Wuthering High en déplaçant l’intrigue dans le Malibu contemporain, c’est dire. Le filon ne semble, du reste, pas près de se tarir: depuis les années 2020, on a encore compté (au moins) trois adaptations de Wuthering Heights, sous forme de série, de film indépendant, et même d’audioplay en Pologne. Il n’est pas jusqu’à la vie, ceinte de mystère il est vrai, des sœurs Brontë en leur presbytère d’Haworth -Charlotte, l’aînée, autrice de Jane Eyre, Anne, la cadette, à qui l’on doit Agnes Grey, et Emily- qui n’ait elle aussi inspiré les scénaristes. Curtis Bernhardt signait ainsi, en 1946, un Devotion où Ida Lupino et Olivia de Havilland campaient respectivement Emily et Charlotte Brontë. Quant à André Téchiné, il livrera en 1979 le sobrement intitulé Les Sœurs Brontë, distribuant Marie-France Pisier, Isabelle Adjani et Isabelle Huppert dans le rôle des trois sœurs.
Une héroïne moderne
Le film de Frances O’Connor s’inscrit donc aujourd’hui au confluent de ces deux démarches, puisant sa substance aussi bien dans le roman d’Emily Brontë que dans sa vie à Haworth, biographie et fiction se rejoignant pour composer un portrait de l’artiste en jeune fille en feu. Vivante et vibrante, à l’unisson d’une nature reflétant les sentiments des individus. Douée d’un tempérament volontiers exalté et viscéralement indépendante, parmi d’autres qualités. Et partant bien loin d’une figure historique figée dans son époque, qu’elle devançait d’ailleurs allègrement. À l’instar de son œuvre, la romancière semble ainsi avoir le don de traverser le temps, l’incarnation habitée qu’en propose l’étincelante Emma Mackey achevant d’en faire une héroïne moderne. Frances O’Connor la décrit comme “farouche, rebelle, sensible, créative et magique”. On y ajoutera: singulièrement inspirante.
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