Dans son dernier film, Eastwood réalisateur raconte le combat d’une femme dont le fils a été kidnappé. Une histoire simple mais forte telle que les aime le cinéaste.

Entretien Eric Libiot, à Los Angeles

Los Angeles, studios Warner Bros. Bureaux de Malpaso Productions, bungalow n° 16. Le temps s’est soudainement figé sur les images d’un Hollywood mythique. Un rêve éveillé brisé par ces gardiens pas drôles qui surveillent la porte des plateaux de tournage. Ici a été tourné Le Chanteur de ja

Il entre. Clint Eastwood. Himself. 78 ans. 1,88 mètre. Quatre oscars. 98 récompenses en tout genre. Un géant. Souriant. Détendu. Qui s’excuse pour passer un coup de fil. Avant d’appeler du fond de son canapé – c’est très joli,  » Eric« , en langue eastwoodienne. La pièce est plongée dans un de ces clairs-obscurs qu’il affectionne. Il parle de L’Echange, son dernier film, qui raconte le combat d’une mère dont le fils a été kidnappé . Aussi de lui, de musique, du cinéma. Il répond court, mais il répond. Une petite part de rêve à partager ici et maintenant.

Comment avez-vous découvert le scénario de L’Echange?

Je revenais d’Allemagne. J’ai lu le scénario dans l’avion; il m’a plu. J’ai appelé Brian Grazer, le producteur, et je lui ai dit que, s’il voulait, je pouvais le faire.

Est-ce toujours aussi simple?

En général, oui.

Pourquoi l’histoire vous a-t-elle plu?

C’est la confrontation entre un individu et une collectivité. Entre une femme et la police corrompue. Ce personnage me rappelait les grands rôles féminins tenus par Bette Davis, Joan Crawford ou Ingrid Bergman. La fin du film se situe en 1935: j’avais 5 ans et je me souviens de ma mère habillée comme l’est Angelina Jolie. C’est ma part de nostalgie.

Qu’avez-vous avec les histoires de kidnapping? On en trouve dans L’Echange, Mystic River, Un monde parfait

Je n’ai rien de spécial avec ce thème, même si les crimes contre les enfants me révulsent particulièrement. Pour vous donner une réponse de metteur en scène, ce sont des histoires dramatiquement très fortes. Cela permet de parler de morale, comme dans Mystic River, ou de raconter un moment de l’histoire d’un pays, comme dans L’Echange.

Angelina Jolie était-elle votre choix?

Elle a lu le scénario au même moment que moi. J’ai appris qu’elle l’avait aimé. Je trouve que c’est une très bonne actrice.

C’est toujours simple avec vous. Est-ce vrai que vous tournez une prise ou deux, pas plus?

Pas toujours, il ne faut pas exagérer. Pour certaines scènes, il faut tourner davantage, pour être sûr d’avoir ce qu’il faut au montage. J’aime les acteurs qui se donnent tout de suite, mais d’autres ont besoin de plus de temps. Dans L’Echange, Angelina et John (Malkovich) étaient sur la même longueur d’onde. Ils étaient bons immédiatement.

Et, quand vous dirigez Clint Eastwood, comment est-il?

Pas facile. Mais il finit par faire ce que je lui dis.

Vous n’aviez pas joué depuis Million Dollar Baby, en 2004. Vous êtes revenu devant la caméra pour Gran Torino, que vous achevez en ce moment. Pourquoi?

Je ne cherche pas les rôles, mais, pour Million Dollar Baby, je pouvais comprendre le drame de ce gars qui n’avait pas de relations avec sa fille. Le type de Gran Torino, qui revient au pays et tente de renouer avec sa famille sans vraiment y parvenir, a mon âge. Il n’accepte pas les changements, mais finit par piger ce qui se passe. Je vois le personnage, je le joue.

L’Echange sort sur les écrans, vous finissez Gran Torino et, en mars, vous attaquez The Human Factor, dans lequel Nelson Mandela tente de réunifier l’Afrique du Sud grâce à la Coupe du monde de rugby. C’est rapide, non?

Oui, mais je m’arrête pendant les vacances de Noël. J’irai jouer au golf.

Voulez-vous ressembler à Manoel de Oliveira et, à 100 ans, tourner encore?

J’étais là quand le Festival de Cannes lui a rendu hommage. C’est un homme incroyable. Plein d’énergie et de malice.

Cannes est un mauvais souvenir cette année, non? Vous n’êtes pas venu chercher votre prix (prix spécial du 61e Festival)…

J’ai été en compétition, j’ai été président du jury, je sais comment ça marche. Je n’attends rien. Je suis content que le film ait été bien reçu. Beaucoup de gens étaient tristes pour moi. Mais je vous jure que ce qui m’importe, c’est le public, pas les prix.

Seul compte le public?

Oui, c’est le seul qui, au final, vous montre si vous avez réussi ou non. En tant que réalisateur, j’ai la responsabilité du film. S’il ne marche pas, c’est ma faute. Cela dit, un succès ne signifie pas que le film est bon et un échec qu’il est mauvais. Il y a un tas de grandes £uvres qui n’ont pas marché. La part de magie nécessaire pour réussir un bon film à succès ne se décrète pas.

Pourquoi la musique est-elle si importante pour vous?

Parce qu’elle me fait voyager, parce qu’elle m’aide à réfléchir. Parfois, quand je cherche une idée, je m’installe au piano, j’improvise et, souvent, ça vient. Pour Impitoyable, je ne trouvais pas la première scène. Un jour, en écoutant Laurindo Almeida, un formidable guitariste brésilien au jeu très simple, j’ai vu l’image de Munny malade. Ensuite, j’ai demandé à Lennie Niehaus d’orchestrer ce morceau. Cela se passe parfois au montage. Mon fils Kyle a une idée de musique, on essaie, on change le montage pour la musique. On cherche, parfois on trouve.

Vous composez, vous jouez, vous réalisez. Pourquoi n’écrivez-vous pas de scénarios?

J’aime récrire. Et amener l’histoire à moi. Mais je ne suis pas très bon pour en inventer une à partir de rien. Je crois que toutes ces années à jouer des personnages inventés par d’autres m’ont éloigné de ce processus d’écriture. C’est un métier pour lequel il faut se forcer un peu. Je n’en ai pas eu l’occasion.

Quel est le meilleur conseil qu’on vous ait donné?

Celui de mon père: n’attends jamais rien d’autre que le résultat de ton propre travail. Dans le métier, le meilleur conseil m’est venu de Cornel Wilde, à l’époque où je débutais. C’est l’une des premières stars que je rencontrais. Il m’a dit:  » Epargne ton argent.  » Je trouvais cela un peu bizarre, comme conseil professionnel. Il m’a donc expliqué qu’il avait tourné dans des trucs abominables pour gagner de l’argent, car il n’avait rien mis de côté. Au final, c’était un bon conseil, que j’ai retenu.

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