Même si son Micmacs à tire-larigot est décevant, Jean-Pierre Jeunet n’a rien perdu de son humour et de ses ambitions. La preuve dans un entretien diablement (im)pertinent.

N’est-ce pas manquer de civisme que de faire un film contre les marchands de canons à l’heure où la France reprend sa place dans les plus gros vendeurs d’armes, et que votre président parvient enfin à fourguer des avions Rafale dont personne ne voulait jusqu’ici à l’étranger?

Merde! Je n’y avais pas pensé… Je préférerais qu’il vende du parfum plutôt que des avions de combat. Et qu’il vende aussi des films français à l’étranger plutôt que des armes… Mon film entre dans une démarche anti-citoyenne, comme on dit maintenant. Moi, quand j’entends le mot citoyen, je sors ma Kalachnikov, tellement ça m’énerve…

L’idée de faire de 2 marchands d’armes les méchants du film était présente dès l’origine du projet?

C’était un mélange de 3 envies: épingler les marchands d’armes, certes, mais aussi raconter une vengeance à la Sergio Leone, et filmer une bande d’hurluberlus façon Pieds Nickelés, jouets de Toy Story ou 7 nains de Blanche-Neige. Je voulais mélanger tout ça, ce qui n’est pas évident car les armes sont un sujet sérieux, que j’allais traiter de manière burlesque, comme du cartoon, avec l’idée de plaire aux enfants…

Le héros, Bazil, est bien dans la ligne des héros de vos films précédents.

C’est encore un Petit Poucet, en effet, qui grâce à son imagination va détruire les puissants. Je me suis rendu compte qu’il y a une métaphore assez marrante dans ce film. Quelque part, c’est comme une équipe de film. Bazil/Danny Boon est le metteur en scène, qui se sert de toute sa bande où chacun a son talent spécifique pour vaincre les puissants. Au fond le Petit Poucet, c’est un peu moi… Ma définition des choses c’est « Just do it, prends une caméra et tourne! » Je ne rate pas une seconde de tout le processus du film. J’ai plein de collègues qui ne font que passer, même au montage. Et s’ils viennent, c’est avec leur petite amie pour la sauter sur le canapé derrière. Vous ne pouvez même pas imaginer ce que j’entends dans le milieu! S’ils ne s’amusent pas à faire des films, tant pis pour eux. Moi, je savoure chaque instant de la naissance de l’idée de départ à la sortie… Je suis toujours, de ce point de vue, le môme qui faisait du théâtre de marionnettes dans sa chambre, sans même penser au cinéma. Chez moi, j’ai encore un plaisir fou à bricoler.

La taille de la machine (avec des budgets de plus en plus importants) a-t-elle une influence sur ce plaisir?

Non, cela ne change rien. Bizarrement, que je fasse un petit spectacle de marionnettes dans ma cuisine ou Alien: Resurrection à Hollywood, ça ne change rien! Le processus est le même. Et la manière dont je le vis aussi.

Bazil a en commun avec Amélie Poulain un mélange d’ingénuité et de grande détermination pour parvenir à ses fins…

C’est mon histoire, aussi. A 17 ans, je travaillais au téléphone pour gagner ma vie, et je l’ai fait pendant 3 ou 4 ans. Pour m’en sortir, j’avais l’imaginaire. Et pas une seconde je n’ai douté de parvenir à faire du cinéma! J’étais le gamin qui joue au foot et qui est persuadé qu’il va un jour gagner la coupe du monde en marquant 3 goals sur reprise de volée… Tous mes films racontent l’histoire d’un « petit » très déterminé et qui s’en sort grâce à l’imaginaire, en fait.

Il y a eu des moments clés dans cette trajectoire du petit employé visant haut?

Plusieurs, oui. Comme des prémonitions. J’ai vu un film avec Depardieu, à Nancy, et j’ai su que je ferais un truc avec lui. Et bizarrement, pas un long métrage. Eh bien j’ai fini par faire une pub pour Barilla avec lui! Une autre fois, à Hollywood, visitant un plateau de Spielberg, j’ai su que je ferais un film là-bas. Une conviction totale, comme si j’avais entendu une voix. Tout le monde s’est fichu de moi quand je le racontais, mais c’est quand même arrivé. Audrey Tautou a connu des choses semblables. Gamine, en voyant la cérémonie des Césars à la télé, elle a dit qu’elle en gagnerait un en l’an 2000. Et elle l’a eu!

Comment Dany Boon a-t-il débarqué dans Micmacs à tire-larigot?

Juste avant de connaître le triomphe populaire que l’on sait. Et parce que Jamel Debbouze, pour lequel j’avais écrit le rôle, avait changé d’avis et ne voulait plus le faire. Quand j’écris pour quelqu’un, j’ai toujours quelqu’un d’autre en réserve, juste au cas où… Je suivais Dany depuis longtemps. Comme il est différent de Jamel, on a fait des essais, on s’est flairé comme 2 chiens, et on a décidé que ça serait possible.

Ses qualités, à vos yeux?

Il a un visage très mobile, très expressif. Il est très constant (jamais de prise pas montable avec lui). Il est très inventif, et capable d’oser des trucs impossibles devant la caméra. Je le savais drôle, mais il sait aussi être émouvant. Sa petite larme, elle n’était pas prévue…

Aviez-vous des références en tête, des hommages à rendre?

Oui, et beaucoup moins discrètes que d’ordinaire. Comme c’est au fond un film sur le cinéma, mes hommages pouvaient être flagrants. Sergio Leone, il ne manque plus qu’un petit air d’harmonica. Buster Keaton, c’est la scène de l’homme projectile de canon. Il y a aussi Chaplin, et même Tati dans la scène de l’aéroport. C’est tellement évident que j’aurais pu mettre une flèche dans l’image avec une pancarte: « Ici, hommage à untel ou untel »!

Referez-vous un film à Hollywood?

J’ai failli en faire un tout récemment, puisque j’allais tourner Life Of Pi pour la Fox. Des problèmes de budget en ont décidé autrement. Filmer un petit garçon et un tigre naufragés sur le même canot de sauvetage, c’est pas évident à faire… Ang Lee est sur le coup, maintenant, mais les questions de budget sont encore dans le chemin, me dit-on…

Voir aussi la critique du film dans Focus du 23 octobre.

Rencontre Louis Danvers

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