Duo au soleil

Paradis, de la deep house sentimentale qui flirte en permanence avec le club. © © Andrea Montano

Entre Alain Chamfort et Kerri Chandler, chanson élégante et house music hédoniste, le tandem Paradis refuse de trancher. Et ça lui va bien. Présentation avant son concert aux Aralunaires.

Au bout des 45 minutes d’interview, Pierre Rousseau, moitié du duo Paradis, avoue: « La plus grande incompréhension à notre sujet? S’il y en a une, c’est peut-être le fait que l’on pense toujours que l’on a mélangé les choses. En l’occurrence, la musique électronique et la chanson française. Je peux comprendre pourquoi on dit ça, mais ce n’est pas aussi évident, notre musique n’est pas juste un collage… » En effet, ce n’est pas simple. Cela ne l’a d’ailleurs sans doute jamais été. Comme les jeunes gens « mödernes » (de Jacno à Daho), ou des groupes comme Air, Paradis louvoie. Un oeil sur la house music, un autre qui lorgne la chanson/variété française.

Le premier album de Paradis, Recto Verso, est sorti à l’automne dernier. Mais l’histoire débute déjà en 2010. Simon Mény (31) et Pierre Rousseau (26) se rencontrent lors d’une soirée. Pierre: « C’était juste une fête entre potes, dans un appart’. Ce qui est finalement assez à l’image de la musique que l’on fait: soit des morceaux qui ont un pied dans un club et un autre sur le canapé du salon (rires). » Les deux partagent ainsi le goût pour les musiques électroniques et pour un « univers harmonique et mélodique fait de sons très doux ». Ce n’est pas le seul point commun. Tous deux présentent également un même parcours extra-français. Né à… Bruxelles, Pierre a vécu un peu partout en Angleterre, avant de revenir terminer ses études supérieures à Paris. Quant à Simon, s’il est né au Mans, il n’a cessé de bouger, au gré des déplacements professionnels du paternel, entre l’Argentine et le Portugal. « C’est quelque chose qui marque forcément. Cela vous ouvre l’esprit. » Et pas seulement. Pierre: « C’est sûr qu’on n’a pas grandi en étant irrigués en permanence par la culture française, via la télé ou la radio, par exemple… Du coup, on l’a toujours plus « fantasmée » qu’autre chose. La vision qu’on en a est assez « exotique ». On est par exemple très sensibles à certains gros clichés. »

Au départ, ils ne pensent d’ailleurs pas forcément chanter en français. Ils envoient un premier morceau à Tim Sweeney, fameux DJ house new-yorkais. « Il a un programme radio, Beats In Space. On voulait juste avoir son avis. Même si secrètement, on espérait qu’il passerait peut-être notre titre. » Au lieu de ça, l’Américain les recontacte pour leur proposer de le sortir sur le label qu’il est en train de lancer. C’est lui qui, après avoir entendu Je m’ennuie, les pousse à s’exprimer dans leur langue maternelle. « Du coup, on est partis là-dessus, mais sans que ça ne soit une stratégie délibérée. » En 2011, le single Parfait tirage devient la première référence de Beats In Space. En face B, le duo reprend… La Ballade de Jim d’Alain Souchon.

Bienvenue au club

À nouveau, cela pourrait passer pour une déclaration d’intention. Une sorte d’allégeance, malgré tout, à une certaine chanson française, confirmée plus tard par une autre reprise, de Chamfort cette fois (le morceau Paradis, forcément…). Ou encore par le titre Sur une chanson en français. Simon y chante notamment: « Laissez-la s’émouvoir / loin des regards indiscrets / sur une chanson en français. » Comme s’il s’agissait in fine d’un plaisir coupable? Pierre: « Non, pas du tout. C’est un morceau qui a pour sujet la nuit, ce qui s’y passe, ce qu’on y vit. Avec en filigrane, la question de la jeunesse. Pas tellement au sens générationnel, mais plutôt en termes d’attitude. »

C’est d’ailleurs le vrai sujet de la musique de Paradis: ce que la jeunesse permet, ce qu’elle comporte d’insouciance et de mélancolie. Élégante et dansante, hédoniste et sentimentale, la deep house du duo flirte ainsi en permanence avec le club, cette parenthèse émouvante sous la boule à facettes. Pierre: « On reste fascinés par cette culture de la nuit, ce fantasme du club magnifique, de la soirée où l’ambiance est parfaite, la musique est parfaite, les gens sympathiques. Ce qui arrive en fait assez rarement (rires). » À cet égard, le nom du projet n’a pas été choisi par hasard. Simon: « C’est d’abord un terme français qui a l’avantage de pouvoir être compris un peu partout dans le monde. Mais c’était aussi l’occasion de faire un clin d’oeil au Paradise Garage (le club disco mythique de Larry Levan, à New York, au début des années 80, NDLR). »

Il n’est pas toujours facile de rester simple. Pour son premier album, le duo a pris son temps pour trouver le mot juste, et rendre le propos cohérent. But du jeu: malgré les allers et retours, les hésitations et les tergiversations (« la veille du dernier mix, on réenregistrait encore certaines voix », avoue Simon), réussir à préserver une certaine spontanéité. Et, qu’à la manière du titre de leur EP sorti en 2014, la musique de Paradis s’en tienne aux couleurs primaires. Après avoir pondu l’essentiel des titres en un mois, mais les avoir ensuite fignolés pendant près de trois ans, Paradis a donc fini par sortir Recto Verso. Il commence par un morceau intitulé… Instantané. Ironie? Pierre: « Sincèrement, on discute beaucoup, mais on ne théorise pas grand-chose. » Simon: « Le but est de rester aussi proche que possible de l’émotion de départ. La pochette de l’album, par exemple, est une photo prise en tournée. On avait envie d’un cliché naturel. On ne voulait pas prendre de pose en studio, ou mettre des masques. Il fallait que l’image qui accompagne le disque soit la vraie vie. » Et Pierre de conclure: « Ce qui rentre d’ailleurs en résonance avec le concept de paradis. Qui ne serait pas, comme dans la conception religieuse, ce que vous trouvez après une vie de souffrance. Mais au contraire quelque chose qui se joue dans des choses parfois extrêmement simples, aujourd’hui et maintenant… »

Paradis, Recto Verso, distribué par Universal.

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En concert le 06/05, aux Aralunaires (Arlon) et le 08/07 aux Ardentes (Liège).

Rencontre Laurent Hoebrechts

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