Downsizing: entretien de carrière avec Alexander Payne, réalisateur taille XL
Alexander Payne croise fable humaniste et satire sociale dans Downsizing, un film situé dans un monde où les humains ont été miniaturisés afin de relever les défis se posant à la planète…
Alexander Payne n’aime rien tant que le mélange des genres. De About Schmidt à Nebraska, son cinéma s’est ainsi employé à balayer un large spectre d’humeurs et d’émotions, le drame s’y piquetant d’humour comme gage d’une vérité et d’une densité humaines accrues, tandis que ses films oscillent avec bonheur entre légèreté et gravité. Downsizing, le nouvel opus du cinéaste américain, ne déroge pas à la règle, qui combine la fable humaniste et la satire sociale, la science-fiction et la comédie grinçante. Non sans décliner, l’air de rien, des enjeux politiques, le film s’ouvrant alors que des scientifiques ont trouvé un procédé permettant de diminuer drastiquement la taille de l’Homme, moyen de faire face à terme à la surpopulation et aux problèmes environnementaux menaçant l’avenir de la planète. Une perspective assortie d’avantages financiers non négligeables qui vont avoir le don d’appâter Paul et Audrey Safranek, un couple d’Américains moyens prêts à s’engager dans l’aventure d’un monde rétréci…
Et si…
Cette idée de scénario gonflée, Payne, joint par téléphone à Los Angeles, confie qu’elle a germé il y a une bonne dizaine d’années déjà dans l’esprit de Jim Taylor, son partenaire d’écriture régulier depuis Citizen Ruth, en 1996: « Jim et son frère Doug déliraient sur les avantages qu’auraient les êtres humains à rapetisser, en termes d’économie d’espace et de ressources notamment, mais aussi du fait que l’on pourrait faire beaucoup plus avec beaucoup moins, et avoir un train de vie en conséquence. Je n’ai pas vu tout de suite comment traduire cette idée en film, jusqu’au jour où j’ai pensé à la raccrocher au contexte planétaire actuel de surpopulation et de changement climatique: ça nous a donné des prémices de type « Et si », à partir desquelles laisser courir notre imagination. Nous étions alors en 2006 et nous nous sommes lancés… »
Dix ans seront donc nécessaires à l’aboutissement du projet, conséquence d’une conjonction d’éléments, de la difficulté d’écriture du scénario à celle de réunir un financement, Alexander Payne trouvant le temps de réaliser The Descendants et Nebraska dans l’intervalle. Effet collatéral non négligeable, le propos du film n’aura fait que gagner en acuité –« et je crains qu’il ne soit encore plus pertinent dans dix ans, ces problèmes ne sont pas près de disparaître », observe-t-il. Pour autant, le cinéaste refuse de voir en Downsizing une oeuvre ouvertement politique: « Ce film raconte deux histoires: celle du monde en un sens, et le scénario intégrait beaucoup d’autres considérations politiques -il y avait notamment des éléments documentaires sur le ressentiment croissant entre « grands » et « petits ». Mais c’est aussi l’histoire de cet homme comme nous, qui éprouve des difficultés à savoir qui il est et quelle est sa place dans ce monde moderne où tant de choses se produisent, et semblant, qui plus est, filer dans une mauvaise direction. On peut se perdre facilement. Mais je ne me considère pas comme un cinéaste politique à la manière de Ken Loach, Oliver Stone ou Michael Moore, je fais des comédies… » Le rapport au monde qui s’y déploie est toutefois forcément politique. Et l’on peut voir dans Downsizing, au-delà de la déclinaison astucieuse de thématiques dont l’urgence nous est rappelée quotidiennement, une lecture à rebours du rêve américain -motif déjà présent dans Election ou Nebraska. « Qu’entend-on par rêve américain? Que le matérialisme apporte le bonheur? Que c’est le pays de la démocratie et des opportunités? Je ne sais pas. J’ai l’impression que nous vivons toujours plus dans une ploutocratie aux mains des corporations. L’idée même de la démocratie américaine semble devenir de plus en plus fictive. Il paraît d’ailleurs qu’il n’existe que trois démocraties parfaites où les voix des gens entrent sincèrement en ligne de compte: la Nouvelle-Zélande, l’Uruguay et la Norvège… »
Coller à la réalité
Qu’on ne s’y méprenne cependant pas: Downsizing n’est pas écrasé par son message. Et Alexander Payne parle à bon droit de prémices propices à une comédie mordante, dotée d’un zeste de férocité -il cite, parmi ses inspirations, des réalisateurs des années 30 comme Leo McCarey, mais aussi Billy Wilder et Luis Buñuel. Quant à la science-fiction, à laquelle il s’essaie ici pour la première fois, le cinéaste n’y voit ni plus ni moins qu’un instrument idoine au service d’une histoire assurément peu ordinaire. Une partie du charme du film tient d’ailleurs à la patine de celle-ci, entre innocence vintage et (fausse) normalité. « Je ne voulais pas emmener cette histoire dans une direction fantastique à l’extrême. Pour chacun de nos films, Jim Taylor et moi, nous nous demandons, tout en étant bien conscients de faire du cinéma, comment une telle histoire se déroulerait dans la réalité. Nous cherchons sa version réelle plutôt que cinématographique, ce qui nous permet d’aller vers l’homme, et de façon comique, vers sa part de tristesse. En outre, même les inventions les plus fantastiques deviennent banales au bout de quelques jours. Et nous avons voulu que les effets spéciaux restent aussi « low-tech » que possible. Nous nous sommes beaucoup amusés sur la scène où l’on réduit les gens, avec un grand four à micro-ondes, des petites spatules, l’épilation ou le fait que l’on enlève les plombages de leurs dents. C’était intéressant et amusant, mais aussi un peu triste, et proche en cela de la vie… »
Une constante chez un cinéaste que même le recours à des effets spéciaux, avec ce que cela aura supposé comme machinerie supplémentaire, n’aura pas détourné de son cap: « Je ne voulais pas que cet aspect interfère avec l’intimité de ce que je filmais, ni que ma sensibilité s’en trouve affectée. Nous y avons veillé avec un soin tout particulier, mes collaborateurs et moi: il fallait que Downsizing soit aussi excentrique que n’importe lequel de mes films. »
Omaha et le monde
À cet égard, Downsizing reste du pur Alexander Payne, et cela même si le film réserve l’une ou l’autre surprise de taille, à l’image d’une rupture narrative abrupte venue comme scinder le récit. Et le réalisateur d’évoquer une « histoire commençant de manière fort simple sur la vie d’un homme dans une ville américaine ordinaire, avant qu’il ne change et que ses yeux n’en finissent plus de s’ouvrir à travers une succession d’épisodes. » Ordinaire jusqu’à en paraître banal, le cadre de départ de cette drôle d’aventure n’est autre que Omaha, Nebraska, ville d’origine du réalisateur, et point d’ancrage de nombre de ses films. « L’histoire partant dans des directions tellement bizarres, je tenais à l’entamer dans un endroit ordinaire auquel je puisse me rattacher et dans lequel je puisse me reconnaître. Et pour moi, cet endroit n’est autre que Omaha, où j’avais envie de tourner à nouveau, ne l’ayant plus fait depuis About Schmidt, en 2001-2002. Nebraska se déroulait dans l’État du Nebraska, mais pas à Omaha. C’est l’endroit d’où je viens, et j’aime le voir. Le cinéma a cette propriété d’être un miroir où nous sommes en mesure de nous voir et de nous reconnaître, qualité qui s’étend aux lieux également. Martin Scorsese a dit que lorsqu’il avait vu On the Waterfront pour la première fois, et qu’il avait vu les visages des travailleurs des docks, ces visages qu’il n’avait jamais croisés à l’écran mais bien dans les rues de New York, c’était soudain comme si les gens qu’il connaissait avaient eu de l’importance eux aussi. Tout le monde peut ressentir ça… » En l’occurrence, l’ancrage local vaut aussi résonance universelle, comme si le monde, en effet, rétrécissait…
Election (1999)
Afin de donner une leçon à Tracy Flick (Reese Witherspoon), une étudiante à l’ambition dévorante, Jim McAllister (Matthew Broderick), un prof en vue d’un lycée d’Omaha, persuade un de ses élèves (Chris Klein) de se présenter contre elle à l’élection à la Présidence du conseil estudiantin… La satire mordante déborde du milieu scolaire pour envisager le sempiternel rêve américain en dégradés acides, et Election (L’Arriviste en VF), son troisième long métrage, impose le ton et le style d’Alexander Payne…
About Schmidt (2002)
À bientôt 66 ans, Warren Schmidt voit son monde s’écrouler, à la retraite professionnelle s’ajoutant le décès inopiné de sa femme et le mariage annoncé de sa fille unique. Et d’entreprendre le voyage du Nebraska au Colorado pour tenter d’en dissuader cette dernière… Jack Nicholson brille sous les traits de cet homme dissimulant son humanité sous des torrents d’amertume, Alexander Payne ouvrant pour sa part joliment le chapitre road-movie de sa filmographie, que complèteront Sideways et Nebraska.
Sideways (2004)
En guise d’enterrement de sa vie de garçon, Jack (Thomas Haden Church), un acteur déclinant, embarque avec son ami Miles (Paul Giamatti), un écrivain raté, pour un voyage d’une semaine sur la route des vins de Californie. Bien imbibé, le road-trip prend un tour inattendu dès lors que le premier ne veut réprimer son tempérament de séducteur… Ode au vin et à l’amitié, Sideways explore la crise de la quarantaine dans une veine douce-amère. En ressort un film gouleyant, à la saveur délicatement persistante.
The Descendants (2011)
Dans le décor de carte postale de Hawaï, Matt King (George Clooney), un homme à la réussite chevillée aux tongs, voit sa vie basculer lorsque sa femme est victime d’un accident de hors-bord la laissant dans un coma profond. Et de tenter de recoller le puzzle de son existence, tout en devant gérer la vente éventuelle des terres familiales, dernier espace vierge des îles. Payne appose sa griffe sur ce drame intime complexe qu’il décline en humeurs contrastées, atteignant à une belle et rare intensité.
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