Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

JUSQUE FIN MARS, LA FONDATION BEYELER DONNE À VOIR LES TOILES MAJEURES DE PETER DOIG. ET CONFIRME SON TALENT, SI BESOIN ÉTAIT.

Peter Doig

FONDATION BEYELER, 101, BASELSTRASSE 101, À 4125 RIEHEN, SUISSE. JUSQU’AU 22/03.

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Cela pourrait faire l’objet d’un « winterreise » initiatique. L’un de ces voyages d’hiver ressourçants que l’on programme après les Fêtes et leur abondance nauséabonde. L’un de ces périples qui permettent de désencombrer le regard quand celui-ci aspire à la pureté d’un au-delà de la matière. D’accord, il faut aller jusque Bâle. D’accord, c’est en Suisse. Mais le jeu en vaut la chandelle: il garantit une résurrection visuelle -ce n’est pas tous les jours. Dans la ligne de mire, le travail de Peter Doig, peintre britannique né en 1959 à Edimbourg. Prix Turner en 1994, Doig excelle dans une peinture figurative énigmatique qui confronte l’homme tant à « sa » nature qu’à « la » nature. Sous son pinceau, cette dernière est aussi immense que l’être qui la traverse désolé, raison pour laquelle on cite souvent les romantiques allemands à son propos. Ayant grandi à Trinidad et au Canada, cet artiste d’origine écossaise ne peint pourtant jamais in situ. Ce sont des sources photographiques variées -magazines, pochettes de disques, cartes postales…- qui composent la matière première de son travail. Sa marque de fabrique? La puissance chromatique sur laquelle il s’est exprimé à de nombreuses reprises. « Je me sers souvent de couleurs intensifiées pour créer une impression d’expérience, ou le climat, la sensation de l’existence. Mais ce n’est pas un processus scientifique. Je pense que les tableaux renvoient toujours à une réalité à laquelle nous avons tous accès. Nous avons tous déjà assisté à des couchers de soleil incroyables. Nous avons tous fait l’expérience d’une lumière qui s’affaiblit et se réfracte, qui crée un effet naturel étrange; il me semble qu’en un sens, j’utilise ces phénomènes naturels et que je les amplifie par la matérialité de la couleur et par l’activité picturale… » (1) Telle est la force de la peinture de Peter Doig: contre l’individualisme triomphant, elle exhume un vécu commun du monde.

À distance

Plusieurs motifs sont récurrents dans l’oeuvre de ce peintre qui figure sur la liste des artistes contemporains les plus chers du moment. Ainsi du canoë, de la neige, de l’eau… Un tableau comme Echo Lake (1998) condense tout son art. On y voit un personnage (un policier) héler depuis une rive. Derrière lui, une nature vénéneuse aux couleurs anxiogènes. On perçoit également sa voiture comme aspirée par le paysage. A ses pieds, le reflet de l’eau accentue encore le caractère de catastrophe imminente de la scène. On pense d’emblée à la scène d’un film qui aurait pu être tourné par David Lynch ou les frères Coen. Le fameux Cri d’Edvard Munch n’est pas loin non plus. Un cri qui, on le pressent, ne sera jamais entendu, laissant l’homme à distance. A tel point que l’on se demande si ce n’est pas lui qui nécessite un quelconque secours. Le rivage se transformant par la magie de la peinture en une perspective aux contours insulaires. Séparé du monde et mélancolique, le policier que nous observons pourrait très bien être une métaphore du genre humain qui, en dépit des insignes de puissance qu’il arbore, n’est rien d’autre qu’un néant en devenir. Doig peint la dissolution programmée du vivant.

(1) M. HIGGS, PETER DOIG – 20 QUESTIONS, UNIVERSITY OF BRITISH COLUMBIA, 2001.

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MICHEL VERLINDEN

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