Depardieu chante Barbara: « La légitimité? Mais je n’en ai aucune! »

Sur scène, Gérard Depardieu est accompagné par Gérard Daguerre, pianiste de Barbara au cours des quinze dernières années de sa vie. © Josselin CLAIR/belgaimage
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Ni chanteur ni acteur, Gérard Depardieu rend hommage à Barbara, en reprenant ses mots et ses chansons sur scène. (Tentative) d’explication avec l’intéressé, avant sa date bruxelloise, le 17 novembre.

C’est l’hommage d’un monstre sacré à un autre. L’expression est galvaudée. Mais comment mieux décrire le dialogue entre l’icône de la chanson Barbara et l’ogre Depardieu? Un peu plus de vingt ans après la mort de la chanteuse, l’acteur monte sur scène pour rechanter ses chansons. Au départ, il ne devait s’agir que d’un album de reprises (Depardieu chante Barbara). Finalement, une série de premiers concerts ont été organisés aux Bouffes du Nord, à Paris, début 2017. Ce fut un triomphe, autant public que critique. De nouvelles dates ont donc rapidement été programmées. Dont une à Bruxelles, au théâtre Saint-Michel, le samedi 17 novembre.

Autant j’ai vécu de ce métier, autant ce métier m’échappe. Je le laisse à d’autres, aux gens qui ont du talent.

Pour en parler, par téléphone, Gérard est très Depardieu. Un peu décousu, un peu délié. « On vient en Belgique parce que Barbara a passé du temps ici, et a fini par se marier une nuit avec un Belge (NDLR: avec Claude Sluys, en 1955). Il n’y a pas longtemps, j’ai aussi tourné ici avec Bertrand Blier (NDLR: pour Convoi exceptionnel, qui sort en janvier prochain), avec qui j’ai déjà fait six films. Son propos était intéressant. Et on a filmé dans des décors qui ressemblent un peu aux BD de Hergé, et Dieu sait pourtant que je n’aime pas Tintin. » A l’autre bout du fil, on le devine un peu las. Lui qu’on a du mal à imaginer contraint, semble s’exécuter, en bon soldat. Sans doute ne veut-il rien lâcher. Depardieu serait-il en mission?

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Ils étaient amis proches, intimes même, avec tout ce que l’amitié peut supposer d’intensité chez deux artistes hors norme. En 1986, ils étaient montés sur scène ensemble pour le spectacle Lily Passion, sorte d’autobiographie romancée de la chanteuse. De lui, elle disait qu’il était « un voleur d’émotions, un poète médium, hyperémotif, hyper-tout, il mangerait d’amour ceux qu’il aime! » A propos d’elle, il avait confié, lors de ses funérailles: « Tu apaisais mon âme. » De loin, une telle alchimie n’avait pourtant rien d’évident. Elle, grande dame hiératique de la chanson française « classique », qui s’entiche du jeune chien fou, révélé par Les Valseuses, cet ovni dévergondé et rock’n’roll du cinéma français? « Mais moi, je n’ai jamais aimé le rock, ça m’a toujours emmerdé. Je ne comprends pas la question. A sa manière, Barbara était rock’n’roll! Ce n’est pas parce qu’elle chantait des chansons à texte qu’on ne chante plus aujourd’hui qu’elle n’était pas intense. Tout comme Brel, d’ailleurs. Ou Reggiani. »

Depuis la mort de la Dame en noir, le 24 novembre 1997, Depardieu s’était rarement épanché, pudique sur cette complicité unique. L' »anniversaire » des vingt ans de sa disparition, et toutes les évocations qui l’ont accompagné l’an dernier – du film de Mathieu Amalric (Barbara) à l’exposition à la Philharmonie de Paris -, l’ont probablement convaincu de monter au créneau. S’il n’en fallait qu’un pour défendre la mémoire de Barbara, ce serait lui. On sait, par exemple, qu’il s’est opposé à la sortie des enregistrements studio de Lily Passion, longtemps « perdus ». A l’époque, les sessions n’avaient pas convaincu Barbara. Pour pouvoir être finalement publié en 2017, le disque studio a dû se passer de la voix de l’acteur… On l’a aussi entendu vilipender régulièrement le spectacle de reprises de Bruel. Quand on discute avec lui, maintenant, il préfère l’ironie: « Je ne suis pas Patrick Bruel, je ne suis pas doué comme lui. J’essaie juste de répondre à une demande. Je fais ce que je vis, ce que j’entends. » Un peu avant, encore plus prosaïque, il dégoupille: « Il y avait l’anniversaire des vingt ans. Quand j’ai vu que les marchands du temple étaient intéressés, on s’est décidé à y aller. Vous voulez que je le fasse? OK, je vais le faire. »

Depardieu chante Barbara:

Eloge de la fragilité

C’est Gérard Daguerre, pianiste de Barbara durant les quinze dernières années de sa vie, qui a lancé l’initiative, et contacté l’acteur. « Je voulais juste faire un truc sur Internet, dont, par ailleurs, je ne sais même pas me servir… On a enregistré Nantes et A force de (NDLR: écrite pour Barbara par son fils, Guillaume Depardieu, décédé il y a dix ans). Mais, par la suite, Gérard Daguerre a travaillé sur d’autres orchestrations. Finalement, j’ai fait une douzaine de titres en studio, en une matinée. C’est rapide? Oui, enfin, il n’y a pas grand-chose d’extraordinaire à ça. C’est une série d’émotions, et c’est tout, quoi. »

Sur le disque, la voix est fragile, hésitante. Fausse aussi. Et pourtant, bizarrement, l’exercice funambule crée, de fait, une sorte de magie bancale. S’est-il posé la question de sa légitimité à endosser des monuments comme L’Aigle noir, Göttingen, etc.? « La légitimité? Mais je n’en ai aucune! Si ce n’est mon amitié et les souvenirs que nous avions ensemble, et que je me contente de transmettre… Barbara, elle, chantait. Mais elle chantait très vite. Et le public reprenait avec elle ses mots, ses mélodies. C’est peut-être pour ça d’ailleurs qu’elle chantait si vite. Moi j’ai commencé en la chantant lentement. Aujourd’hui, à force, je commence aussi à accélérer. »

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Sur scène, Depardieu se retrouve seul, juste accompagné du piano de Daguerre. Entre les morceaux, il continue de dire Barbara, citée à travers des textes, ou même des extraits d’interviews. Il n’est pas chanteur, n’écoute même pas de musique – « Je n’achète pas de disques, je n’écoute que la radio, France Musique. Je n’ai aucune d’idée de ce qui sort. » Est-il alors acteur? Il souffle: « Oh, je ne sais pas ce que c’est, un acteur. Je vais vous dire: j’ai vécu des aventures théâtrales, j’ai joué Molière, Marivaux, un peu de tout. Mais je ne sais pas si je suis un acteur. J’espère échapper à cette dénomination. Je suis quelqu’un qui crée, c’est tout. Autant j’ai vécu de ce métier, autant ce métier m’échappe. Je le laisse à d’autres, aux gens qui ont du talent. »

Ils sont rares à pouvoir se contenter d’être eux-mêmes. Depardieu, aujourd’hui, peut se contenter d’être Depardieu, c’est assez pour réussir à faire revivre les chansons de Barbara, comme nul autre. Monstre sacré, écrivait-on? Sacré, en effet, presque littéralement, comme indéboulonnable, malgré ses frasques – et même aujourd’hui une accusation de viol qui aurait fait tomber n’importe qui d’autre. Et monstre donc, à la fois brutal, fruste, mais aussi immensément fragile, le seul peut-être à pouvoir rendre tout à fait justice au répertoire de Barbara. « J’aime les mots. Et le silence entre les mots. On n’a besoin que de ça. »

Depardieu chante Barbara, distr. Because.

En concert au théâtre Saint-Michel, à Bruxelles, le 17 novembre, à 20h. www.theatresaintmichel.be

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