Laurent Raphaël
Mal de vivre
La pureté biblique n’est plus au programme, si tant est qu’elle l’ait été un jour. Tout le monde a désormais les mains sales.
L’édito de Laurent Raphaël
Si l’on en croit le diagnostic rendu en temps réel par les films, les séries télé, les romans ou les pièces de théâtre, ces thermomètres plantés dans le derrière de notre belle époque, il est devenu impossible de traverser le fleuve tumultueux de la vie sans s’y noyer quelques fois. La pureté biblique n’est plus au programme, si tant est qu’elle l’ait été un jour. Tout le monde a désormais les mains sales. Ou au minimum un ongle, un doigt ou une paume. Quand ce n’est pas le fric qui se charge de détourner les oies blanches du droit chemin, comme s’en désole l’éternel révolté Costa-Gravas dans Le capital, c’est la soif du pouvoir qui pousse le moindre gradé dans les bras du vice. A l’image du maire de Chicago, Tom Kane, pièce maîtresse de la formidable série Boss et catalogue ambulant de toutes les turpitudes qu’un homme est prêt à commettre pour garder la main sur ses petites affaires et tenir en laisse ses affidés. Coups tordus, chantage affectif, intimidations et plus si nécessaire, rien n’est trop laid pour conserver le volant. On peut aussi compter sur Internet, son flot d’images carnassières et dégradantes, ses accès directs aux caves de l’humanité, pour faire monter la pression et donner de mauvaises idées. Et quand cette lave incandescente entre en contact avec le gaz instable de l’adolescence, c’est l’explosion de violence assurée. Deux ingrédients qui irriguent Happy Slapping, la pièce à combustion juvénile de Thierry Janssen à l’affiche de l’Atelier 210.
Et comme si le sentier n’était déjà pas assez miné comme ça, voilà que la religion s’en mêle pour démoraliser, au sens premier, les troupes. Sous prétexte d’être les dépositaires de l’onction divine, ses représentants autoproclamés s’empressent de justifier les petites et grosses entorses au règlement de bonne conduite, pourvu que le crime fasse avancer la cause. Et voilà comment sous l’uniforme pimpant d’un soldat au-dessus de tout soupçon, sauf pour une blonde bipolaire shootée aux médocs et au jazz, se cache en fait un dangereux kamikaze passé du côté islamiste de la force. On n’invente rien, c’est le scénario ténébreux et un poil flippant de Homeland. La métamorphose d’un homme apparemment sain et équilibré en assassin fanatique est aussi au centre du roman Jimmy le terroriste de Omair Ahmad. Vengeance pour l’un, désespoir pour l’autre. Le chemin de la foi ressemble décidément à un chemin de croix… Pour ne rien arranger, même les meilleures intentions du monde n’immunisent plus contre la barbarie. C’est ce que nous explique entre les lignes de vie Haneke dans Amour, long poème visuel sur les limites de l’acceptable au nom des sentiments. A croire que le Mal finit toujours par l’emporter. Une réflexion qu’a dû ruminer le personnage intègre de Mads Mikkelsen dans La chasse, lequel se retrouve traqué comme du gibier par ses ex-amis au nom d’une rumeur aussi solide qu’une brindille. Le bureau chargé des rédemptions va avoir du boulot dans les prochaines années. Répétez après moi: honni soit qui mal y pense…
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