HUIT DANSEURSSAUTENT PENDANT 1 HEURE, UN DUO FEND DE SES BRAS UN TRIANGLE IMAGINAIRE PENDANT 50 MINUTES. À L’AFFICHE DU FESTIVAL DES BRIGITTINES, DEUX CHORÉGRAPHIES INTERROGENT LA RADICALITÉ EN DANSE.

A Ostende, au Theater aan Zee (TAZ), le public s’est levé pour applaudir The Dog Days Are Over de Jan Martens. Huit danseurs et danseuses -costumes « fitness » shorts et collants- se pointent sur scène, enfilent leurs baskets. Ni musique, ni lumière. En ligne, ils s’enclenchent par petits bonds jusqu’à sauter et ne plus s’arrêter. Les variations sont à l’infini. On saute en s’alignant, se dispersant, en étoile, s’échangeant les places, de face, de dos, la fesse balancée, tranquille en claquant des doigts… parfois, on les entend compter. Les baskets crissent sur le sol, la sueur abonde, le souffle apparaît. On reste scotchés dans le trip basique, proche de la performance. On entre dans la spirale infernale. Et puis, il y a la beauté d’une scène, d’une lumière qui assombrit les danseurs à mesure qu’un morceau de Bach envahit la salle. Un spectacle radical où à partir d’un « bête » saut, le jeune chorégraphe anversois Jan Martens réussit son coup. « Je voulais, nous dit-il, interroger l’être ensemble, le groupe versus l’individu, le masochisme, le regard du public (qui sommes-nous pour aimer voir d’autres gens souffrir?). Je pars d’une idée radicale, d’une image forte, qui reste, répétée, recommencée à l’infini. Parfois on a l’impression que les danseurs portent la chorégraphie, parfois c’est l’inverse. Ils deviennent exécuteurs d’une partition qui risque à tout moment de les dépasser. Quand le danseur se perd dans le compte, il dit: « Count! » et fait appel au groupe. Mais la chorégraphie reste minimaliste, c’est une réponse métaphorique à la surinformation de l’époque. »Vécu de l’intérieur, par un des danseurs, Steven Michel: « Il faut un mental fort et cela aide d’être en groupe. Dès le moment ou le bond se transforme en saut, je sais que la machine est en route et ça va durer 1 heure. Comment tenir et se surpasser? On est dans l’esprit d’un spectacle, pas d’une salle de fitness. A la fin de la traversée, c’est une victoire: on s’est aidés. »

Une idée, jusqu’au bout

En danse contemporaine, le champ d’expérimentations est immense, qui défie les possibles. Images et performances récentes en vrac: danser au fond d’une piscine, sur un ring de boxe, à poil et en tutu, avec un caddy de supermarché, avec un orchestre live, en explorant tous les arts (peinture, littérature, ciné), avec Bach et chemises Hawaï, en se lançant des pierres, sous de l’huile d’olive déversée en continu, en plongeant dans un aquarium, sur des auto-tamponneuses, en présence d’animaux, en séparant la salle entre femmes et hommes, en faisant danser des enfants, des amateurs, des seniors, des handicapés, des putes… Bref, la liberté totale. Mais quand tout a été fait, peut-on encore parler de « radicalité »? « Tout a été fait, oui et non, explique Patrick Bonté, directeur du Festival des Brigittines. Si on cherche juste à nous étonner, alors effectivement, on a tout vu. Mais il y a des façons d’être, de bouger, de porter le geste et l’extravagance du corps qui sont à explorer, où l’invention est toujours possible. Il y a radicalité et radicalité. Certains s’enferment dans une idée trop pauvre qu’ils n’arrivent pas à partager avec le spectateur. Mais d’autres vont jusqu’au bout de leur pensée et de leurs enjeux. »

Autre chorégraphie déboussolante, Hérétiques d’Ayelen Parolin, jeune chorégraphe basée à Bruxelles (lire portrait page 4). Face à nous, deux danseurs côte à côte, ancrés au sol, statiques, le regard droit, vont décoller dans une savante chorégraphie où ne bougeront que les bras et les mains fendant l’espace dans une géométrie triangulaire assez retenue. Eux aussi nous embarquent dans leur trip « transe », hypnotique, dans un voyage intérieur imbibé de sueurs, laissant s’échapper leur souffle, les veines du cou de plus en plus perceptibles, trahissant la folie de la chorégraphie « basique » et radicale. « J’avais envie, explique Ayelen Parolin, de prendre une forme et de la déformer petit à petit presque jusqu’à l’infini. C’est extrême mais pas par caprice. Le spectacle commence d’une façon aride, lente, sans musique, ce qui permet d’entrer dans sa substance, d’apprécier son évolution, sa densité, sa continuité. Ça peut angoisser le spectateur ou le mettre mal à l’aise, c’est un risque que je prends. S’il accepte cela, il est prêt à entrer dans le voyage, dans la couleur du spectacle. »

Sans concessions dans leurs propositions, The Dog Days Are Over et Hérétiques demandent un effort de concentration du spectateur. « Mais, poursuit P. Bonté, icila radicalité n’est pas du « m’as-tu-vu artistique ». Ces deux chorégraphes vont jusqu’au bout du simple geste, avec un rapport fort à « comment échapper à l’unisson ». Une obsession du geste unique ou du vocabulaire très serré sur lui-même. On en vient à dépasser ce que l’on voit et à entrer dans ses propres pensées ou dans celles suggérées dans le spectacle. Comme si on avait devant nous un mandala où on approfondissait une sensation ou une pensée. » En effet…

THE DOG DAYS ARE OVER LE 04 ET 05/09 À DE SINGEL D’ANVERS (WWW.DESINGEL.BE) + TOURNÉE (WWW.JANMARTENS.COM). HÉRÉTIQUES LE 27/08 AU FESTIVAL INTERNATIONAL DES BRIGITTINES (WWW.BRIGITTINES.BE). WWW.AYELENPAROLIN.BE

TEXTE Nurten Aka

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