Dans « Un coup de maître », Bouli Lanners peintre à l’écran comme à la ville: « Pour moi, la peinture reste au centre de tout »
Bouli Lanners renoue avec ses automatismes de peintre dans Un coup de maître de Rémi Bezançon. Un rôle qui sied bien à celui pour qui la réalisation, c’est terminé.
« Un coup de maître, c’est d’abord un film sur l’amitié, situé dans un milieu que l’on ne voit pas souvent au cinéma, le monde de l’art contemporain. Je m’y retrouve à bien des égards, dans mon intérêt pour la peinture bien sûr, mais aussi dans cette relation d’amitié qui n’est pas éloignée de celle que je partage avec mon producteur.” Alors que l’on écoute la voix chaude et familière du cinéaste et comédien liégeois, on se dit que pour lui, cette aventure cinématographique tient tout autant de la récréation que de la friandise, de la petite parenthèse bienvenue dans une actualité ô combien chargée. D’autant qu’il retrouve derrière l’écran Vincent Macaigne, déjà croisé dans Chien de Samuel Benchetrit. Un plaisir de (re)jouer du pinceau, avec un partenaire complice.
Lanners interprète Renzo Nervi, un peintre entier et bougon, qui a connu son heure de gloire avant d’être placardisé pour cause de changement d’air du temps. À ses côtés, son galeriste et confident Arthur tente de lui maintenir la tête hors de l’eau. “Le film interroge la notion de notoriété: qu’est-ce qui fait qu’on devient has been? Et pourquoi cela a-t-il un tel impact sur notre santé mentale? C’est très questionnant pour les auteurs, j’ai vu beaucoup de gens tomber en dépression, moi-même je suis passé par là. On a tous fondamentalement besoin d’être aimés, c’est même l’un des moteurs de la création. Perdre l’estime ou l’admiration des gens, c’est très dur à vivre.”
Arthur fait preuve de trésors d’imagination pour extraire Renzo d’un milieu devenu toxique, dans un retournement de situation assez jouissif. “C’est un drôle de milieu que celui de l’art, constate Lanners. Très peu de gens y font la pluie et le beau temps. À Bruxelles depuis 25 ans, ce sont trois ou quatre galeries qui gèrent le marché, et si on se met mal avec elles, on a peu de chance de développer une carrière. C’est encore plus violent et élitiste que le cinéma.”
Ce qui interroge aussi, c’est l’accès du public aux œuvres et à l’émotion picturale. “Moi je viens d’un milieu populaire, je n’étais pas du tout versé dans la culture. Mon premier émoi artistique, c’est quand à 12 ans, dans la librairie de mon village, je suis tombé sur une nouvelle collection de livres d’art, le premier était gratuit, ensuite il fallait s’abonner. J’ai pris juste le premier, consacré aux impressionnistes. C’était la première fois que je ressentais un émoi qui n’était lié ni à un truc maternel, ni à un truc sexuel, et ça m’a donné envie de faire de la peinture. Tout le monde peut être sensible à l’art, le tout c’est d’offrir l’accès aux gens. Le problème des galeries, c’est qu’elles ne sont pas faites pour le commun des mortels. Il y a les musées heureusement, mais les gens n’y vont pas naturellement. Les impressionnistes, c’est une bonne clé pour entrer dans le monde de la peinture, un accès facile.”
On se dit qu’interpréter un peintre, une première pour lui, c’est un peu un cadeau pour Bouli Lanners. “C’est vrai que ça m’excitait beaucoup. J’ai recommencé à peindre il y a quatre ans. Retourner dans un atelier, c’était un vrai bonheur. Entre les prises, je peignais, j’étais bien. Les toiles ont été imaginées par trois étudiants de l’académie de Varsovie, mais j’ai pu créer l’une d’entre elles en m’inspirant de leur travail.”
La peinture, c’est le premier amour artistique de Bouli Lanners, sa formation et la genèse de toute sa créativité. Elle était là au début et a donné le ton aussi à la forme de son cinéma. “Pour moi, la peinture reste au centre de tout, confie-t-il. Même pendant les 27 années où je ne peignais pas, où le cinéma a pris toute la place dans ma vie, j’allais voir mes amis dans leurs ateliers, j’avais besoin de sentir l’odeur de l’huile, des sédatifs, des diluants, d’aller voir des expos, des rétrospectives. Dans le cadre de mes films, ce que je ne peignais pas, je le reproduisais à travers l’image, c’est sûrement pour ça qu’il y a beaucoup de paysages, et ce format “scope”. Même l’écriture passait d’abord par la recherche de décors. La peinture est toujours restée centrale dans ma vie. Et là, je fais tout pour que la peinture retrouve sa place dans la dernière phase créatrice de ma vie. C’est pour ça que j’arrête la réalisation. Pour me concentrer sur ce qui est là depuis mon enfance, et que je n’ai jusqu’ici pas pu assumer complètement, parce qu’il faut bien gagner sa vie.”
“Ce qui me dit d’arrêter, c’est mon corps”
Bien sûr, on le questionne sur cette décision: n’a-t-il plus de films en lui, comme son personnage Renzo n’a plus de tableaux, avant de trouver un second souffle? “J’ai le sentiment que si je continue à réaliser, je vais faire face à une page blanche. Les films que j’ai faits jusqu’ici, j’avais besoin de les faire. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, si je fais un film, c’est juste parce que j’ai le statut de réalisateur. J’ai l’impression aujourd’hui d’être dans un systématisme, et ça m’essouffle. Et puis, depuis que je donne cours à l’Insas, il y a 150 jeunes réalisateurs et réalisatrices qui sont sortis de l’école. Il faut faire place aux jeunes, il faut bien que les choses s’équilibrent! Cela dit, je compte bien continuer à écrire des scénarios, que je vais proposer à des cinéastes avec l’idée de jouer dedans. L’écriture, c’est comme la peinture, on peut tout se permettre.”
Cette liberté envolée derrière la caméra, Bouli Lanners l’entrevoit dans son atelier, entre ses toiles, et les marionnettes qu’il a appris à restaurer (en novembre prochain, Bouli Lanners et sa compagne Élise Ancion ouvriront à Liège leur propre théâtre de marionnettes)“En peinture, je fais ce que je veux. Entre le travail fini et moi, il n’y a que le pinceau, pas d’intermédiaire, pas de commission. Même chose avec les marionnettes, j’écris, je joue, c’est notre théâtre, on est complètement indépendant, on ne dépend d’aucun subside. Je fais ce que je veux, c’est une économie de moyen qui me correspond mieux.”
Un coup de maître **(*), de Rémi Bezançon. Avec Bouli Lanners, Vincent Macaigne. 1 h 31. Sortie: 16/09.
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