Derniers contestataires: et l’impolitesse, bordel?

La déjantée bande de Groland et le mordant Nicolas Bedos mettent du poil à gratter dans les kiosques. L’occasion de planter le thermomètre de l’impertinence dans le derrière de l’époque…

Groland, L’Almanache 2012, Éditions de L’Amphore.

Journal d’un mythomane Vol. 1, de Nicolas Bedos, Éditions Robert Laffont.

« Que la droite se rassure nom d’un cul de chameau belge, Martine Aubry ou Ségolène Royal me semble aussi crédible en leader socialiste qu’un jogger à Ray-Ban en président de la république. » On aurait pu en choisir mille autres mais ce petit extrait, c’est du Nicolas Bedos tout craché. Dans Journal d’un mythomane Vol. 1, compilation de ses interventions chez Franz-Olivier Giesbert (Semaine critique) agrémentées de chroniques écrites pour la radio et de nouvelles parues dans la presse, le gamin de Guy tape sur tout ce qui bouge. A droite comme à gauche. « Je suis étonné par le buzz que chacune de mes interviews suscite. J’ai récemment enchaîné 4 plateaux de télévision et à chaque fois j’ai explosé l’audience. Je le dis sans vouloir me branler. C’est pas tout à fait normal. Ça veut dire qu’il y a un affadissement de la parole à la télévision. Je ne cherche pourtant pas à créer le scandale. J’ai tendance malheureusement à être sur un plateau comme dans mon salon. Et apparemment, dans mon salon, je dois être bizarre. »

Le fils Bedos est un insolent, un impertinent. Un humoriste résistant. Comme Guillon, Alévêque. Et dans un tout autre esprit comme Delépine, Salengro et l’anarchique bande de Groland. Elle aussi, enfant de la télé, a pris d’assaut toutes les bonnes librairies avec son Almanache. Ses groverbes (« pluie en janbier, clochard mouillé », « qui viole un oeuf viole un boeuf »), ses inventions (sac à chien jetable, tondeuse Led Zep) ou encore sa nuit des faux-culs (le 31 décembre)… « Quand tout a commencé, l’idée pour nous était de créer un pays imaginaire parce que celui dans lequel on vivait nous énervait un peu, se souvient Benoît « Michael Kael » Delépine. A l’époque, on n’avait pas encore Sarkozy mais on avait déjà Pasqua. »

L’an prochain, la Présipauté fêtera ses 20 ans. Vingt piges de télé. Des plombes quand on connaît l’humour féroce et corrosif de Jules-Edouard Moustic et de son équipe. Même quand on parle de Canal+, depuis longtemps tanière des effrontés, qu’ils s’appellent Antoine de Caunes, José Garcia, Les Nuls, Yann Barthès…

« Canal n’accepterait plus un projet comme le nôtre aujourd’hui, pense tout haut le président Salengro. On a la chance de tenir une position mais démarrer un nouveau truc à la télé me semble vraiment compliqué désormais. Tout s’aplatit. » « C’est même gravissime, rebondit Delépine. J’ai une télé chez moi où il n’y a que les chaînes normales et la TNT. C’est une caricature de télévision. De la télé comme à l’époque de Berlusconi en 80. C’est zéro. Minable. Qu’on le veuille ou non, il y a un vrai verrouillage intellectuel des médias en France. Il y a un sarkozyste dans chaque chaîne, chaque journal. »

Balle dans le pied

De la télé, malgré le succès de ses chroniques nocturnes pourtant en concurrence avec les films de boules, Nicolas Bedos n’en a fait qu’un an. C’est beaucoup et peu à la fois pour « un suicidaire narcissique qui s’en branle, aime le danger et en même temps est très soucieux du regard des autres ». Bedos sait qu’on ne peut pas être vraiment impertinent sans pertinence. « Je me suis tiré une balle dans le pied parce que je voulais éviter la formule. Continuer à me faire peur. Et quand un truc devient systématique, il ne fait plus peur à personne. Je connais des gens qui peuvent faire ce qu’ils veulent, montrer leur bite, insulter leurs parents, dire du mal des Musulmans, on n’en parlera nulle part parce que ça n’a plus rien de surprenant. L’impertinence, c’est aussi avoir conscience de qui on est histoire de savoir quoi transgresser. Tout le monde ne peut pas être impertinent parce qu’il y a des gens, ça pourrait être mon cas si je montre un peu trop ma gueule, qui se sont banalisés de telle sorte que plus rien n’est gênant dans leur bouche. Mon pote Jean Dujardin m’a dit: « Ce qui est intéressant avec toi, c’est que tu parles comme si tu allais mourir demain. » » Vite. Très vite. Et sans sembler se soucier du qu’en-dira-t-on.

« Le fait que je tape de temps en temps sur les Arabes, que je puisse parler d’inceste en évoquant ma mère comme si c’était une pute… Tout ça choque énormément les gens parce qu’on sent qu’il y a chez moi un fond de fantasme et de véracité. Je crois qu’elle est là la différence. On sent que je parle peut-être un peu vraiment de ma meuf. Que je parle peut-être un peu vraiment de mon père. Que je mélange un truc bidon avec un autre qui n’est pas complètement faux. Que j’ai peut-être été en boîte jusque 5 heures du mat parce que j’ai peut-être vraiment l’oeil rougi par la nuit. Qu’est-ce qui est vrai et qu’est ce qui ne l’est pas? Les gens se disent: ce mec est en train de nous raconter quelque chose qui lui sort des tripes. Il est peut-être en train de régler ses comptes devant nous et on ne réalise pas parce qu’il se marre et qu’il ne l’avouera jamais. »

Lapin dans les phares

Comme le faisait récemment remarquer Giesbert, directeur du Point, le politiquement correct coud les bouches et serre les culs. Certains sujets supportent ainsi nettement moins bien l’impertinence que d’autres. La religion, les Juifs, les hommes politiques… Bedos et Delépine en ont tous deux fait l’expérience. « Chez Les Guignols, j’avais travaillé sur le sketch de Bernadette Chirac qui se caressait avec son sac à main, se souvient Delépine. Les Chirac regardaient et ils sont devenus fous. Le président appelle ton patron, Lescure, chez lui. T’es convoqué le lundi matin. Les mecs qui se marraient devant l’émission tout à coup, le lundi, ça ne les fait plus rire du tout. « J’ai pensé à ma mère. C’était honteux ton truc. » Mais wohoho… Tu rigoles? T’étais là. Tu t’es marré. Dès que t’es dans les phares de voiture, tu es le lapin. »

« En même temps, il ne faut pas se plaindre des conséquences de son impertinence. Parce que les conséquences même quand elles sont graves sont la condition sine qua non de son existence, note Bedos. Sans conséquences, ça ne s’appelle plus du courage. Ça ne s’appelle plus de l’impertinence. Si je ne prenais pas de risques, si j’animais un jeu télé, les gens oublieraient de m’insulter et de me cracher à la gueule dans la rue. »

Les patrons oublieraient peut-être aussi de menacer leurs employés. « On a eu très peur quand Alain de Greef qui nous avait embauchés à Canal a été obligé de partir. Il a été remplacé après quelques soubresauts par Rodolphe Belmer. Toujours notre patron actuel. Belmer était responsable des études marketing de Canal. Quand on a appris ça, on s’est dit: « Merde, on est foutus. » Et en fait, on était sauvés. Parce qu’il est à l’écoute des téléspectateurs. Farrugia (ndlr: Le Nul) aurait pu nous virer en 2 secondes. Genre: « Ouais, finalement je les aime plus. » Le mec est particulier. Il vote Sarkozy. Tu as tout compris. Il nous a quand même fait la leçon: « C’est bien votre truc mais ça coûte trop cher. Regardez, je peux le faire pour que dalle avec un accessoire et 2 jeunes. » »

Web insolence

On vit une époque formidable… Souvent bâillonnés à la télé, les humoristes ont depuis quelques années tout le temps et la liberté de s’exprimer sur le Web. Liberté de ton, de format, d’insolence… « Internet est la pire et la meilleure des fenêtres. Je dois tout au Web et il peut me défaire, reconnaît Bedos. Internet, c’est la versatilité absolue des commentaires. C’est l’embrasement. Positif et négatif. C’est ce que je déteste le plus et ce à quoi je dois tout. »

Quand l’émission de Franz-Olivier Giesbert faisait 500 000 spectateurs, la semaine mythomane du fils à Guy était vue par un million et demi de surfers sur le Web. « A un moment, je n’ai plus utilisé l’émission que comme un décor. Je me suis adressé directement aux internautes. Toi, jeune bloggeur… J’ai bien compris, moi, que c’était ça ma vitrine. Je suis le premier bénéficiaire, du moins en France, de la séquence courte sur Internet. Il y a eu Bref, ensuite. Mais c’est dans un autre registre. Me retrouver posté sur Facebook avec mes monologues, ça m’a sauvé. En plus, ça m’a permis d’accéder à une génération qui ne connaît pas bien mon père. Qui n’est pas du tout dans la comparaison permanente. »

Le président Salengro sait lui aussi ce qu’il doit au Web. Convaincu de sa force de mobilisation. « Au-delà des audimats officiels, des tas de mes citoyens nous regardent sur Internet. Je sais que si on dit « Levez-vous Grolandais », ils vont se lever. Pas forcément à 8 heures du mat mais ils vont se lever. »

Julien Broquet

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