Better Call Saul: « une bonne série télé se juge à la qualité de son spin-off »
C’est l’événement télé de ce premier trimestre 2015: la diffusion sur AMC puis Netflix (dès ce 9 février) du spin-off attendu depuis le final, exemplaire, de Breaking Bad. Alors, Better Call Saul: fausse bonne idée ou nouveau coup de maître? Rencontre exclusive avec ses créateurs, Vince Gilligan et Peter Gould.
Novembre 2014. Netflix met les petits plats dans les grands à L.A. en vue de la diffusion prochaine de Better Call Saul, le spin-off d’un Breaking Bad au culte que l’on sait, mort de sa belle mort à l’automne 2013. Au sommet venteux d’un hôtel du West Hollywood plongeant sur Beverly Boulevard, des journaleux des quatre coins du globe se bâfrent de micro-sandwiches au saumon fumé avant de rencontrer la paire de créateurs Vince Gilligan-Peter Gould par grappes industrielles. Et totalement à l’aveugle puisque, hormis un maigre trailer et un vague pitch –Better Call Saul se centrera sur le personnage de Saul Goodman, avocat véreux à la tchatche légendaire et au verbe fleuri, six ans avant qu’il ne fasse la connaissance de Walter White, et alors qu’il s’appelle encore Jimmy McGill-, la production n’a rien laissé filtrer, bétonnant même le mystère à grands coups de signatures d’embargos. Ambiance trendy mais moyennement conviviale, donc, qu’auront toutefois tôt fait de décoincer les deux auteurs-vedettes, modèles d’intelligence et d’affabilité sous les rafales de questions plus ou moins geeks jetées à la volée.
L’idée de faire un spin-off de Breaking Bad flotte dans l’air depuis un moment déjà. Quel a été le véritable déclencheur de ce Better Call Saul?
Vince Gilligan: Nous en parlons sur le ton de la blague depuis ce fameux épisode de la saison 2 de Breaking Bad écrit par Peter où le personnage de Saul a fait pour la première fois son apparition. Régulièrement, on avait des idées qui nous plaisaient mais que l’on ne pouvait pas se permettre d’intégrer dans la série, alors on se charriait: « Quand nous créerons notre spin-off autour de Saul Goodman, on pourra faire ci ou on pourra faire ça… » La blague est devenue à ce point récurrente que nous avons fini par envisager l’idée que ça n’en reste pas qu’au stade de la simple boutade. Et puis un jour, c’était durant les tout derniers mois de montage de Breaking Bad, nous avons descendu quelques bières et nous sommes lancés dans une longue marche afin d’en discuter plus sérieusement. A quoi pourrait bien ressembler ce spin-off? Un sequel ou bien plutôt un prequel? Une comédie découpée en épisodes de 30 minutes ou bien un drame avoisinant l’heure chaque semaine?
Peter Gould: Il fallait d’évidence qu’il y ait un ADN commun avec Breaking Bad, mais sans pour autant s’orienter vers une pâle copie. Nous sommes progressivement tombés d’accord sur le fait que nous étions plus à l’aise, en termes d’écriture, avec un format d’une grosse cinquantaine de minutes par épisode. Et puis durant la fête de fin de tournage de Breaking Bad, notre Saul, Bob Odenkirk (lire son portrait dans le Focus du 6 février, ndlr), a pris la parole: « Au bout du compte, la grandeur d’une série télé se juge toujours à l’aune de la qualité de son spin-off. » (rires) C’est bête à dire mais c’est à ce moment précis qu’on a su qu’il fallait se lancer (sourire).
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En cristallisant ses enjeux autour du personnage de Walter White, Breaking Bad a en quelque sorte redéfini la figure du anti-héros à la télévision. A ses côtés, Saul a toujours fonctionné comme l’élément comique, le side-kick qui permettait de relâcher la pression…
P.G.: C’est vrai. Si Saul est un anti-héros, alors c’est une espèce d’anti-héros radicalement différente. Walt était plein de colère, de noirceur et de… cancer (rires). Tandis que Saul est bourré d’énergie, quelqu’un qui se relève toujours et rebondit.
V.G.: Il n’en est pas moins un véritable sociopathe, mais un sociopathe attachant. C’est un voyou plus qu’un vrai méchant. Je le trouve d’ailleurs plus attachant encore dans ses jeunes années, en tant que Jimmy McGill. Ceci dit, l’un des principes cardinaux de ce spin-off tient au fait que nous nous donnons énormément de flexibilité chronologique dans la narration. Nous nous réservons par exemple le droit de partir dans un lointain flash-forward, puis de revenir en arrière. Il n’est donc pas exclu que nous y soyons plusieurs fois confrontés au Saul de l’après-Breaking Bad (sourire).
On ne compte plus les personnages d’avocats à la télévision aujourd’hui. Pour autant, on imagine mal Better Call Saul ressembler à une énième série juridique…
P.G.: En effet. Pour la simple raison que Saul est moins un avocat spécialisé dans les affaires criminelles qu’un criminel spécialisé dans les affaires juridiques (sourire). Si la série sera évidemment amenée à traiter de questions légales, elle le fera dans une perspective très différente de ce que vous avez l’habitude de voir à la télévision.
V.G.: Généralement, les séries juridiques évacuent les étapes emmerdantes d’une affaire pour s’orienter le plus rapidement possible vers le verdict final. Notre petit plaisir a plutôt été de faire ressortir toute la drôlerie de ces moments chiants (sourire). Ceci étant, Better Call Saul ne tourne définitivement pas autour d’une affaire à résoudre. Il s’agit plutôt de raconter un personnage et son évolution, personnelle comme professionnelle. En cela, le rapprochement avec Breaking Bad est inévitable: le récit tend à nouveau vers l’idée d’un empire à construire.
Better Call Saul débute six ans avant la rencontre d’avec Walter White et Jesse Pinkman. Y a-t-il une raison spécifique à cela?
V.G.: Parfois, ce genre de décision ne tient qu’à une question purement logistique: de combien d’années sommes-nous capables de rajeunir un acteur (sourire)?
P.G.: On voulait aussi faire débuter la série à un moment où Saul ne trempe pas encore jusqu’au cou dans les affaires criminelles. Sachant que lorsqu’on le découvre dans Breaking Bad, il semble connaître tous les malfrats de la ville d’Albuquerque, et toutes les embrouilles possibles et imaginables. Ça nous intéressait de montrer comment il en était arrivé là. Et on savait que ça avait dû lui prendre plus que quelques simples mois. Quelques années semblaient plus plausibles.
Pour revenir au ton de la série, comment envisagez-vous le dosage entre le drame et la comédie?
V.G.:Breaking Bad était tellement sombre que dès que nous avions l’occasion d’y injecter un peu d’humour, on s’engouffrait dans la brèche. Better Call Saul en est en quelque sorte le double inversé: plus drôle que noir, définitivement. Et pourtant, au final, le show est plus sombre que nous ne le prévoyions, le parcours de Jimmy McGill charriant aussi son lot de questions existentielles. D’une manière générale, nous trouvons les séries dramatiques trop souvent prétentieuses. Nous aimons l’humour. Et puis le mélange des genres nous semble tout simplement être une meilleure façon de rendre compte du réel. Le drame et la comédie sont comme le yin et le yang de l’existence.
Avez-vous déjà eu le sentiment d’avoir été trop loin dans la noirceur avec Breaking Bad?
V.G.: En tant qu’auteurs, nous avons la chance de jouir d’une liberté quasi totale chez AMC (petite chaîne câblée pourvoyeuse de séries comme Mad Men ou The Walking Dead, ndlr). Il y a bien eu cette scène, à la fin de la deuxième saison, où Walt laisse consciemment Jane, la copine droguée de Jesse, s’étouffer dans son vomi et mourir. Là j’ai reçu un coup de fil un peu affolé des responsables de la chaîne, et je dois dire que j’ai compris leur inquiétude. Moi-même je me demandais si on n’avait pas été un peu trop loin.
P.G.: Ils ignoraient que la première version de cette scène était pire encore (sourire). A l’origine, en effet, Walter préparait et injectait lui-même la dose fatale d’héroïne pour se débarrasser d’elle. A ce stade de la série, c’était sans doute un peu too much.
BETTER CALL SAUL, À PARTIR DU 8 FÉVRIER SUR AMC, ET DÈS CE 9 FÉVRIER EN VO SOUS-TITRÉE FRANÇAIS SUR NETFLIX.
Dans le Focus du 6 février, l’interview et portrait de Bob Odenkirk.
REVIEW: Better Call Saul, S01E01 ****
Les six premières minutes fascinent: dans un noir et blanc voilé de mélancolie, on y découvre le Saul Goodman de l’après-Breaking Bad, moustachu, dégarni, solitaire et fatigué. Flash-back. Jimmy McGill n’est encore qu’un homme de loi peu dégourdi, clown triste et passablement foireux croulant sous les factures dans son bureau miteux, en quête de clients à défendre, certes, mais surtout d’un cadre où déployer son talent peu commun de storyteller-né… Bande-son au poil, mise en scène au cachet immédiatement reconnaissable, narration hyper maîtrisée: en une toute petite heure, la paire Gould-Gilligan rassure, déroulant un pilote étonnamment plombé mais d’une classe folle, jusqu’à son twist final, parfait. L’avenir, bien sûr, nous dira si la suite est à la hauteur des promesses en germe ici -cette première saison s’étendra sur dix épisodes, la suivante, déjà confirmée, en comptera treize. En attendant, la technique de pêche est royale: un énorme hameçon planté dans la gueule du sérievore patenté. A suivre, donc…
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