Tracks a 20 ans: dix émissions cultes, commentées (vidéos)

Les Mutants cyborg © Arte
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Émissions spéciales, célébrations sur le Web… Tracks, le programme télé le plus défricheur et impertinent de la culture, fête ses 20 ans. Biographie en vidéos commentées par deux de ses rédacteurs en chef.

L’un ressemble à Kid Congo. Veste flamboyante, petite moustache, teint hâlé et sourire permanent au coin des lèvres. L’autre est nettement plus grand, grisonnant et charpenté. David Combe et Jean-Marc Barbieux se sont rencontrés sur TF1 où ils travaillaient dans une émission de Paul Amar (Le Monde de Léa). Aujourd’hui, « une semaine sur deux » (l’autre est gérée par les Allemands), ils sont les rédacteurs en chef de Tracks. Le programme culturel le plus décapant, impertinent et intéressant du PAF. Pour ses 20 ans, les deux hommes racontent leur freak show à travers dix de ses sujets, dans leurs bureaux rue de Charonne à Paris où s’entassent aussi leurs collaborateurs…

Tracks spécial rétro-futur, le 08/09 à 23h55 sur Arte.

Rock and drôle (10/01/1997)

David Combe: « L’émission a été lancée en janvier 1997. Christophe Tison était à sa tête. Je me souviens d’un sujet « Rock and drôle ». Il suivait des rockeurs alternatifs français qui essayaient de faire les rigolos. Une scène musicale autour de l’humour. »

Jean-Marc Barbieux: « Quand tu regardes une émission culturelle, la plupart du temps, tu imagines aisément les mecs qui la font. C’est pas très rigolo. On te dit souvent en télé que la culture est segmentante. Qu’elle n’intéresse qu’une partie de la population. Les émissions musicales, c’est même un peu leur plaie. Tracks a tout explosé. Avec Tracks, ce qui est devenu important, c’est l’énergie que les artistes dégagent. On donne des clés pour essayer de comprendre des gens pas nécessairement faciles d’accès et on cherche à provoquer une empathie chez les téléspectateurs. Qu’ils voient en eux leur frangin, leur copain. Se disent qu’ils auraient pu vivre la même histoire s’ils étaient nés en Ouganda ou au Japon. Tison venait de l’école Actuel. Tracks, c’était un peu ça, en modernisé. »

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Les Mutants cyborg (02/10/1998)

David Combe: « Ma première à moi, c’est Gaspard Noé quand l’émission passe à 45 minutes et devient pluridisciplinaire. J’étais l’adjoint du rédac chef de l’époque et j’ai bossé sur le pilote. Il n’a jamais été diffusé. Arte avait trouvé ça trop déprimant. L’air du temps aidant, les sujets étaient un peu sombres… »

Jean-Marc Barbieux: « J’ai beaucoup travaillé sur les marges. À l’époque, je m’intéressais de très près aux modifications corporelles. J’avais rencontré le pape du body-playing américain. Il ressemblait un peu à Marlon Brando dans Apocalypse Now et charcutait ses copains. J’ai travaillé sur cette scène embryonnaire en France. Elle regardait souvent le passé, les tribus primitives… Mais une petite bande se tournait vers le futur. Ils voulaient devenir des cyborgs. Des hommes avec des machines dans le corps… C’est mon premier sujet. Le rédac chef, Paul, un Anglais, avait été l’un des fondateurs de Face Magazine. Tracks, c’est le résultat de ça: le côté Actuel, qui raconte beaucoup d’histoires, jette des ponts entre des tas de domaines différents. Et ce regard anglo-saxon qui permet de casser les chapelles. »

La Champeta (22/01/1999)

Jean-Marc Barbieux: « Pour nous, la voix est fondamentale. On a une émission sans animateur. J’aime cette idée de no logo. Un peu produit blanc de la télé. Une espèce de grand sac où il y a plein d’histoires qui vont te donner des idées pour aller t’émanciper. La voix, c’est l’esprit de Tracks. Un marqueur très fort pour se souvenir de ce qu’est l’émission. Depuis janvier 1999 et ce sujet sur la Champeta, la musique en Colombie des esclaves noirs en fuite qui se sont mélangés avec les populations indiennes autochtones au XVIIIe siècle, cette voix est celle de Chrystelle André, une journaliste radio qui travaille notamment sur Couleur 3 en Suisse. On est censé être l’émission qui ramène des jeunes sur Arte. C’est à ça qu’on sert. Entre autres. Sa voix a le grand mérite de ne pas être donneuse de leçon. Elle ne fait pas non plus semblant d’être cool. Genre faux jeune. Elle est assez classique, très propre, mais sans ressembler pour autant aux voix formatées des écoles de journalisme. Elle dit beaucoup de choses. »

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Le cinéma chicano (14/06/2002)

Jean-Marc Barbieux: « Je repense à un sujet, à Los Angeles, sur les cinéastes underground mexicains. On avait un journaliste là-bas à l’époque. Il ne voyait rien de spécial et je trouvais ça bizarre. Tu as l’industrie du ciné, la plus grosse communauté hispanique américaine… C’était pas possible. On a cherché et on a trouvé. C’est presque de la chimie appliquée. Quand un terrible bouleversement survient, tu sais qu’après il va se passer des choses. D’autres gens vont arriver. Tu peux du moins le supposer. »

David Combe: « Ne dis rien de plus, Jean-Marc! On ne va pas dévoiler nos secrets. En fait, on a juste un abonnement à Télérama et à Vice… (rires) »

Jean-Marc Barbieux: « On lit des trucs. On écoute les infos. On n’est pas là, comme la plupart des émissions culturelles, pour dire quel bouquin, disque ou film acheter. On est plutôt dans le décryptage. On veut créer des liens entre des choses qui a priori n’en ont pas. Expliquer par exemple que la musique naît dans un contexte socio-politique particulier. D’un tas de choses diverses. »

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Hasil Adkins (11/04/2003)

Jean-Marc Barbieux: « Les règles de base, c’est de ne pas s’attaquer deux fois au même personnage et de ne pas parler des morts. Les morts n’ont pas besoin de nous. Autant donner la parole aux vivants. En plus, on a rencontré pas mal de gens borderlines. Et certains ont déjà disparu. De Bo Diddley à Ray Barretto en passant par Isaac Hayes et Hasil Adkins, oui… Lux Interior aussi. Les Cramps servaient de passerelle vers tous ces gens différents. Adkins vivait dans une caravane du Wisconsin. Notre journaliste l’a rencontré six mois avant qu’il meure. Il lui avait donné une caisse de cassettes en lui disant: « Tu retournes en Europe, tu peux faire de moi une star. » Mais je pense qu’il ne l’avait pas reprise tellement elle était lourde. Six mois après, tout cramait dans l’incendie de sa caravane. Adkins avait inventé le punk et les chansons méchantes quand tout le monde en était encore à célébrer l’amour. C’est le genre de personnage qu’on aime bien et qui l’a payé cher. »

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Émission spéciale Pirates (feat. Hakim Bey) (28/10/2004)

David Combe: « C’est parfois compliqué. Très connu dans le milieu des free parties, Hakim Bey, le mec qui a écrit TAZ: Zone autonome temporaire, rejette par exemple le téléphone et Internet. On a dû le contacter par courrier. Il a ensuite fallu attendre qu’il réponde d’une cabine téléphonique et nous dise dans quelle rue aller. Comme dans une histoire d’enlèvement contre rançon. Le problème, c’est qu’il refuse de montrer son visage. Il est contre la starification. Veut passer inaperçu. Donc, le personnage principal, c’était une cafetière qu’il nous a laissé filmer. Une spéciale sur un mec pointu/obscur difficile à contacter qui en plus va refuser de montrer son visage… Le challenge était plutôt rigolo. Les journalistes n’ont plus l’habitude des contraintes. Dès que ça devient un peu compliqué, ça va les faire chier. Les contrarier. Plutôt que d’essayer de contourner l’obstacle, de trouver une solution, ils vont s’arrêter… Or, quand c’est compliqué, c’est là que ça devient un peu intéressant. Même s’il n’y a pas de règle mathématique. »

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L’art médiocre jubile (28/12/2006)

David Combe: « On a proposé un sujet sur des artistes belges qui bossaient avec des matières pas sales mais disons délaissées. Jean-Marie Gheerardijn travaillait avec des mouches. Il en faisait des sculptures et des peintures. Son travail est très intéressant. On y parlait de chansons délirantes aussi. Il y avait Jacques Lizène dedans. Un apôtre de l’échec avec ses chansons médiocres qu’il fredonne à la manière d’un Brel atteint de scorbut. Les Belges sont des bons clients. Jean-Jacques Rousseau est l’un des plus beaux portraits qu’on ait pu faire d’un réalisateur. La liberté de ton des artistes belges est beaucoup plus délirante qu’en France où les provocations sont plus évidentes et où on essaie trop souvent de plaire. En plus, quand les Belges le racontent, c’est touchant. Il y a une humilité, un discours accessible. Comme cette phrase formidable de Delvoye: « On peut faire du caca avec des crevettes mais pas des crevettes avec du caca.«  »

Electro Chaabi (01/09/2011)

Jean-Marc Barbieux: « Grâce à la culture, tu peux aller dans des tas d’endroits interdits. Je pense à un sujet comme l’électro Chaabi, la musique égyptienne au moment du printemps arabe. Tu ne pouvais pas pénétrer à l’époque dans ces quartiers pirates si tu voulais suivre la révolution. Tu rentrais dans ces tours de dix étages sans permis de construire parce que tu y allais pour la musique et que tu suivais des gamins t’emmenant sur les toits et dans les murs. C’est une clé extraordinaire. Un journaliste nous a récemment proposé un sujet sur les migrants. La première chose dont il nous a parlé, c’est d’une lettre, d’un texte de rap trouvé sur un bateau qui avait chaviré. L’auteur est mort. Comme tous les autres à bord. Tu as toujours des images cinématographiques. On se dit souvent que ça pourrait faire un documentaire et parfois, c’est le cas. L’Electro Chaabi est devenu un 52 minutes. Quand on peut entrer avec une caméra quelque part, il faut le faire à fond. De manière à ce que le suivant doive ramer pour en découvrir autant. »

Les injections salines (26/05/2012)

Jean-Marc Barbieux: « Tracks est une émission positive. Tu peux être surpris, choqué en regardant mais plutôt dans le bon sens du terme. On va au-delà du fantasme. On a par exemple monté un sujet sur les hommes beignets au Japon. Des types qui se font des injections salines. Ça fait des bulles. C’est assez impressionnant. Quand tu vois ça sur la toile, tu te dis: « Beurk: dégueulasse! » Moi, je me dis: « Tiens, c’est marrant. » Il se passe un truc qui me surprend. Notre boulot, c’est d’aller à leur rencontre sans a priori moral. De plonger dans le monde des modifications corporelles extrêmes. Et là, tu te rends compte que c’est plus spectaculaire que dangereux. Tu te perces la langue, t’as mal pendant trois mois. Là, ça dure dix heures. Tu passes pour un cinglé. C’est parfait. Dans le genre, c’est pas le plus con à faire. Alors, oui, tu peux trouver des infos sur des blogs mais j’ai pas envie de lire un fil de conversation de 300 messages pour piger ensuite où est la vérité… »

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Le Troll Rap (12/05/2017)

David Combe: « Les goûts, c’est con. C’est un peu la lutte des classes. Une manière d’exclure l’autre. C’est pour ça qu’on cherche des journalistes plus que des critiques. On ne veut pas entretenir les chapelles. Les mecs sont fans d’un truc et tu n’as pas le droit d’y toucher. Récemment, le sujet troll rap a cartonné parce qu’on a eu le malheur d’évoquer la relation ambiguë d’un de ses fers de lance, Vald, avec Dieudonné. »

Jean-Marc Barbieux: « On considère qu’il y a une morale à ce qu’on fait. Ce qui n’est pas toujours le cas à la télé. On dit des choses. Ça a un sens. Le fascisme, les idées d’extrême droite, le racisme, n’ont rien à faire dans Tracks. Si certains artistes sont proches de ce genre d’idées, on exige que nos journalistes en parlent. Tu peux pas faire n’importe quoi. Si je veux être un peu critique, je citerai le mag Vice auquel on est souvent comparés. Charlottesville? Ils ont fait leur boulot. Tu vas voir des fachos puis tu parles avec eux. Mais après t’en sors quoi? 20 millions de vues avec quand même pas beaucoup de critique derrière. De lecture du phénomène. Un des trois fondateurs de Vice (le comédien canadien Gavin McInnes, ndlr) est un membre actif de l’alt right (une mouvance d’extrême droite née à la fin des années 2000, ndlr). Puis avec Vice, tu passes sur la même page d’un article sur le roi des skins parisiens à un truc sympa sur un skateur. Tout est mélangé. Cette culture du tout se vaut, celle d’Internet aujourd’hui, me gêne énormément. »

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