Sur Netflix, A Cop Movie se joue des codes et des clichés, des formules et des attentes

Objet hybride traitant de la corruption sous le prestige de l'uniforme, A Cop Movie s'inscrit dans la grande tradition du cinéma policier, dont il prend plaisir à pervertir les codes de l'intérieur.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Le réalisateur mexicain Alonso Ruizpalacios floute la frontière entre documentaire et fiction dans un film éminemment singulier s’intéressant à la question brûlante de la corruption au sein de la police de son pays.

À lui seul, il est capable d’étonnants grands écarts, réalisant par exemple aussi bien deux épisodes de la série Netflix Narcos: Mexico que l’exigeant long métrage Museum (2018) avec Gael García Bernal, film de genre aux assises historiques qui se plaît à mixer les registres de manière complètement imprévisible. Avec A Cop Movie, aujourd’hui, le réalisateur mexicain Alonso Ruizpalacios déroute à nouveau et s’amuse plus que jamais à brouiller les pistes. Documentaire aux images très graphiques convoquant l’imaginaire des séries télévisées américaines à l’ancienne ou fiction directement branchée sur le réel qui prend plaisir à déconstruire le déroulé classique de son récit? Un peu tout ça à la fois. Un objet hybride, en tout cas, qui échappe aux catégorisations et trouve dans son artificialité revendiquée une manière de s’approcher au plus près de la vérité.

À l’origine, Ruizpalacios cherche à monter un projet qui pourrait avoir un puissant impact social au Mexique. En quête d’un sujet fort, il finit par se tourner vers une forme d’évidence: la thématique brûlante de la corruption systémique et, plus particulièrement, celle de l’impunité policière. Joint par Zoom, le cinéaste raconte: « Ce film a été rendu possible grâce à un processus très ouvert d’investigation. Durant deux ans, nous avons multiplié les recherches avec mon équipe, notamment en discutant beaucoup avec des policiers sur le terrain mais aussi avec des citoyens. Très vite, j’ai compris que ce qui m’intéressait le plus dans tout ça résidait dans la figure traditionnelle du policier ordinaire. Je voulais comprendre qui étaient ces hommes et ces femmes derrière l’uniforme. Tout s’est débloqué lorsque j’ai fait la rencontre de Teresa, qui a directement inspiré l’un des deux personnages clés du film. Quand j’ai commencé à lui poser quelques questions au sujet de la corruption dans la police locale, elle s’est montrée tellement amusante et honnête, pleine de vitalité mais aussi de contradictions. Sa conscience de faire elle-même partie du problème, de ne pas seulement être une victime du système, est très étonnante et inhabituelle. Avec elle, je tenais mon angle d’attaque. »

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Le vrai et le faux

Difficile de parler de A Cop Movie sans en révéler les pièges et les mystères. Aujourd’hui disponible sur Netflix, après un passage par la compétition de la dernière Berlinale, le film, qui fait appel à des acteurs pour camper des personnages issus du réel, se joue des codes et des clichés, des formules et des attentes. Il mute et tombe les masques au fil de ses chapitres. Si le résultat peut flirter par endroits avec une certaine confusion, l’ensemble reste toujours stimulant et éminemment singulier, avec un mélange improbable de voix off et de reconstitution, des adresses directes à la caméra, un ton et une humeur très ludiques malgré un propos parfois à la limite du tragique. « L’histoire qui sous-tend A Cop Movie est peut-être avant tout celle d’une désillusion, d’un désenchantement, confirme Alonso Ruizpalacios. On voit bien en effet comment toutes ces personnes sont entrées dans la police pleines d’espoirs et de rêves, et puis ensuite comment cette vocation se retrouve pourrie par la réalité du système. Il y a quelque chose de très tragique là-dedans, c’est un fait. Mais je dirais que le ton du film, assez ludique oui, découle de l’énergie des individus qui ont inspiré les personnages. Ces policiers ont des tiroirs remplis d’histoires incroyables, qui sont à la fois horribles et drôles. Et je crois vraiment que le film, en un sens, se devait d’être à l’image de ce mix des extrêmes. Il y a quelque chose d’à la fois super triste et super hilarant dans cette réalité. Le film ne fait que refléter cette dualité. »

Conscient de la manière dont A Cop Movie s’inscrit à la fois complètement dans la grande tradition du cinéma policier tout en la pervertissant de l’intérieur, Ruizpalacios confie encore que le titre du film est l’une des toutes premières choses à s’être imposées à son esprit durant le processus créatif. « Il était clair pour moi qu’il s’agissait, à travers ce projet, de jouer avec le concept même de film policier mais aussi de questionner le regard du spectateur, qui reste essentiellement façonné par les clichés véhiculés par le cinéma américain et les séries télévisées des années 70. C’est pour ça que nous avons multiplié les clins d’oeil au travail de Lalo Schifrin (compositeur de musiques de films comme Bullitt ou L’Inspecteur Harry, NDLR) , par exemple. Convoquée dans un contexte mexicain où tout le système policier se révèle hautement dysfonctionnel, cette musique crée directement un contraste fort, que je trouve très intéressant. Par sa forme ouvertement hybride, je crois que le film témoigne aussi du fait qu’il y a toujours beaucoup de documentaire dans la fiction, et beaucoup de fiction dans le documentaire. Comme le disait Godard, « le cinéma, c’est 24 fois la vérité par seconde ». La tension constante entre le vrai et le faux, le réel et le construit, est le propre de l’image dégagée par les policiers eux-mêmes au quotidien. C’est un travail où ils sont en représentation permanente, où leurs faiblesses doivent ressembler à des forces. Ce sont des personnes très vulnérables prétendant toujours être des figures d’autorité. Il y a chez eux un sens de la performance très proche de celui qui est requis dans le jeu des acteurs. C’est aussi pourquoi il me semblait légitime de flouter au maximum la frontière entre le documentaire et la fiction. »

A Cop Movie. D’Alonso Ruizpalacios. Avec Mónica Del Carmen, Raúl Briones. 1h47. Disponible sur Netflix à partir du 05/11. ***(*)

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