Sex Education, une série généraliste et jouissive parce que tendre et déculpabilisante

Maeve (Emma Mackey) et Otis (Asa Butterfield): sexothérapeutes clandestins. © Jon Hall/Netflix
Nicolas Bogaerts Journaliste

Sex Education (Netflix) décrit avec éclat les vicissitudes sexuelles des ados, loin du monde toxique des adultes. Ô sexe, ô thérapie!

Des premiers teenflix américains dans les années 80 jusqu’à la série Skins (2007-2012) en passant par la potache American Pie et ses suites, la naissance du désir et la transformation du corps et des liens affectifs à la puberté n’ont pas connu beaucoup de moments de grâce sur nos écrans. C’est pourtant ce qu’offre Sex Education de Laurie Nunn, qui réussit à capter avec humour, inventivité, tendresse et ce qu’il faut d’aplomb ce point nodal de l’existence.

Sexothérapie

Otis (Asa Butterfield) a beau être le fils d’une sexothérapeute fantasque et libérée (Gillian Anderson), il est lui-même un peu coincé. L’observation de la pratique parentale lui a tout de même conféré certaines connaissances et une capacité d’écoute que la punkette délurée (et passablement fauchée) du lycée, Maeve (Emma Mackey), compte mettre à profit: ils s’associent pour proposer à leurs condisciples des séances clandestines de sexothérapie, prodiguées dans les toilettes, les classes vides, les parcs… Montrant allègrement et ostensiblement les objets et les sujets du désir, Sex Education, par son dispositif astucieux -une situation par épisode-, propose une multiplicité d’angles et de thématiques. Voici quelques raisons de déguster sans honte ni crainte cette série qui, bien que britannique par son langage, refuse de fixer son cadre spatio-temporel, préférant faire évoluer ses personnages dans un monde façonné à leur image, hyper référencé mais intemporel, et donc qui n’appartient qu’à eux.

Des plans cul

Les ados n’ont pas que le sexe dans la tête: ils s’y jettent corps et âmes, la plupart du temps à l’insu sent ce qu’ils jugent être un comportement valorisant, aimant, confrontent leur plaisir à celui de leur(s) partenaire(s). Sex Education flirte avec les codes du porno, au lit comme dans les dialogues? C’est pour mieux en questionner les diktats, les limites comme les possibles, et dépasser les craintes parentales. Car l’essentiel n’est pas là. Les plans cul foireux, les blocages, l’ennui, la pression existentielle pour celles et ceux qui « ne l’ont pas encore fait » suffisent à rendre réalistes la plupart des situations montrées ici dans leur plus crue nudité.

Une masculinité toxique

Si la phallocratie est un pays, Sex Education est son antipode. Les codes de la virilité y prennent pour leur grade, les assignations de genre aussi. Otis est mis en valeur pour le peu de cas qu’il fait d’une masculinité vigoureuse. Son meilleur ami, Eric (le formidable Ncuti Gatwa), n’est ni un cliché ni une caution homosexuelle: il est un personnage central dont le style vestimentaire, la corporalité (entre assurance et gaucherie) et la complexité sont un régal permanent. La brute épaisse Adam (Connor Swindells), fils du directeur, joue au bad boy provocateur pour mieux cacher un désir inaccessible. Sa tentative de prendre du viagra tourne à la catastrophe, lui qui est particulièrement bien membré. Moralité, les garçons: non seulement la taille ne compte pas, mais le sexe masculin hétérocentré n’est pas aussi important qu’on voudrait vous le faire croire. Alors arrêtez de mettre la pression à tout le monde, y compris à vous-mêmes.

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Du plaisir féminin

À force de le dire, cela paraît une évidence: le plaisir féminin, peu valorisé, est souvent une terra incognita au sein de la culture populaire. Dans Sex Education, il est la règle ou au moins le centre de gravité des enjeux. Si Maeve et Aimee savent ce qu’elles aiment ou pas, d’autres ne sont jamais à l’abri d’une obéissance aux convenances, au plaisir de l’autre (garçon ou fille), à la tyrannie de l’apparence, à la honte d’être encore vierge dans un environnement où une sexualité active est motif de valorisation.

Des parents encombrants

Gillian Anderson brille dans le rôle de Jean, maman d’Otis, sexothérapeute avide d’hommes, parfaitement envahissante et castratrice. Laurie Nunn met le doigt sur le rôle des parents dans l’éducation sexuelle des ados. Dysfonctionnels, toxiques, tyranniques ou absents, ils ne sont pas sans effet sur la sexualité de leurs enfants et l’image qu’ils s’en font. Sex Education rend ces situations parfaitement palpables, sans moralisme, mais avec un humour et un sens dramatique savamment dosés.

Du harcèlement au revenge porn

Eric est harcelé par Adam (pour lui dérober son déjeuner et son attention). Mais lorsque le premier est agressé à la sortie de la fête du lycée, les réactions de l’un et de l’autre -en plus de confirmer Ncuti Gatwa comme révélation sidérante de la série- portent une réflexion cruciale sur les ressorts de cette violence physique et symbolique. Quand la photo du vagin de Ruby, dérobée par un malfaisant, fait le tour des portables, le slutshaming est montré dans toute son ignominie et est aussi l’occasion pour Laurie Nunn et ses personnages de mettre en oeuvre une résolution poignante pleine de dignité et de force collectives.

Une éducation sentimentale

Des inquiétudes légitimes, des tourments inévitables, une jouissance déculpabilisée, des vécus difficiles pas toujours clarifiés, un discours débridé qui s’oppose à celui trop souvent centré sur les risques et non le plaisir: Sex Education devrait être montrée dans les écoles et les foyers. Laurie Nunn illustre à quel point les émotions et la sensualité sont des éléments fondateurs de la sexualité. L’éducation sentimentale est au coeur de la série, montrant in fine l’ironie de son propre titre. Car derrière le désir naissant, les premiers frémissements et les expériences parfois borderline subsiste chez les adolescents l’envie irrépressible d’aimer et d’être aimés.

Sex Education. Série Netflix créée par Laurie Nunn. Avec Asa Butterfield, Gillian Anderson, Ncuti Gatwa, Emma Mackey, Connor Swindells. ****(*)

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