Rick & Morty, retour vers le foutraque
Cradingue, iconoclaste et hyper référencé, l’humour de la série animée Rick & Morty fait passer depuis trois saisons la pilule d’une existence vide de sens. Un jeu de piste halluciné et initiatique dans une pop culture métaphysique.
Que vaut notre existence en ce bas monde quand on peut arpenter les confins du cosmos, des mondes parallèles infinis, réduire l’espace-temps à une cocotte en papier et laisser libre cours aux plus folles versions de soi, sans s’encombrer d’une once de surmoi? C’est ce décalage violent qu’explore en mode hilarant Rick & Morty, série animée de science-fiction complètement barrée, créée par Justin Roiland et Dan Harmon (à qui l’on doit le déjà bien allumé Community). Plus que n’importe quel autre, ce dessin animé pour (jeunes) adultes s’est affranchi de toute règle de bienséance et de plausibilité. Diffusé depuis 2013 sur Cartoon Networks, sur France 4 depuis 2015 et disponible sur Netflix, il est le prolongement de Doc and Mharti, courte animation réalisée en 2006 par Roiland et qui parodiait la trilogie culte Retour vers le futur (Robert Zemeckis, 1985-1990). Sur le duo Doc Brown/Marty, un savant foldingue mais génial, obsédé par le voyage temporel, et son jeune protégé-cobaye envoyé rétablir dans le passé et le futur un présent malmené par tous ces va-et-vient, Roiland brodait un récit potache qui a servi de matrice à la série. Celle-ci, dont le titre rappelle vaguement les noms des héros de la trilogie de Zemeckis, narre les tribulations cosmo-scatologiques de Rick Sanchez, scientifique alcoolique et caractériel, et de son petit-fils Morty Smith, au tempérament de prime abord timoré et amorphe. Le premier entraîne le second dans des voyages multidimensionnels cradingues, surréalistes, mais surtout drôlement métaphysiques, qui scandent une vie quotidienne morne et ennuyeuse de suburb américain, partagée avec les autres membres de la famille: les parents de Morty, Jerry et Beth (la fille de Rick), et sa soeur Summer.
Univers multiples
Pénétrer dans l’univers de Rick & Morty est une expérience qui ne laisse pas indemne, entre fascination pour ce monde hyper référencé, tentatives de déchiffrages de ses messages cachés, et une rigolade incessante qui repousse encore plus loin les frontières du bon goût. Les premières comparaisons vont immanquablement à South Park et aux créations de Matt Groening, Les Simpson et surtout Futurama. Mais l’irrévérence, si présente soit-elle, ne suffit pas à résumer un scénario qui goûte tout autant la critique de la famille américaine, les bigots passés à la sulfateuse, que les voyages sidérants et quantiques. Car dans l’univers si dérangé de Rick & Morty, il existe une infinité de mondes parallèles. Et tous, en permanence et dans le désordre, se traversent, se croisent ou se télescopent à longueur d’épisodes, d’intrigues croisées ou superposées, connectées à la manière de liens hypertextes à une arborescence parfaitement imprévisible, qui permet aux protagonistes, à leur tour, de démultiplier leurs personnalités jusqu’à la confusion la plus totale. À travers un portique dimensionnel verdâtre, Rick, le grand père, se projette, en chef d’une rébellion intergalactique ou en simplet demeuré, en bodybuilder ou en concombre vengeur, en père de famille exécrable ou papa modèle, scientifique rangé de 1998 -avant le traumatisme qui l’a transformé pour de bon en épave cyclothymique et alcoolique. Morty, lui, sous ses allures d’ado timide et peu sûr de lui, ne se contente pas de suivre son aïeul et d’essuyer les plâtres, se changeant, par exemple, en supervilain ou en monstre mutant au bras gauche démesuré. Ces voyages interstellaires secouant l’espace-temps sont l’occasion de rencontres et de confrontations avec une galerie impressionnante de personnages surnaturels ou extraterrestres, tour à tour grotesques ou burlesques.
Jeu de piste
Mathlete’s Feat, dernier épisode de la 26e saison des Simpsons (2015). La fin du générique est interrompue avec fracas par l’irruption de la capsule spatio-temporelle de Rick et Morty qui défonce le mur, le fameux divan et ceux qui venaient de s’y asseoir. S’en suivent plusieurs minutes de hacking halluciné au cours duquel Rick va méthodiquement profaner le décor d’une série que ses créateurs reconnaissent comme une influence incontournable, au côté de Doctor Who et Retour vers le futur. Outre ce lignage assumé de manière spectaculaire, les trois saisons de Rick & Morty regorgent d’influences, de citations, d’hommages, de parodies ou encore de clins d’oeil planqués comme des oeufs de Pâques dans tous les recoins de l’histoire. S’il est évident que les précitées Futurama et SouthPark sont présentes au moins dans le subconscient des auteurs, c’est sans doute que, comme Les Simpson avant elles, elles ont contribué à imposer le langage cru, les jurons, les rots, l’alcool, la misère sexuelle ou affective et la violence des échanges. Des séries aussi épileptiques et barges que Ren et Stimpy, Adventure Time, Beavis & Butthead, Family Guy ou même Bob l’Éponge ont également préparé la route vers un public plus jeune ou déjà averti. La relation mentor détraqué/padawan ahuri de Rick et Morty, quant à elle, se retrouve dans d’autres aventures délirantes et exploratoires, telles que Le Guide du voyageur galactique (le livre, puis la série et le film de 2005) ou encore, pourquoi pas, dans le Charlie et la chocolaterie de Mel Stuart (1971).
Rick & Morty puise assidûment dans la culture populaire dont il cite volontiers musique, séries et films, points de départ d’une exégèse acerbe: ici sur l’absurdité abyssale de l’existence ou l’idolâtrie, là sur la famille et la société abruties de consumérisme. Débusquer les influences ou les citations qui grouillent dans les trois saisons est un véritable jeu de piste, tâche gigantesque à laquelle s’adonne toute une communauté. Les repérer, les répertorier et les interpréter est devenu un rituel récurrent auquel s’adonnent autant de vidéos et de chaînes YouTube que pour Game of Thrones et la filmo de David Lynch réunis. Les fans sont ravis de repérer, par exemple, que la façade de la maison familiale est la réplique exacte de celle de Walter White, le héros de Breaking Bad. Ou que les épisodes puisent dans le casting, les images, le scénario ou les thèmes de Mad Max, Saw, The Matrix, Inception, Die Hard, Stand by Me, Harry Potter ou surtout Zardoz, ovni sci-fi de John Boorman avec têtes géantes volantes et Sean Connery en suspensoir.
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Raconter l’époque
L’engouement pour la série, dont la troisième saison a démarré à la surprise générale le 1er avril 2017, est tel que le monde réel peut s’en trouver lui-même secoué: dans un épisode fameux de la dernière saison, Rick raconte que son odyssée obsessionnelle et multidimensionnelle a commencé le jour où McDonalds a arrêté de proposer la sauce Szechuan avec ses nuggets de poulet. Il s’agissait d’une opération marketing lancée en partenariat avec Disney au moment de la sortie du film d’animation Mulan, explique-t-il à son interlocuteur extraterrestre, dans la file du drive-in. Tout de suite après la diffusion de l’épisode, en octobre, des fans enfiévrés ont réclamé ladite sauce à grands cris. À tel point que la chaîne de fast-food a dû s’engager, dans un communiqué publié cet automne, à relancer prochainement la sauce tant convoitée. Au-delà du gag, l’idée que la quête spatio-temporelle du savant fou acariâtre et monomaniaque ne tient ni d’un délire de toute-puissance ni d’un héroïsme désintéressé, mais d’une faille personnelle aussi triviale qu’hyper-mélancolique, adoucit le personnage de Rick et montre toute la subtilité derrière le chaos cosmique. Multiplier les strates de récit ne sert pas ici à perdre le spectateur dans une histoire éclatée et déroutante, mais à l’encourager à saisir la détresse des personnages et du monde dans lequel ils évoluent (et nous avec eux). À cet égard, la dernière saison a même réussi à aborder le cynisme politique, la discrimination raciale, un terrain peu arpenté jusqu’alors. Derrière la complexité délirante de ses histoires, le dédale du référencement ou de l’auto-référencement, il y a dans Rick & Morty un mouvement perpétuel, existentialiste et métaphysique: sans cesse l’esprit oscille entre cogiter sur le sens de la vie, réfléchir aux liens tissés par la famille, la place de chacun dans la société, et rire aux éclats en pensant aux impasses spatio-temporelles et aux possibles inexplorés de nos existences.
Rick & Morty. Une série Netflix créée par Justin Roiland et Dan Harmon pour Cartoon Network. ****
Outre les pionnière qu’il est bon de revoir, les séries animéees pour adultes ont littéralement explosé ces dernières années. Sélection.
South Park (1997- )
La jouissive dégringolade du stade oral au stade anal de la télévision a eu lieu sous South Park. D’abord simplement potaches, les aventures de Stan, Kyle, Cartman et Kenny ont évolué vers une satire particulièrement goûtue de la société américaine et de sa psyché. Avec l’irrévérence comme matrice et le scato comme exutoire, South Park a pété dans la soie dont se drapent les adultes, détournant l’actu et les grandes névroses du temps pour pointer l’absurdité de l’existence.
Gravity Falls (2012-2016)
Satellite de l’univers Disney, les aventures de Dipper et Mabel Pines ont souvent été considérées comme une version pour enfants de Rick & Morty. L’écriture frénétique, le rythme épileptique et les liens familiaux entre les personnages disgracieux nous font naviguer également dans un univers multidimensionnel et singulièrement bizarroïde, plus paranormal qu’extraterrestre, mais tout aussi délirant.
Adventure Time (2010- )
Vivant sur une version post-nucléaire de notre planète appellée « La Terre de Ooo », le jeune Finn et son chien jaune de type bulldog, qui a la particularité de pouvoir changer de taille, côtoient une faune bizarre, dont la Princesse Chewing-Gum, le Roi des glaces, BMO le robot de compagnie, Marceline la reine vampire et des licornes qui aboient en coréen. Grossière mais pas trop, farfelue, empruntant aux codes visuels des mèmes du Web, la série déploie un humour qui ne sacrifie ni à l’accessible ni au subversif pour aborder des thématiques cruelles.
BoJack Horseman (2014- )
Au rayon des héros alcooliques avec une forte propension à la dépression qui emporte tout sur son passage, BoJack fait figure de tête de gondole… La série animée dont il est le protagoniste central, régulièrement présente dans les tops de fin d’année, évoque le destin d’un acteur has-been qui a la particularité d’avoir la tête d’un cheval. Là où Rick éparpille le sens de l’existence façon puzzle, BoJack essaie lui d’en recoller les morceaux. Mélancolique mais pas moins dérangeante.
Big Mouth (2017- )
Débarquée sur Netflix en septembre, cette série observe l’évolution de Nick, Andrew et Jessie, alors aux portes de l’adolescence et de ses grandes questions. Le sexe, la masturbation, le désir, la frustration, la série les aborde avec un langage cru et des entités aussi délicatement influentes que l’Hormone Monster, le fantôme de Duke Ellington, un oreiller prêt à donner naissance à un enfant ou encore le vagin de Jessie. Fallait oser.
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