Que vaut le docu Netflix de Martin Scorsese sur Bob Dylan?

En 1975, Dylan embarque ses amis dans un bus et part sur les routes américaines pour une tournée digne d'une commedia dell'arte musicale.
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Quatorze ans après No Direction Home, Martin Scorsese se penche à nouveau sur le cas de Bob Dylan et raconte sa Rolling Thunder Revue dans un vrai faux documentaire surprenant…

En 2005, Martin Scorsese consacrait un premier documentaire à Bob Dylan. Film de commande, No Direction Home racontait sa jeunesse et les débuts de sa carrière jusqu’à son accident de moto en 1966. À l’époque, Dylan disparaît des radars. Il annule ses apparitions télé, arrête les concerts, rompt avec les excès et profite de l’occasion pour se refaire une santé. Les fans devront patienter jusque 1974 pour que leur idole reparte en tournée. Requinqué, le Zim joue dans des stades pleins à craquer accompagné de The Band. Mais il ne défendra pas sur scène son nouvel album, Blood on the Tracks. Un disque enregistré alors qu’il vient de quitter sa femme après dix ans de vie commune. À la place, Dylan écrit des chansons un peu mystiques, un peu gitanes et pond le célèbre Hurricane dédié au boxeur emprisonné à tort pour un triple meurtre: Rubin Carter. Dylan cherche autre chose. Pour lui, « le but de la vie, ce n’est pas de se trouver ou de trouver quoi que ce soit. C’est de se créer. » En 1975, il décide de faire monter ses amis dans un bus dont il prend le volant et part sur les routes américaines. À bord, il y a Joan Baez qui l’a fait connaître du grand public, Ramblin’ Jack Elliott dont les frères Coen se sont inspirés pour leur film Inside Llewyn Davis, Mick Ronson, la violoniste Scarlet Rivera, le poète Allen Ginsberg. Parfois Roger McGuinn des Byrds ou encore Joni Mitchell. L’idée est de jouer dans des petites salles sans trop en faire de publicité, de vendre les tickets à prix modique et de dormir dans des hôtels bon marché.

« En octobre-novembre, Dylan a eu l’idée de monter un show dans le style carnaval et charlatans itinérants avec un bus ou un chariot qui irait de ville en ville, raconte Ginsberg. Dylan voulait nous présenter à tour de rôle. Son idée est de montrer sa propre beauté en montrant la nôtre. Il voulait montrer la vraie communauté. La vie des poètes telle qu’elle est. » C’est cette histoire, celle de la Rolling Thunder Revue (le nom de code de Nixon pour le bombardement du nord Vietnam), que retrace aujourd’hui le documentaire de Scorsese disponible sur Netflix.

The mask

L’album Desire a été enregistré lors de cette tournée et Dylan avait déjà réalisé lui-même, avec Sam Shepard au scénario, un film sur la Rolling Thunder Revue. Inspiré par Tirez sur le pianiste de François Truffaut et Les Enfants du paradis de Marcel Carné, Renaldo et Clara mêlait captations de concerts, interviews et bribes de fiction et sortait en 1978 dans un format de quatre heures (ensuite coupé en deux). Mais mal accueilli par la critique, Bob le retira de la distribution et ne l’édita jamais en DVD. Seules des copies de VHS pirates digitalisées traînent encore sur le Web…

Face caméra, d’une rare et inattendue décontraction, Dylan dit ne pas se souvenir de grand-chose (« Je ne me rappelle de rien, je n’étais même pas né », plaisante-t-il) et Scorsese qui bossait à l’époque sur Taxi Driver, n’a pas assisté au moindre concert de la tournée. Mais les images d’archives pour la plupart inédites et les souvenirs des autres (parfois fabriqués de toutes pièces) suffisent. Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story est un vrai faux documentaire. Quelque part entre le concert filmé et le rêve éveillé, comme le résumait la production. Mais avec un côté making of.

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Marty a eu carte blanche pour retravailler les rushes de Renaldo et Clara. Il y a mêlé des interviews récentes, y a ajouté quelques scènes par-ci par-là et replacé le tout dans son contexte politique. Une performance de Patti Smith dans un club de l’East Village, un duo entre Dylan et Joni Mitchell, Joan Baez qui se fait passer pour le patron et Sharon Stone qui raconte comment elle l’a rencontré et a rejoint la troupe (Dylan lui aurait fait croire qu’il avait écrit Just Like a Woman pour elle avant qu’elle apprenne que la chanson avait dix ans)… Réalité ou fiction? Rolling Thunder Revue ne manque pas de moments forts. Et quand Scorsese s’étend sur l’histoire d’Hurricane, il fait causer le boxeur afro américain à qui le Zim a sauvé la vie… Il y a aussi la musique, forcément, à laquelle le réalisateur de Raging Bull et des Affranchis fait beaucoup de place. Laissant les chansons courir. Mr. Tambourine Man, A Hard Rain’s A-Gonna Fall, One More Cup of Coffee, The Lonesome Death of Hattie Carroll, Knockin’ On Heaven’s Door

« Si quelqu’un porte un masque, il dira la vérité. S’il n’en porte pas, c’est fort peu probable. » Un chapeau décoré de fleurs et de plumes de paon sur la tête, le visage peinturluré de blanc tel un clown chantant, Dylan incarne ici le poète itinérant, le folkeur troubadour dans une espèce de commedia dell’arte musicale. « On n’est pas responsables pour ceux qui se promènent avec des attentes. On s’en fout », commente-t-il dans un élan qui résume bien sa carrière.

Dylan n’a quasiment donné aucune interview ces dix dernières années. Et ce malgré son prix Nobel de littérature. Les témoignages recueillis ici sont donc précieux. Mais plus qu’il brosse le portrait d’une icône, le documentaire laisse à voir une expérience de vie communautaire. Un groupe de pèlerins qui veulent se retrouver eux-mêmes emmenés par un charismatique guide spirituel. Un tantinet longuet (2h20 tout de même) et forcément un peu déconcertant avec toutes ses libertés, le film de Scorsese vaut le détour mais est avant tout destiné aux fans. S’il ne leur suffit pas, Sony a coffré des captations de la Rolling Thunder Revue dans un box mastoc de 14 CD, compilant cinq soirées et des répétitions.

Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story, disponible sur Netflix. ***(*)

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