Que vaut Désenchantée, la série Netflix du papa des Simpson?

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avec la série animée Désenchantée disponible sur Netflix, le créateur des Simpson Matt Groening file au Moyen Âge pour raconter les mésaventures d’une princesse qui rote, file des gnons et boit des bières.

Elle est malgré ses origines aristocratiques un lointain ancêtre d’Homer, Marge, Lisa, Bart et Maggie. En tout cas, elle a le même papa: Matt Groening. Créateur des Simpson donc mais aussi de Futurama, aventures loufoques et décapantes d’un livreur de pizzas cryogénisé. Cheveux blancs, dentition proéminente et mauvaises manières… L’héroïne de Désenchantée, Bean, est une princesse. Une princesse qui boit des bières, beaucoup de bières, rote et joue du fric aux cartes dans les tavernes. Aujourd’hui, c’est le jour de son mariage et personne ne veut de sa place. Pas même un condamné à mort. Pour tenter d’échapper à son avenir marital arrangé, la jeune femme pourra compter sur Luci, son démon intérieur que tout le monde prend pour un chat, et Elfo, qui se tapait la fille du patron des Elfes et a fui avant qu’on ne l’envoie se balancer au bout d’une corde.

Vous avez vu l’avenir à New New York, vous avez goûté au présent de Springfield. Cette fois, c’est dans le passé que Groening a décidé de s’amuser. Un passé médiéval et un royaume en déclin (Dreamland) dirigé par un souverain aussi con que gras et colérique, peuplé de lutins, de harpies, de trolls, de morses, de diablotins et de beaucoup de crétins… Inspirée par des contes et fables du monde entier – Contes italiens d’Italo Calvino, Le Hobbit et Le Seigneur des anneaux, mais aussi les Popeye des frères Fleischer et des films d’action indiens comme Magadheera, l’histoire d’un cascadeur qui comprend être la réincarnation d’un guerrier Tamoul du XVIIe siècle-, Désenchantée joue en dessin animé dans la cour et l’humour moyenâgeux. Celui de Kaamelott et du Sacré Graal des Monty Python, nourri aux mythes de l’heroic fantasy. Avec, forcément, des clins d’oeil à Game of Thrones.

« Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants« ? Très peu pour l’irrévérencieux Matt Groening. Désenchantée est l’antithèse du conte de fées. À Dreamland, avec son improbable château et son impressionnante cascade au sommet d’une falaise, il y a des orphelins à vendre (tout doit disparaître). Les pauvres mangent des chats et boivent du lait de truie… La princesse à marier casse des fenêtres à coups de poing pour se barrer de ses noces, se promène les seins à l’air et n’est évidemment plus vierge.

L’idée germait depuis un bout de temps dans le cerveau allumé de Groening. Pour tout dire, depuis ses années collège et un comic book truffé d’animaux fantastiques. Un travail à l’époque inspiré par la bande dessinée Pogo de Walt Kelly. Netflix a beaucoup communiqué sur la liberté laissée à Matt Groening… Au nombre de dix, les épisodes (qui composent une intrigue) sont un peu plus longs que ce qui se fait d’habitude en télé dans le genre (une trentaine de minutes environ). Son ton reste déjanté et satirique mais Désenchantée, comme le revendique son géniteur, se veut dramatique avant d’être amusante et essaie de jouer avec les émotions multiples de ses personnages. Visuellement sympa mais guère hilarante, la première série de Matt Groening depuis 20 ans, sa troisième en quasi trois décennies de carrière, fait davantage sourire que rire. Il y a bien des vannes référencées et des sous-entendus salaces, des petites phrases cinglantes qui font mouche et les situations dingos dans lesquelles se fourre la princesse alcoolo (pas encore prête à se plier au protocole même si déjà reine en matière de conneries) mais la construction d’une narration suivie est un écueil dans l’humour et un cahier de charges dans lequel Désenchantée perd une liberté qui aurait sans doute pu lui être salvatrice.

Pas assez loin

Si c’est la première fois qu’il dessine une héroïne à cinq doigts (ses autres personnages en ont toujours eu quatre), jamais jusqu’ici l’Américain n’avait filé le rôle principal d’une de ses séries d’animation à une femme. Elfo, le lutin pas assez heureux pour son monde, avait d’ailleurs été pressenti comme fil rouge de ces aventures médievalo-fantastiques. Héroïne féminine, message vaguement féministe (on est loin de la cruche soumise qui attend son prince charmant)… Pour ça, la série est dans l’air du temps. Bean refuse le patriarcat, se paie la tronche de son paternel et, indépendante, veut prendre son destin en main. Désenchantée ne va cependant pas assez loin. Ni dans son propos ni dans son humour. La série parle à sa manière des injustices dans nos sociétés et de choc des générations mais vus par un mec de 64 ans…

Groening, qui a commencé sa carrière à Los Angeles en critiquant des disques pour le LA Weekly, a eu la bonne idée d’embaucher pour la musique la légende Mark Mothersbaugh. Habitué des bandes originales (il a signé celles des quatre premiers Wes Anderson), le fondateur de Devo a pondu une drôle de musique médiévale aux relents balkaniques. Mais il est loin le temps où il n’y avait que South Park et Les Simpson, qui jaunissent nos rires depuis 29 saisons (soit la plus vieille série en activité). Les séries animées pour ados et adultes ont changé et dans le genre, sans être déshonorante, Désenchantée manque de fraîcheur et de mordant. Elle pèche par ses dialogues, son intrigue et une lenteur délibérée. Netflix ayant commandé 20 épisodes, une deuxième saison est déjà dans les tuyaux. Affaire à suivre…

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Désenchantée, série Netflix créée par Matt Groening. ***

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