Pourquoi Mindhunter est sans doute la meilleure série de la rentrée
Avec Mindhunter, Netflix tient probablement la série de la rentrée: une plongée captivante dans l’univers des serial killers et des premiers profilers. Aux manettes: David Fincher, maître en matière de sociopathes.
« Une voiture arrive. Au volant, une fille de 20-25 ans. Il doit être 4 heures du matin et l’idée de le faire me traverse la tête… comme un éternuement. » Au 4e épisode de Mindhunter, la deuxième série produite par David Fincher pour Netflix (après House of Cards), une forme de routine s’est mise en place après une longue, docte et passionnante mise en bouche de trois fois une heure: dans une prison, les deux agents du FBI Holden Ford et Bill Tench écoutent un serial killer décrire le déroulement de ses crimes. C’est le deuxième dont ils sondent le passé afin de comprendre la manière de penser et de fonctionner de ces tueurs, de déterrer les racines de leur âme noire. L’histoire est authentique, adaptée de l’essai Mind Hunter: Inside the FBI’s Elite Serial Crime Unit de Mark Olshaker et John E. Douglas, qui relate les travaux et enquêtes de ces deux agents du FBI pour jeter les bases du profiling, en 1977. C’était quelques années avant que le tueur en série ne devienne une source de fascination pour le cinéma et la télévision, du Silence des Agneaux à Twin Peaks, en passant par Se7en, lui-même réalisé par Fincher en 1995.
Nécrophiles et pervers
« Le crime est nécessaire: il est lié aux conditions fondamentales de toute vie sociale (…). Car ces conditions dont il est solidaire sont elles-mêmes indispensables à l’évolution normale de la morale et du droit. » Ces mots du sociologue Émile Durkheim vont très vite servir d’axe théorique pour le jeune agent Holden Ford (Jonathan Groff), dont les outils s’avèrent obsolètes pour mener à bien les négociations lors des prises d’otages. Son dernier cas a été un horrible fiasco. Réaffecté aux formations dans le QG de Quantico, en Virginie, Ford comprend que cet été de 1977 où Charles Manson est encore dans tous les esprits et où « Son of Sam » sème la terreur dans la nuit new-yorkaise, les crimes ritualisés, fournis en détails sexuels morbides, aux mobiles inopérants ou absents, changent et leurs auteurs aussi. Il rencontre Bill Tench (Holt McCallany), agent spécialisé dans les recherches psychologiques, avec qui il entreprend de parcourir les routes terrestres et aériennes du pays pour visiter en prison quelques-uns de ces tueurs désaxés, nécrophiles, pervers: Edmund Kemper, Dennis Rader, Jerry Brudos (tous ayant existé). Rejointe par la sociologue Wendy Carr (jouée par Anna Torv de Fringe et inspirée elle aussi d’un personnage authentique, le Docteur Anne Wolbert Burgess), cette task force atypique doit inventer une nouvelle approche du meurtre, de la sauvagerie, de la déviance, dresser des profils psychologiques pour espérer anticiper de futurs assassinats et en comprendre les implications sociales plus larges. À l’heure du retour de la formule « expliquer, c’est excuser », reprise en coeur par nombre d’exécutifs de part et d’autre de l’Atlantique, le retour aux fondamentaux de cette approche sociologique du crime est une aubaine.
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Les dix épisodes de la première saison racontent dans un style clinique, érudit, teinté d’humour (les deux acteurs principaux rejouent la partition du duo inassorti mais complémentaire vu dans L’Arme fatale), les réticences de la hiérarchie, leur vie personnelle durablement impactée, la morbidité des confessions qu’ils consignent patiemment, la détresse de services de police locale venus leur demander de l’aide pour décrypter des meurtres en série qui se systématisent et prennent de l’ampleur. Les intros courtes, annonciatrices d’un malheur à venir mais fondu au noir, le générique où dialoguent l’horreur et la méthode qui permettra d’en définir les contours soignent les épousailles entre le fond et la forme. Ils racontent la naissance dans la douleur de ce nouveau paradigme criminologique qui écarte la vieille notion bancale du Mal: « Comment anticiper la folie si nous ne savons pas comment la folie se pense?« , demande Tench à son supérieur. Sans réponse, le crime demeurera un châtiment aveugle: pour la société, pour les victimes et pour leurs bourreaux. Reconstruire le difficile chemin vers cette compréhension nécessaire est une tâche ardue à laquelle Fincher et son équipe consacrent toute l’étendue de leur talent et de leur vision.
Monstres de cinéma
La première saison de Mindhunter rencontre l’obsession, visible dans sa filmographie, de David Fincher à l’égard des monstres sociopathes. Qu’il s’agisse du mogul Mark Zuckerberg (The Social Network), de personnalités clivées (Fight Club) ou renversantes de perversité (Gone Girl), ou d’un serial killer historique (Zodiac, probablement son chef-d’oeuvre), Fincher est passionné par ce que les déviances criminelles racontent de la société et de l’environnement dans lesquels elles se manifestent. Soit, ici, l’Amérique de la fin des années 70, exposée à l’horreur du Viêtnam, au scandale du Watergate sous Nixon, à la mort de l’utopie hippie tuée dans le ventre de l’Amérique comme l’enfant de Sharon Tate par Manson et ses sbires. Le crime comme symptôme d’un corps politique et social mutilé, un des fils du livre de Olshaker et Douglas, est exploré par Fincher et son showrunner Joe Penhall (qui a oeuvré sur The Last King of Scotland). L’actrice Charlize Theron (Monster) co-produit la série, et Asif Kapadia (auteur des documentaires Senna et Amy) en réalise quelques épisodes. Fécondé par une telle équipe aguerrie aux explorations des psychés les plus sombres, le terreau criminologique et sociologique de Mindhunter livre un récit passionnant, diablement bien joué, lentement, intelligemment et patiemment construit, sur lequel viennent se greffer les codes classiques des buddy cops et road movies. Et une ambition cinématographique par ailleurs somptueusement accomplie.
Mindhunter, une série Netlix créée par Joe Penhall et David Fincher. Avec Jonathan Groff, Holt McCallany, Anna Torv. Disponible sur Netflix. ****(*)
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