NWR: « Too Old to Die Young n’est pas une série, mais un film de 13 heures »

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Nicolas Winding Refn s’essaie à la série avec Too Old to Die Young, plongée dans les entrailles de L.A. sur les pas d’un flic à la double vie, samouraï solitaire confronté à la noirceur du monde.

Trois ans après The Neon Demon et son trip hallucinant, Too Old to Die Young consacre le retour aux affaires de Nicolas Winding Refn. Et quel retour: treize heures d’une série permettant au cinéaste danois d’aller au bout de ses obsessions, esthétiques et autres, en quelque plongée dans la noirceur striée de violence d’une Los Angeles oscillant entre fantasme, cauchemar et réalité. L’équipée de Martin Jones (Miles Teller, confirmant après Whiplash et autre Thank You for Your Service être taillé pour les expériences extrêmes), flic hanté doublé d’un tueur laconique, « NWR », comme il signe désormais ses films, raconte en avoir eu l’idée pendant la préparation de The Neon Demon. Et cela, alors qu’il sillonnait L.A. en voiture, installé dans le siège du passager s’entend, le réalisateur de Drive ne conduisant pas en effet. « J’écoutais Mandy de Barry Manilow lorsque l’idée de faire quelque chose autour de la religion, la mort et Los Angeles m’est venue à l’esprit, assortie d’un titre: Too Old to Die Young. Le concept gravitait autour de samouraïs, évoluant à L.A. C’était par ailleurs l’époque où Netflix commençait à créer des contenus originaux avec succès. L’heure semblait donc propice à faire de la télévision. Ce canevas m’intriguait, par sa nouvelle manière de fournir du divertissement. » Et de s’atteler dans la foulée, en compagnie du scénariste de comics Ed Brubaker (Catwoman, Gotham Central…), au contenu d’une série en streaming qu’Amazon, le distributeur américain de ses films, s’empressera d’accueillir à bras ouverts.

Un (très long) film débité en morceaux

Si le nouveau médium a aimanté son intérêt, c’est, explique-t-il, parce qu’il recèle un « océan de possibilités. Le streaming est un flux d’énergie qui nous entoure et où l’on peut puiser quand bon nous semble. » On peut aussi considérer que NWR y a trouvé la possibilité de pousser les curseurs de son cinéma, d’essence hyperbolique, un peu plus loin encore. Un sentiment nourri par les deux épisodes découverts sur les écrans cannois, venus accréditer l’idée que le format d’une série télévisée était peut-être le mieux adapté à la démesure de l’auteur. « Je ne considère pas avoir fait une série per se, mais bien un film de treize heures, que j’ai été amené à débiter en morceaux, comme une série, précise toutefois Refn, semblant en cela paraphraser le David Lynch de Twin Peaks. Disons plutôt alors qu’il s’agit d’un livre avec des chapitres. C’est ce que permet le streaming: d’un point de vue commercial, vous pouvez vous autoriser ce type de durée, impensable dans un environnement cinématographique traditionnel. Pour moi, la seule différence entre le streaming et un film tient à cela: vous disposez d’un temps infini en streaming, alors qu’il est restreint dans un film. Et si une série traditionnelle finirait par disparaître naturellement, faute de spectateurs pour la regarder, le streaming offre un canevas entièrement nouveau. »

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Conséquence objective de la portée de l’entreprise, un tournage beaucoup plus long qu’à l’accoutumée -dix mois de travail pour le réalisateur, un peu moins pour son acteur principal qui assure le lien entre les différents épisodes, et les myriades d’histoires individuelles y convergeant. On devine l’intensité du processus, que ne dément d’ailleurs pas Refn: « C’est une lutte. Mais un film en constitue toujours une, sans quoi il n’existe tout simplement pas, ou alors, quelque chose ne fonctionne pas. J’y vois une expérience cathartique, où je passe par une multitude d’états, me servant en quelque sorte de moi-même comme canevas pour trouver des solutions. Sur un tournage de six semaines comme ceux auxquels j’ai été habitué, c’est plus facilement supportable. Sur dix mois, cela fait une charge considérable à porter. Mais j’en ai apprécié chaque seconde. »

Un champ de ruines

Après Drive et The Neon Demon, Nicolas Winding Refn retrouve donc L.A., réservoir à fantasmes abreuvant à jets continus l’imaginaire des cinéastes les plus divers. « J’adore cette ville, très cinégénique, les gens qui y vivent, cette sorte de monde artificiel », opine le réalisateur. Une cité des anges qu’il explore dans ses recoins les plus sombres, la noirceur faisant partie intégrante de son projet esthétique. « J’y vois un peu un paysage extraterrestre, une sorte de réalité irréelle. Beaucoup de films noirs étaient infusés de fantasmes, et dispensaient une sensation de malaise, une sensibilité que l’on retrouve toujours à L.A., bien plus qu’à New York, Londres ou Paris. C’est un univers de fantasmes semblant ne plus devoir finir de s’étendre, encore et encore… » David Robert Mitchell ne disait pas vraiment autre chose dans l’extraordinaire Under the Silver Lake, un autre film recyclant avec bonheur les composantes d’une pop culture dont NWR fait à l’évidence son miel. « Nous sommes tous des produits des films avec lesquels nous avons grandi. Même si, en fin de compte, on en revient toujours à Shakespeare, pour constater que plus le drame est sombre, plus l’excitation est grande. Et bien sûr, si c’est cynique, destructeur, vil et perverti en même temps, le divertissement est plus grand encore, ainsi que le plaisir éprouvé à y laisser libre cours. Après tout, nous ne sommes jamais que des êtres humains… »

Il émane en outre de Too Old to Die Young un sentiment tenace de ruine, comme la menace d’un désastre imminent. Ce que ne dément nullement le cinéaste, qui confesse avoir imaginé la série en réaction à ce qui se passait autour de lui, et à la levée des populismes notamment. « Le climat dans lequel nous vivons aujourd’hui me semble incarner cette impression de ruines, et cela dans beaucoup d’endroits du monde. La notion d’individus oubliés n’est plus un phénomène exclusivement américain, mais bien global, et son émergence et sa croissance s’accompagnent d’une colère considérable. Les inégalités extrêmes auxquelles nous sommes confrontés conduisent une majorité de femmes et d’hommes à la ruine, d’où la volonté de voir les choses changer -ce dont on peut déjà constater les effets sur le plan politique, avec l’entrée en fonction d’individus élus en réaction à ce sentiment d’abandon. »

Contexte miné dont le film se ferait l’écho métaphorique, Miles Teller y évoluant dans un horizon en voie de déliquescence, justicier adoptant les codes du samouraï alors qu’il dialogue avec le mal sous ses expressions les plus diverses. « Un peu comme le personnage du gunslinger aux USA, celui du samouraï au Japon est une figure iconique, mythologique pour ainsi dire, de la pop culture à laquelle je m’abreuve. » Et de poursuivre: « Il y a une tradition de héros mélancoliques qui se consacrent à un objectif supérieur, pour lequel ils sacrifient leur existence normale, d’où leur mélancolie. C’est un héros mythologique, que l’on retrouve dans chaque recoin du monde. Je crois qu’au plus profond de nous, la vengeance est, avec la colère, notre réaction la plus spontanée à ce qui peut arriver. Nous éprouvons un plaisir pervers à l’idée de la vengeance. Plutôt que de le cacher, l’art nous permet non seulement de le reconnaître mais aussi de survivre à travers elle en la faisant sortir de notre système. Et cela, afin de disposer de plus de temps par après pour aimer, être heureux et merveilleux. Ce qui, en un sens, est d’ailleurs beaucoup plus difficile et réclame plus d’efforts. Détruire est facile… » Et Only God Forgives, cela va sans dire…

3 questions à Miles Teller

Le jeune acteur qu’avait révélé Whiplash campe Martin Jones, le laconique héros de Too Old to Die Young.

NWR:

Comment avez-vous approché ce rôle tout en intériorité, sans guère de dialogues pour exprimer le fond de votre pensée?

En classe déjà, j’appréciais les cours de gestuelle, l’expression sans recours au langage. J’ai toujours considéré les gens plus intéressants quand ils ne disaient rien. Mais c’est vrai que cela représente un fameux défi, faire une scène de douze minutes où tout passe par le regard. Le vide ressenti est intentionnel, il faut le combler avec la vie intérieure du personnage. En général, les choses sont exposées à l’attention des spectateurs, et le personnage doit trimballer tout ce dont on l’a lesté. Ici, j’ai eu l’opportunité de remplir les vides sans avoir à expliquer ce dont il retournait, ce qui était cool.

Vous retrouvez-vous dans la vision de Los Angeles de Nicolas Winding Refn?

J’habite en bas de la rue où nous avons tourné une bonne partie du film, et si vous deviez visiter cet endroit, il ne vous paraîtrait vraiment pas impressionnant, au contraire du résultat à l’écran. Le mérite en revient définitivement à Nick, et aux deux directeurs de la photographie qui ont travaillé avec lui sur le film, Darius Khondji et Diego Garcia.

Dans quelle mesure ce rôle pourrait-il infléchir votre carrière?

Pour moi, la présence de Nick était essentielle. Je veux continuer à travailler avec des réalisateurs dont je suis fan, même si, comme acteur, on est tributaire des opportunités qu’ils veulent bien nous donner. J’aimerais aussi faire des choses complètement différentes, à l’inverse de ces comédiens qui restent dans un même registre parce qu’on les y a enfermés ou afin de maintenir leur train de vie. Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve, mais travailler sur ce projet s’est avéré franchement excitant. Cette expérience m’a permis de grandir comme acteur.

NWR:

Too Old to Die Young

Une série en 10 épisodes créée par Nicolas Winding Refn et Ed Brubaker. ****

À partir du 14/06 sur Amazon Prime Video.

Présentant son nouveau projet, la série Too Old to Die Young, lors du dernier festival de Cannes, Nicolas Winding Refn a choisi d’en dévoiler non pas les deux premiers chapitres, comme l’aurait voulu la logique narrative, mais bien les épisodes quatre et cinq, North of Hollywood et West of Hell. Manière, expliquait-il, de coller au plus près à la façon dont les spectateurs consomment désormais les contenus numériques (et dont lui-même picore dans le flux continu du streaming). Et promesse d’une plongée sans filet au coeur d’un trip apocalyptique totalisant 13 heures, sur les pas de l’inspecteur Martin Jones (Miles Teller, qui confère toute l’opacité requise au personnage), individu énigmatique menant une double vie, flic en pleine crise existentielle et tueur à gages tendance justicier mutique. Ce qui, traduit sur les deux heures et quelque de l’échantillon proposé, permet à NWR d’explorer plus avant les figures de son cinéma ultrastylisé, décliné dans les humeurs nocturnes d’une Los Angeles interlope dont le délabrement moral généralisé ferait écho à celui du monde. Un cadre (qui était déjà celui de Drive et The Neon Demon) aux extensions possibles: vers le Nouveau-Mexique, Albuquerque et ses alentours désertiques, par exemple, où un contrat va conduire Martin, lancé aux trousses de deux frères travaillant dans l’industrie pornographique… C’est peu dire que le format de la série convient idéalement à l’approche de Nicolas Winding Refn, dont l’univers se trouve ici comme extrapolé, fulgurances de mise en scène, esthétique toute de noirceur lustrée, ultrafétichisme, violence et humour grinçant compris. Comme un concentré de pop culture déversé plein pot, regard en coin en sus tandis que le cinéaste étire les séquences jusqu’à épuisement, saturant l’espace d’une atmosphère aussi malsaine que jouissive; quelque chose comme de l’hyper Sergio Leone ou du Jodorowsky au carré. On brûle, pour tout dire, de découvrir la suite…

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