« Les Kinks avaient tout pour eux mais ils ont tout monté dans le mauvais sens »

"Ray Davies réalisait des films sauf que c'était des 45 Tours" (Andrew Loog Oldham, ancien manager des Stones) © Pictorial Press Ltd / Alamy
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Sur Arte, l’ancien journaliste des Inrocks Christophe Conte brosse le portrait des Kinks, le plus anglais des groupes anglais.

Comme certains répondent Pulp ou Supergrass quand on leur demande Blur ou Oasis, d’autres préfèrent les Kinks aux Stones et aux Beatles. Pionniers du punk, le groupe des frères Davies a inspiré avec You Really Got Me le garage sixties américain. Il a chroniqué comme personne, avec beaucoup d’acuité et d’humour, la société britannique. Il s’est essayé aux fresques nostalgiques, aux disques écolo et aux comédies musicales fantasques… Écartés du podium par les Who, les Kinks restent à 57 ans le plus anglais des bands anglais. Un des plus influents, un des plus malchanceux.

Après son excellent documentaire sur le glam rock, Christophe Conte se penche dans un 52 minutes sur un groupe qui a réussi à jouer avec tous les codes de la musique populaire pour parler de son époque avec subtilité. Un groupe qui a vu débarquer un nombre incroyable de clones et de rejetons. Génération après génération… « Les Kinks ont exercé un rôle déterminant dans l’Histoire. Ils ont des morceaux assez connus du grand public et ont influencé de nombreux musiciens mais ils sont restés moins exposés et mythiques que les trois autres grands du rock anglais. Je les affectionne pour leur musique mais aussi pour leur parcours atypique et la personnalité de Ray Davies. Un des tout grands auteurs/compositeurs et surtout un des rares écrivains du rock. »

Bad boys

Aussi géniale soit-elle, la carrière des Kinks n’a tenu qu’à un fil. Renée, l’une des six soeurs de Ray, lui a offert le jour de sa mort sa première guitare. L’instrument qui allait changer sa vie. Il avait treize ans. Elle allait être terrassée par une crise cardiaque. Quant à sa singularité so British, elle est liée à l’interdiction de sol américain entre 1966 et 1969. « Je ne m’étais jamais interrogé sur l’incidence que ça avait eu sur son écriture et sa manière de chanter. »

« Les Kinks pouvaient être très violents. Plus violents que les Rolling Stones. Les mauvais garçons, c’était eux. Ils étaient incontrôlables avec un côté autodestructeur », commente le critique rock Jon Savage dans le documentaire. « Ça me semble extraordinaire qu’ils aient démarré punk voire hard rock avant l’heure pour devenir en quelques années le groupe le plus sophistiqué, chichiteux et délicat qui soit, reprend Conte. Les Beatles n’ont commencé que plus tard à faire du boucan. Quand ils en ont eu marre de la dentelle, ils ont balancé Helter Skelter (en 1968, NDLR). Les Kinks, leur Helter Skelter à eux, c’était en 1964. Ils ont été précurseurs dans un tas de domaines. C’est presque un groupe bipolaire. Les Kinks avaient tout pour eux mais ils ont tout monté dans le mauvais sens. Ils étaient bruyants au moment où il fallait peut-être ne pas l’être. Ils étaient effacés et en retrait quand il fallait se faire entendre. Lorsque le rock est devenu un phénomène de masse, et ils sont complètement passés à travers… »

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Ancien journaliste des Inrockuptibles, titre qu’il a quitté il y a un an et demi, Christophe Conte a déjà réalisé, depuis, trois documentaires: Daho par Daho; Glam rock, splendeur et décadence; The Kinks, trouble-fêtes du rock anglais. Un quatrième sur la musique et le cosmos devrait être diffusé par Arte d’ici l’été… « Je poursuis mon obsession de donner du sens à la musique. Pour moi, le documentaire est le format idéal. Il permet d’aller plus loin. D’écrire des histoires mais aussi de les mettre en relief. On ne s’emmerde pas à raconter des détails dont tout le monde se fout et qui remplissent les pages des bouquins. Les menus à la cantine quand les artistes avaient trois ans… »

Le docu a aussi évidemment pour lui sa caisse de résonance. Un élément important dans la démarche journalistique et la vision didactique de Conte. « Il ne faut pas se leurrer. Un bouquin sur la musique, il y a 2 000 personnes en moyenne qui l’achètent. Peut-être un peu plus qui le lisent. Avec un documentaire, tu as plusieurs centaines de milliers de spectateurs. C’est rediffusé. Relativement intemporel. »

En attendant, entre les exigences de notoriété émises par les chaînes, les difficultés d’accéder aux artistes de renom et le prix des images, l’exercice est plus compliqué qu’il y paraît. « Les archives, par exemple, coûtent très cher. Dans un film comme celui sur les Kinks, c’est quasi la moitié du budget. » Conte avait obtenu une interview avec Ray Davies. Elle a été annulée. « Avant notre entretien, ils ont décidé de réaliser un docu eux-mêmes et leur manager m’a fait savoir qu’ils voulaient réserver leur parole à leur propre film. On sait très bien ce que ça donne les documentaires officiels. Les réalisateurs ont accès à tout le monde mais à l’arrivée, c’est rarement très intéressant. J’estime accomplir un travail journalistique. Trop souvent, la musique est dans les documentaires musicaux relayée au second plan. On parle beaucoup de la vie des gens, de leur parcours, des scandales quand il y en a. Ça apprend des choses mais ça manque souvent de point de vue. »

Michka Assayas, Jon Savage, Andrew Loog Oldham et Bertrand Burgalat, entre autres, amènent ici le leur. « Grâce aux plateformes comme Netflix, le documentaire est un genre en plein renouvellement… Mais en musique on est quand même pas mal parasités par les grands réalisateurs. Quand Scorsese fait des documentaires sur George Harrison, les Stones et Dylan, c’est compliqué d’arriver derrière. Le résultat n’est pas toujours super intéressant non plus. Ce n’est pas parce qu’il est signé par un génie du cinéma que le docu est génial.  »

The Kinks, trouble-fêtes du rock anglais. Documentaire de Christophe Conte, diffusé le 15/05 à 22h25 sur Arte. ***(*)

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