Jouissive chasse aux nazis

Ambiance seventies, mémoire de la Shoah et questions raciales sont les ingrédients de la sanglante et politique Hunters. © CHRISTOPHER SAUNDERS/AMAZON STUDIOS

À New York en 1977, d’anciens dignitaires nazis veulent instaurer un IVe Reich. Un survivant de l’Holocauste, joué par Al Pacino, et son équipe les pourchassent. Produite par Jordan Peele, la série Amazon Hunters est une uchronie sanglante aux résonances étrangement actuelles.

Dès sa scène d’ouverture, Hunters décoiffe. En moins de cinq minutes, un barbecue ordinaire dans un jardin au bord d’une piscine se transforme en véritable bain de sang. L’hôte des lieux y abat avec un calme olympien ses convives, sa femme, ses enfants qui barbotent dans l’eau après qu’une de ses invités a reconnu en lui « Le Boucher », le bourreau qui a terrorisé le camp de concentration dont elle avait réchappé 30 ans plus tôt. Pas de doute possible sur le contrat passé entre Hunters et les spectateurs: la série promet une chevauchée sanglante, semblable dans son ton et son traitement à la cabale menée par Brad Pitt et ses soldats dans Inglorious Basterds de Quentin Tarantino. Soit un drame qui fait parfois rire et souvent grincer des dents.

Dans cette histoire aussi terrible que loufoque, un IVe Reich mené par Le Colonel (interprétée par l’intrigante Lena Olin) est sur le point de voir le jour aux États-Unis. Le jeune Jonah (Logan Lerman) vit seul avec sa Safta (« grand-mère » en hébreu), rescapée des camps et assassinée dans d’étranges conditions au milieu de la nuit. Lors de ses funérailles, Jonah fait la connaissance de Meyer Offerman -prodigieux Al Pacino- qui a survécu avec la grand-mère de Jonah à la barbarie fasciste et s’avère être à la tête d’un petit groupe de chasseurs de nazis. En parallèle, l’agent Millie Malone du FBI (Jerrika Hinton) enquête sur les morts suspectes d’anciens réfugiés de guerre…

Jouissive chasse aux nazis
© CHRISTOPHER SAUNDERS/AMAZON STUDIOS

Un projet très personnel

Derrière cette surprenante histoire se trouve David Weil. Lors de la présentation de la série pendant le TCA Press Tour (1) de janvier, ce dernier a décrit son projet comme « une lettre d’amour à sa grand-mère« , survivante de l’Holocauste. Originaire d’une famille juive, il a grandi à Long Island en entendant beaucoup d’histoires de son aïeule pendant la guerre. Ce qu’elle décrivait ressemblait pour lui à l’époque « à des histoires de bandes dessinées et de super-héros« . C’est ce ressenti qui transparaît à l’image avec une forte influence du style Tarantino. La série revisite les archétypes du cinéma de genre: de la blaxpoitation à la pulp fiction en passant par le film noir ou encore le slasher. La différence majeure avec Tarantino, à qui d’aucuns reprochent une certaine décontextualisation des sujets politiques ou historiques, c’est que Hunters porte en permanence le poids de l’héritage et la responsabilité de la transmission. Le devoir de mémoire, dans la fiction, se mue en un devoir de vengeance propice à des scènes où l’hémoglobine dégouline à grands flots. Heureusement, le récit ne se heurte pas à une satisfaction puérile d’étriller de vilains nazis. Il s’y cache un besoin de comprendre ce qui a pu conduire des êtres humains à de pareilles horreurs. Non pas pour les dédouaner mais pour éviter que cela se reproduise.

Jouissive chasse aux nazis
© CHRISTOPHER SAUNDERS/AMAZON STUDIOS

Une allégorie

Toute ressemblance avec l’époque actuelle ne saurait être fortuite. À l’heure où les populismes grignotent du terrain en Europe et ont déjà gagné aux États-Unis avec Donald Trump, David Weil entend tirer la sonnette d’alarme. La résurgence de la parole raciste, xénophobe et antisémite décomplexée menace les grandes démocraties. Cette violence devenue ordinaire s’illustre dans Hunters quand Jonah se fait tabasser par un petit groupe de jeunes parce qu’il est Juif. Ou lorsque l’agent Millie Malone doit s’imposer en permanence à son travail car elle est une femme noire. Il n’y a rien d’étonnant alors à voir Jordan Peele produire cette série via son studio Monkeypaw Productions. Les succès récents de ses films, Get Out et Us, ont replacé la question du racisme dans un territoire qui a dépassé le mouvement Black Lives Matter. Cette tendance récente des productions américaines à dénoncer les extrémismes rejoint un autre mouvement parallèle qui a le vent en poupe: celui des justiciers. Depuis quelques années, les super-héros et autres redresseurs de torts autoproclamés font florès sur les grands et petits écrans. Il y a derrière cette émergence l’idée d’une justice défaillante sur laquelle le peuple ne peut pas compter. Il faut alors se faire justice soi-même. C’est le discours de Meyer Offerman pour justifier sa traque. Mais une fois encore, Hunters va chercher plus loin et pose une question essentielle: le chasseur de monstres ne risque-t-il pas de devenir un monstre lui-même?

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Seulement trois épisodes -sur dix au total- ont été mis à disposition de la presse. Et en 3 heures 30, le matériau s’avère d’une richesse inouïe. La série nous propulse dans un univers familier, ultra codifié, bardé de références et parvient en même temps à bouleverser pratiquement tous nos repères. Elle nous propose une vision des années 70 à l’aune des préoccupations de 2020 et présente donc une société plurielle et conscientisée. Et face à la menace identitaire, les héros de Hunters ne se battent pas seulement pour sauver leur communauté ou n’importe quelle étiquette qu’on voudrait leur coller, mais pour un idéal universaliste. Au final, Hunters réussit l’exploit d’être une série politique, pop et divertissante. Chapeau!

(1) Manifestation biannuelle durant laquelle les réseaux de chaînes télévisées présentent leurs nouvelles grilles de programmes à la presse américaine.

Hunters: une série créée par David Weil, avec Al Pacino, Logan Lerman, Lena Olin, disponible depuis 21/02 sur Amazon Prime Video. ***

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