John Oliver: « Je surveille le virage à droite de l’Europe »

John Oliver © Dino
Eva Schram
Eva Schram Correspondante en Amérique du Nord pour Knack.be et LeVif.be

Ces dernières années, John Oliver s’en est pris entre autres au cryptage, au statut exempt d’impôts d’églises et à la publication d’études scientifiques. À partir de dimanche, l’émission Last Week Tonight revient sur HBO. À cette occasion, notre consoeur de Knack s’est entretenue avec Oliver à New York.

L’investiture de Donald Trump annonce un âge d’or pour les late-night comiques aux États-Unis. Les présentateurs tels que Stephen Colbert, Samantha Bee, Trevor Noah, Seth Meyers et John Oliver font de bonnes affaires. Les chiffres d’audience augmentent, et les annonceurs sont contents.

John Oliver est différent. Là où Colbert, Bee, Meyers et Noah se focalisent sur les dernières nouvelles, Oliver cherche des sujets qui ne font pratiquement pas la une de l’actualité. En 2014, son tout premier show a zoomé sur les élections en Inde. Ces dernières années, il a également abordé les inégalités de revenus, le régime pénitentiaire, les dettes d’étude et la FIFA. Si son approche est pratiquement journalistique, il n’aime pas être qualifié de journaliste. Tout comme son mentor Jon Stewart, il y est vivement opposé. « Je suis un comique. Je veux d’abord et avant tout faire des blagues », dit-il.

Mais est-ce une farce? Oliver a indiqué dans plusieurs interviews qu’il ne souhaitait pas assumer la responsabilité qu’implique la pratique du journalisme. Si son show n’est pas une source d’informations, beaucoup d’utilisateurs l’utilisent comme tel. Où sinon trouver vingt minutes sur l’histoire de Porto Rico, qui est un peu le 52e état des États-Unis, mais pas tout à fait? Ou sur le marché de la dette secondaire où des commerçants sans scrupules rachètent les dettes de banques pour ensuite les recouvrer chez les particuliers en les intimidant? Ou sur le statut exempt d’impôts des églises, qui peuvent dire tout ce qu’elles veulent et encaisser autant d’argent qu’elles le souhaitent sans que l’administration fiscale vienne les ennuyer.

Ci-dessous, l’émission de ce dimanche, Trump vs. Truth:

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Un président peu regardant à la vérité et la prolifération de fausses nouvelles ne feront qu’augmenter l’intérêt d’un show tel que Last Week Tonight. Comment Oliver gère-t-il cette évolution? Comment voit-il son rôle par rapport aux fausses nouvelles? A-t-il l’intention de parler uniquement de Trump? Et en tant que Britannique, comment voit-il l’avenir européen? Knack s’est entretenu avec lui à New York.

À quel point est-il frustrant que Trump ait été élu malgré vos efforts?

Oliver (rires): Je dirais que c’est un sub-idéal. Eh oui… À présent, nous allons devoir nous concentrer sur les conséquences de son élection, au lieu de nous attarder sur la campagne. Car, elle est terminée. Finie. Il faudra voir en quelle mesure il était sérieux dans ce qu’il disait. Et je crains qu’il pense vraiment tout ce qu’il a dit.

Pensez-vous avoir contribué à sa victoire en le traitant comme une farce?

Je ne le voyais pas comme une farce, je le prenais très au sérieux justement. C’est pourquoi je trouve tout ce qu’il dit tellement atroce. Avant le Super Tuesday, nous en avons peu parlé. Nous ne voulions pas lui consacrer trop d’attention, parce que je trouve que les élections américaines durent beaucoup trop longtemps. Il prend tout l’oxygène de la pièce. Il y a d’autres évènements dans le monde qui n’ont rien à voir avec les élections présidentielles américaines. Mais aux dépens du peuple américain, on n’en parle pas ici.

Après avoir remporté le Super Tuesday, nous avons essayé d’analyser ce qu’il disait. Nous n’avons pas choisi la facilité, mais nous avons pris ses mesures proposées très au sérieux. Quand il a dit qu’il allait construire un mur, nous l’avons cru. Et nous avons étudié le coût, car celui-ci est plus élevé que ce qu’il prétend. Il ne sera en aucun cas efficace. Nous avons commencé très tôt à prendre sa politique au sérieux, pour montrer à quel point c’est une idée stupide.

Que pensez-vous des déclarations de Trump sur l’immigration?

Ma peur couvre plusieurs domaines. Je suis un immigrant. Et pour le moment, les immigrants n’ont aucune raison de se sentir à l’aise. Maintenant, je suis un immigrant qui occupe une position de luxe. J’ai une grande entreprise derrière moi. Mais finalement, je nage dans le même bain de malheur. C’est pourquoi je suis profondément insulté par ce qu’il fait et dit en matière d’immigration. Non seulement parce que c’est contre tout ce que ce pays représente, mais parce que c’est une insulte pour tous les immigrants qui font de ce pays ce qu’il est.

Que pensez-vous du fait que Theresa May lui ait rendu visite?

C’est honteux. Je pense que c’est l’avis de toute la population britannique. Même si je comprends que c’est un acte diplomatique, il est difficile à avaler qu’elle consent implicitement à ce qu’il fait en matière d’immigration. Et Theresa May aussi est en train de mener une politique assez vénéneuse. On ne peut dire qu’elle ne soit pas à blâmer. Elle est le leader d’un parti qui sème systématiquement la peur des immigrants, ce qui a finalement mené au Brexit.

Quels sujets internationaux souhaitez-vous traiter cette année?

L’année passée, nous avons parlé du Brexit, et nous avons surtout voulu montrer qu’il paraissait peut-être dénué d’importance, mais que ce genre d’événements – comme tout en Europe – ne vient pas de nulle part.

Le Brexit entraîne des conséquences significatives et permanentes, alors qu’il n’a même pas encore eu lieu. C’est une décision irréversible dont nous allons certainement sentir les effets encore pendant une génération.

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Cette année verra aussi de nombreux événements en Europe dont il est important que les gens les comprennent. Les élections françaises, allemandes… L’année passée, les élections en Autriche ont failli mal tourner. Cela faisait peur. S’il y a une vague forte à droite, c’est une mauvaise nouvelle pour tous. Donc, oui, je surveille le virage à droite de l’Europe.

Il y a quelques semaines, le LA Times a publié une opinion qui disait que les fausses nouvelles ont leurs racines dans la satire politique. Parce que les shows comme le vôtre et The Daily Show ridiculisent les nouvelles. Que pensez-vous de cet avis et comment voyez-vous votre rôle à l’ère des fausses nouvelles?

Je ne suis absolument pas d’accord. Parce que la motivation est complètement différente. Le problème des fausses nouvelles, c’est que c’est une espèce d’un nom collectif partagé, avec l’acceptation que c’est basé sur la vérité. Si vous remontez à la source de l’histoire originale, il s’avère que c’est du n’importe quoi. Pour notre show – et je ne peux parler uniquement pour lui, pas pour The Daily Show et les autres – nous vérifions tous les faits. Toutes les statistiques, tous les clips. Si quelqu’un déclare dans un clip vidéo: « j’ai été escroqué pour mon emprunt de voiture », nous nous adressons à la chaîne locale qui a diffusé l’information et nous demandons la documentation. Si elle manque, nous partons à la recherche de la personne et nous lui demandons la documentation. Si on ne la trouve pas, ou si elle ne souhaite pas donner de preuve, nous ne l’utilisons pas. Nous vérifions tout jusque dans les moindres détails.

Cependant, l’auteur estimait qu’en ridiculisant les nouvelles, en les tournant à la dérision, on a créé un climat où elles ont moins de valeur.

Nous faisons des farces avec les histoires importantes. Mais nous avons toujours vivement défendu le journalisme. L’année dernière, nous avions un sujet de vingt minutes sur les problèmes du journalisme local et ce que cela signifie pour la chaîne alimentaire des médias (voir vidéo ci-dessous). Et nous avons même tenté d’indiquer où nous nous trouvons dans cette chaîne. Nous ne sommes pas journalistes, mais nous essayons toujours de les défendre. Je pense que l’une des menaces les plus urgentes émanant de la Maison-Blanche, c’est qu’elle essaie de dévaluer la valeur du journalisme. Je veux dire que le terme de « fake news » ne signifie rien. Il est tellement galvaudé, qu’il ne signifie plus rien. Trump souhaite simplement montrer des gens du doigt et crier fake news.

Il prend un moment pour peser ses mots.

Si la définition de fake news, c’est que certains facteurs perturbateurs écrivent littéralement de la fiction et manipulent le système de façon à ce qu’elle soit diffusée, soit pour des raisons politiques, soit pour créer le chaos, alors c’est une définition très étroite. Dans ce cas, on ne peut désigner le New York Times et prétendre que ce sont de fausses nouvelles, car ce n’est pas le cas.

Or, en ce moment les médias vivent une sorte de dépression nerveuse universelle. Le cycle d’info en continu les oblige à être les premiers pour tout, et à vérifier les faits seulement après coup.

C’est épouvantable. Et je pense que vu la quantité de contrevérités bien intentionnées qui vont sortir de la Maison-Blanche, beaucoup d’organisations d’informations devront se demander s’ils doivent encore diffuser toutes ces déclarations et ne pas les vérifier. Les déclarations de Kellyanne Conway à propos de Bowling Green Massacre par exemple (Conway a affirmé qu’il y avait un attentat terroriste à Bowling Green ignoré par les médias), alors que celui-ci n’avait jamais eu lieu. Il s’est avéré qu’elle avait déjà tenu les mêmes propos au magazine Cosmo! Ils ont vérifié l’information et en ont conclu que c’était un mensonge. Ils ne l’ont donc pas imprimée, pour ne pas diffuser de fausses informations. Le Cosmo! Je veux dire, c’est une bonne revue, mais ils écrivent aussi des articles sur 42 positions sexuelles. Je pense que cette technique de vérifier l’information avant de prendre une décision deviendra beaucoup plus importante dans les reportages sur la Maison-Blanche.

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