Jim Carrey et le stand-up des années 70

Les comédiens du Goldie's bossent dur pour percer dans un métier de vache enragée où la concurrence est féroce et les cachets minimes, si pas inexistants. © Showtime
Nicolas Bogaerts Journaliste

I’m Dying up Here, nouvelle série de Showtime co-produite par Jim Carrey, revisite l’âge d’or du stand-up à l’américaine. Portrait d’une scène et de ses artistes entre ombre et lumière.

Sur le Sunset Strip de LA, en 1973, le Goldie’s est un de ces « comedy clubs » qui débordent d’humoristes avides de monter sur les planches pour lâcher leurs bons mots à un public gavé de frites et d’alcool. Tout bascule lorsque la bande de potaches apprend la mort brutale de Clay (Sebastian Stan), renversé par un bus. Explosé en plein vol alors qu’il venait de décrocher le Graal de tout comédien aspirant à régner sur le stand-up: une apparition dans le Tonight Show de Johnny Carson, authentique messe cathodique nocturne et quotidienne. Clay, qui était le plus talentueux et la plus arrogant de la bande, revient jouer les consciences invisibles auprès de ses plus ou moins inconsolables partenaires: son ex-petite amie Cassie (Ari Graynor), le vénère Adam (RJ Cyler), l’amer Bill (Andrew Santino) et les autres, Clark et Michael, amis d’enfance arrivés de Boston pour percer enfin… et qui squattent une penderie, faute de tunes.

Big Bang

Ces histrions sont dévorés par l’ambition, le manque de confiance, la libido, la recherche de la punchline et de ce petit quelque chose qui va les démarquer des autres: une nuit blanche, une expérience sexuelle malheureuse, ou la mort d’un proche, de quoi générer un peu plus de cette aigreur et de cette bile qui font encre…

I’m Dying up Here est l’adaptation, pour la chaîne Showtime, d’un essai du journaliste William Knoedelseder qui raconte l’histoire authentique du Comedy Store. De ce lieu qui a contribué à forger le mythe des « comedy clubs » des années 70-80, véritable labo de l’humour, ont jailli Eddie Murphy, Whoopi Goldberg, Michael Keaton, Robin Williams, David Letterman, Louis CK… La liste est trop longue, sans même compter les noms tombés dans l’oubli. De ce livre, le showrunner David Flebotte (Masters of Sex) a gardé l’ambiance singulière et fauve qui électrise la scène de L.A., ainsi que son importance culturelle. Les personnages sont ici tous fictionnels (sauf Johnny Carson, joué par Dylan Baker), même s’il est difficile de ne pas voir dans le portrait de Goldie (Melissa Leo), tout en classe et en morgue, celui de Mitzi Shore, propriétaire mythique du Comedy Store. De même qu’il y a, dans la secousse sismique provoquée par la mort de Clay, probablement des traces du trauma et du vide laissés par les décès tragiques de ceux qui se sont cramés en vol: Freddie Prinze en 1977, John Belushi en 1982 ou encore Andy Kaufman en 1984… L’histoire de Kaufman, adaptée en biopic par Milos Forman (Man on the Moon, 1999) avait offert son meilleur rôle à Jim Carrey. C’est ce dernier que l’on retrouve en co-producteur de la série, lui qui a vécu de l’intérieur ce moment clé dans l’histoire de la comédie US: l’éclosion du stand-up sur la Côte Ouest, théâtre d’un Big Bang qui va progressivement organiser la scène comme antichambre de la télévision et du cinéma. Le premier épisode s’ouvre en 1973, deux ans avant la naissance du Saturday Night Live. Ce fondement inamovible de la télévision moderne a pu exister et se déployer justement parce qu’à ses pieds bouillonnait tout un vivier de talents: humoristes, imitateurs, comédiens dopés à l’ambition, au besoin de reconnaissance et, parfois, aux drogues diverses. Au moment de créer le SNL, Lorne Michaels n’avait qu’à se baisser pour lancer une troupe aussi révolutionnaire qu’hétéroclite et polymorphe, créer une émulation qui allait redéfinir les formats télévisuels.

Catharsis

Alors que le stand-up fournissait la télévision en acteurs, actrices et en plumes acérées pour révolutionner les formats, il fournit aujourd’hui la matière à une série télé qui, si elle s’inscrit dans une liste d’autres ayant traité le sujet (voir encadré), en montre davantage les arrières-cuisines poisseuses, sous un lustre de pacotille (et un peu trop de moumoutes). Nanti de seconds rôles prestigieux (Robert Foster, Alfred Molina, Al Madrigal, Cathy Moriarty), de punchlines et de situations hilarantes puisées parfois dans la mémoire des auteurs, producteurs et comédiens, I’m Dying Up Here fait miroiter la mélancolie tenace des clowns tristes. Celle qui affleure de la part sombre de la création, de ses turbulences, et tente de retrouver un âge d’or révolu… ou qui n’a simplement jamais été. Avec une belle exubérance, elle met en images l’idée selon laquelle l’humour est une catharsis délicate et frénétique, fragile et puissante à la fois, qui va chercher très loin les émotions, les névroses, l’absurde et la peur de la mort pour les faire remonter à fleur de peau.

Indépassables Seinfeld et Louie

Jim Carrey et le stand-up des années 70

Jim Carrey et le stand-up des années 70

Entre 1989 et 1998, Jerry Seinfeld va bouleverser le monde de la sitcom américaine. En compagnie de son vieux comparse acariâtre et hypercondriaque Larry David à l’écriture et des acteurs Julia Louis-Dreyfus, Jason Alexander et Michael Richards, il va développer une série irrésistible qui matérialise la quintessence du stand-up à l’écran: les 180 épisodes de Seinfeld sont scandés par ses passages in vivo sur scène, tandis que l’écriture puise dans les observations et les expériences personnelles, transformant le quotidien du comédien en un rituel du rien, des petites et grandes misères, des névroses, des monomanies misanthropes et des quiproquos. Douze ans après la fin de cette série culte, le meilleur représentant de la scène actuelle, Louis CK, touche à sa manière au sublime avec Louie, où les alternances entre les parties stand-up et les embarrassantes scènes de la vie quotidienne sont plus nombreuses. Le traitement unique de cette matière féconde (bides, sexualité foirée, angoisses et crises personnelles…) va donner des idées à Mike Birbiglia (Don’t Think Twice), Pete Holmes (Crashing, produite par Judd Apatow) et Melissa McCarthy (Nobodies) mais aucune de ces tentatives ternes n’atteindra les sommets de ses aînées.

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