D6bels devient Décibels. Mot d’ordre: pas de chichis

Blackwave. Les Anversois hip-hop en live pour la nouvelle formule de Décibels au Kanal-Centre Pompidou. © RTBF
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Dès le 17 mars, D6bels devient Décibels. Nouvelle formule et nouveau décor pour l’émission musicale, qui se déclinera aussi bien en télé et en radio que sur le Web. Un vrai laboratoire de la mue transmédia entamée à la RTBF…

Mercredi 6 mars. Il n’est pas loin de 20h, quand le bus de la Stib quitte le square Sainctelette pour bifurquer vers la droite. Une demi-heure plus tôt, la cinquantaine de passagers a embarqué, sans aucune idée de la destination finale. En longeant les quais, ils commencent seulement à comprendre. C’est bien au Kanal-Centre Pompidou qu’ils ont rendez-vous. Pas pour un remake de La Nuit au musée, non. Mais bien pour inaugurer la nouvelle formule de Décibels, l’émission live de la RTBF.

C’est en effet dans l’ancien garage Citroën, que le format musical a décidé d’opérer officiellement sa mue. La veille, ce sont Juicy et le Français Lord Esperanza qui ont essuyé les plâtres; ce soir, c’est au tour des Anversois hip-hop de Blackwave et à Alice On The Roof de s’essayer à Décibels version 2.0. Après pas loin de dix ans d’activité, l’émission avait besoin d’un rafraîchissement. À la faveur de la réorganisation en cours du côté de Reyers, il était même devenu indispensable. La formule a donc été revue. Et le changement s’annonce radical…

Brut de décoffrage

Alors que les fans de Blackwave patientent dans le coin restauration du musée ou font la file au photomaton, Alice On The Roof vient seulement de terminer son soundcheck. Son public à elle doit arriver un peu plus tard, en deuxième partie de soirée. En outre, il devra patienter: les opérations ont pris un peu de retard. Appelez ça des maladies de jeunesse. Il faut dire que les mises en place sont conséquentes. Blackwave est arrivé en mode full band -les deux rappeurs, batterie, basse, guitare, cuivres, clavier. Et Alice On The Roof elle-même a prévu claviers, cordes, etc. « On avait envisagé d’ouvrir 20 lignes. Mais Alice nous a demandé si il était possible d’en disposer de 40… », explique Sylvestre Defontaine. L’ex-animateur de Pure n’a pas hésité bien longtemps: récemment nommé responsable des contenus pour le pôle « jeunes adultes » de la RTBF (lire plus loin), il tient à mettre tous les atouts de son côté… Chapeautée par Hakima Darhmouch, la responsable culture et musique, la nouvelle version de Décibels, c’est un peu son bébé. Et ces deux premières soirées au Kanal, son baptême du feu.

Alice on the Roof
Alice on the Roof

Difficile d’ailleurs d’imaginer lieu plus symbolique pour enclencher la mutation. Fini la Ferme du Biéreau, à Louvain-la-Neuve, où l’émission live de la RTBF avait pris ses habitudes. Pour son relifting, elle revient à Bruxelles, et s’est trouvé comme décor un ancien garage reconverti en musée contemporain: les poutres en bois de la grange ont laissé place au béton et aux espaces industriels bruts de décoffrage. Il n’y a même plus de scène à proprement parler. Au premier étage du bâtiment, le groupe Blackwave et Alice On The Roof joueront à hauteur du public, dans un décor minimaliste: plafond bas, fenêtre donnant sur la ville, tandis que des néons verticaux circonscrivent l’espace, tout en accentuant la profondeur de champ. « Le but était de se retrouver dans un endroit brut, sans artifice, et qui en même temps ait vécu. On voulait aussi éviter d’atterrir dans une salle existante. Notamment parce que je ne voulais pas donner l’impression que c’était simplement un concert filmé. Cela peut paraître idiot, mais si vous voulez voir un concert, il faut aller en salle, c’est là que cela se passe. Avec Décibels, on propose autre chose. » Que « l’action » se déroule à Bruxelles n’est pas tout à fait innocent non plus. « On ne pourra plus rétorquer que c’est compliqué de courir jusqu’à Louvain-la-Neuve. On se rapproche aussi des lieux de concerts: pourquoi pas imaginer voir les artistes enchaîner et venir jouer une « after »? Tout a été pensé et construit pour qu’il y ait le moins d’arguments techniques en notre défaveur… »

Décibels n’est pas pour autant « ancré » au Kanal. Seuls les huit premiers numéros y seront enregistrés. Ensuite, il faudra trouver un autre endroit. Nomade, l’émission ne se facilite pas la tâche. « J’ai beaucoup entendu ça en effet, sourit Sylvestre Defontaine. Mais je voulais que ce soit différent. Je respecte fort le travail qui a été fait avant. Mais cela correspondait à une époque de la RTBF, et à une certaine consommation de la télé qui est aujourd’hui en train de complètement changer. » D’où une nouvelle manière d’envisager Décibels

Juicy
Juicy

Transmédia express

Le changement n’est pas que cosmétique -à l’image du fameux « 6 » présent dans l’ancienne graphie de l’émission, aujourd’hui disparu: « La plupart voulaient le garder, mais personne ne pouvait m’expliquer ce qu’il signifiait: on l’a enlevé. » Pas de chichis, c’est un peu le mot d’ordre, raccord avec une version qui se veut plus simple, « authentique » et directe. À cet égard, le changement le plus spectaculaire est sans doute l’absence de présentateur. Il reste bien un journaliste -notre confrère Nicolas Alsteen, pour ne pas le nommer- qui réalise des interviews des artistes pendant l’après-midi. Par contre, plus personne ne présente directement l’émission. « Ce n’est pas du tout un désaveu du boulot de Fanny Gillard, qui oeuvrait jusqu’ici. C’est juste que cela ne fait pas partie de la nouvelle « écriture » de l’émission, qui cherche à diminuer au maximum les barrières entre les spectateurs et l’artiste. On veut vraiment que le public s’accapare le programme. Il n’y aura plus d’intervenant visible à l’écran, ni même au générique. J’entends certains dire que le résultat sera trop désincarné. C’est exactement le contraire! On veut rendre l’émission la moins artificielle possible. À l’image du rapport entre l’artiste et ses fans, qui se fera de la manière la plus simple qui soit. » De fait, ce soir-là, une fois les cinq titres enregistrés, les rappeurs de Blackwave prendront le temps de discuter, d’enchaîner les selfies.

Ce genre de scène est évidemment filmée (tout comme le trajet en bus, par exemple) et sera déclinée par ailleurs. Notamment, voire surtout, sur le Web. Car si la version télé Décibels change de visage, elle ne sera surtout plus qu’une facette de l’émission, parmi d’autres. « On a réfléchi Décibels comme un projet transmédia, d’abord pensé pour le Web, mais avec des standards de qualité de la télé. » Plus question donc de venir filmer quelques images avec un smartphone pour alimenter Internet. Désormais, le traitement Web est aussi important que le passage sur la télé « linéaire ». Dans le cas de l’émission musicale, le rapport s’est même inversé. Après avoir été diffusés sur l’antenne de Pure (le vendredi), les concerts seront d’abord lâchés sur la plateforme Auvio (le dimanche) avant d’atterrir sur la Deux le mercredi. Une petite révolution, qui, à partir d’un même contenu, devra multiplier les formats: interviews longues ou XS disponibles sur Auvio, version podcast sur Pure, chansons live disponibles « à l’unité » sur YouTube, questions posées par les fans à l’artiste sur Instagram, etc. « Ce qui impose pas mal d’agilité et de souplesse aux équipes. Et de boulot, forcément: le mien étant notamment que cela ne fasse pas déborder la charge de travail. Mais c’est une période très excitante. Il y a d’ailleurs une vraie demande pour faire évoluer les choses, expérimenter. On change d’état d’esprit. Aujourd’hui, il est tout aussi noble de travailler pour la télé que pour le Web. Si on n’a pas compris ça, on est mort. »

Nouveau départ

Cinq questions à Sylvestre Defontaine.

D6bels devient Décibels. Mot d'ordre: pas de chichis

« Mon job, c’est d’avoir des problèmes. Et de trouver des solutions. J’adore ça! » Sylvestre Defontaine peut être rassuré. À 43 ans, l’ex-taulier de Pure ne devrait pas manquer de défis à résoudre. Depuis la rentrée de septembre, il est en effet chargé de réfléchir à une série de contenus, destinés à ce que le nouvel organigramme de la RTBF a désigné comme le public « jeunes adultes ». Soit les 25-39 ans – « en interne, on parle parfois des adultes qui portent des baskets «  (sourire)-, ceux qui n’ont pas tout à fait abandonné la télé linéaire, mais basculent de plus en plus souvent sur l’écran du PC ou du smartphone. À cet égard, Décibels fait figure de premier test grandeur nature. Un chantier prioritaire, censé servir de laboratoire. Dans un paysage audiovisuel où la présence de la musique live s’est réduite à peau de chagrin, c’est aussi un sacré défi.

Pourquoi avoir quitté Pure?

Après 14 ans d’antenne, j’avais envie d’autre chose. Il faut aussi dire qu’en travaillant depuis autant de temps dans une entreprise comme la RTBF, vous voyez forcément les failles. J’en avais assez d’être dans la critique, je voulais agir. J’ai donc déposé un dossier et il se fait qu’il a été accepté.

Pourquoi avoir décidé de remodeler Décibels?

Tout part de la transformation de l’entreprise, désormais organisée en deux pôles: d’un côté, celui constitué des médias – les « tuyaux » en quelque sorte (télé, radio, internet); et de l’autre, celui qui est en charge des contenus. En outre, les médias ont été répartis en quatre entités, définies par rapport à leur public: « Nous », qui rassemble la Une et Vivacité, s’adresse à une cible familiale, intergénérationnelle; « Affinitaires » vise des gens qui ont envie de creuser des thématiques -soit le public de la Première, la Trois qui devient la chaîne culturelle, Classic 21 et Musiq 3; le pôle « jeunes adultes », avec Pure et la Deux; et enfin, Ouftivi et Tarmac qui s’adressent aux « nouvelles générations », soit les moins de 25 ans. Aujourd’hui, je travaille donc pour le pôle contenu, plus particulièrement pour la partie « jeunes adultes ». Mais plus pour une chaîne en particulier.

Qu’est-ce que cela change pratiquement?

En gros, il n’y a plus de télévision ou de radio. Tout a été fusionné. Quand je crée un nouveau contenu, il est forcément conçu pour être crossmédia, c’est-à-dire destiné à être décliné aussi bien en télé, radio, que sur le Web. C’est ce qu’on a fait avec Décibels. Le chef éditorial de la Deux, Arnaud Laurent, qui a lui-même 25 ans, m’a passé « commande » d’une émission qui puisse coller à la cible de la chaîne. Un public qui aime tel genre de choses, qui a tel type de consommation des médias, etc. Auparavant, on couvrait les différents domaines de manière très large. Dans une émission comme D6bels, on retrouvait par exemple aussi bien Salvatore Adamo qu’un rappeur comme Lomepal. Comme je dis souvent, on tirait à la chevrotine. Aujourd’hui, l’idée est d’être plus fin et précis.

Il s’agit aussi de s’aligner plus clairement sur la programmation de Pure?

Chaque fois qu’on produit un contenu, il doit pouvoir fonctionner à 360 degrés. Dans ce cas-ci, cela veut dire que Décibels doit évidemment avoir une vie sur le Web, mais aussi sur Pure, qui fait partie de la même entité que la Deux. Il n’est pas question d’inviter un artiste qui n’est pas joué sur Pure. Mais en sachant aussi que je peux me « servir » aussi bien dans la programmation de jour que dans celle du soir, souvent plus pointue. En outre, on a demandé à chaque invité d’amener un guest, qui n’est pas forcément dans la lumière.

La question de la musique à la télé revient régulièrement. Reste-t-il encore de la place pour des programmes musicaux, en dehors des cérémonies de remises de prix type Décibels awards ou des émissions de variétés/télécrochet façon The Voice?

Décibels est justement la preuve que cela reste possible. Après tout, on aurait pu considérer que sa place était uniquement sur le digital -comme c’est le cas désormais de l’émission Max et Vénus, qui ne fonctionnait pas trop en télé, mais qui obtenait des bons scores sur Auvio. À cet égard, le fait de garder une place pour Décibels sur le « linéaire » est un geste fort.

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