Critique

À la télé ce soir: Top of the Lake

Top of the Lake - Elisabeth Moss © DR
Guy Verstraeten
Guy Verstraeten Journaliste télé

La réalisatrice néo-zélandaise s’essaie à la mini-série dans Top of the Lake, splendide thriller lyrique établi au bord d’un lac paradisiaque.

Disque dur vigoureux, saisons complètes et triées, sous-titres au poil, jaquettes électroniques stylées, tout bien. Sauf le temps. Pas le temps pour cet ami, heureux propriétaire d’une centaine de séries compressées, d’avaler ne fût-ce que le quart de cette pêche au gros. Pour la plupart, ces productions plus ou moins récentes attendent patiemment leur tour avant d’atterrir, en fonction de l’intensité de leur pilote, dans la chambre à coucher dudit ami ou dans sa corbeille. Pléthore. Overdose. Le filon série s’essouffle-t-il, à l’heure de la démocratisation massive du téléchargement?

Devant tant de choix, tant d’essais-erreurs, trouver la série qui tue s’apparenterait presque à une désespérante battue en Forêt Amazonienne. D’où l’intérêt de ces mots, puisque vous les lisez: ne manquez pas Top of the Lake. Faites-nous confiance. La mini-série de Jane Campion, co-écrite avec son vieux complice Gerard Lee, frôle la perfection.

Comme d’autres figures majeures du cinéma contemporain (Scorsese, Fincher, Mann…), la réalisatrice néo-zélandaise a donc estimé que la télé pouvait être parfois « plus audacieuse et plus libre que beaucoup de films de cinéma« , comme elle l’expliquait récemment. Objectif? Prendre le temps. Et laisser s’épanouir à son rythme une intrigue construite comme un roman. Grande dévoreuse de littérature, Campion la Néo-Zélandaise, palmée d’or en 1993 pour La Leçon de Piano, nous emmène sur ses terres natales, au bord d’un lac somptueux.

Violence au paradis

Tui, 12 ans, s’enfonce pas à pas dans les eaux paisibles de cet immense lac. Juste à temps, son institutrice vient la secourir, puis la mène à l’infirmerie. Et la bombe éclate: Tui est enceinte de plusieurs mois. Revenue dans son village de Laketop pour visiter sa maman malade, Robin Griffin, policière spécialisée dans la protection infantile, va prendre l’affaire à bras-le-corps. Pour savoir qui est le père. Viol? Relation inavouée avec l’un de ses camarades? Laketop cache, dans ses placards, quelques plaies mal cicatrisées. Le papa de Tui, Matt Mitcham, est un caïd local autoritaire et charismatique. Persuadé que sa fille n’est qu’une « petite salope » qui ferait bien d’avorter, il se préoccupe davantage de l’un de ses lopins de terre, Paradise, qui vient d’être investi par un groupe de femmes fragilisées. Lesquelles vivent dans des containers sous la bienveillante direction de leur gourou, CJ, longs cheveux gris et baskets Asics aux pieds. Pourtant, Matt devra bientôt réévaluer la situation quand sa fille Tui disparaîtra. Pour Robin Griffin, cette disparition marque le début d’une longue enquête qui l’obligera à bouleverser les éléments de sa vie, notamment les attaches amoureuses qu’elle avait à Sidney.

La réussite de Top of the Lake s’appuie sur différents leviers. Bercée par un rythme assez unique en son genre, la mini-série ne brusque jamais rien. Tout en évitant avec beaucoup d’habilité la contemplation pure: chacune des scènes paraît à sa place, le pied sur le frein ou sur l’accélérateur, dans un ensemble organique et cohérent. Par endroits, Campion s’autorise quelques rêveries oniriques (notamment une escapade sous ecstasy, dans les montagnes) qui, si elles n’alimentent pas forcément l’intrigue en carburant, jouent sur le deuxième tableau-force de son essai: la photo. Paysages sublimes captés avec grâce, lac et montagnes de Laketop fascinants d’amplitude. « C’est ce dont parle Top of the Lake: comment, au coeur du Paradis, il y a la violence« , expliquait Jane Campion dans une master class donnée au cours du dernier Festival de Cannes, où son incursion télévisuelle était présentée. Dans ce véritable Eden sur Terre, le mal a toute sa place. Souvent chez les hommes, d’ailleurs, qui n’ont pas très bonne presse dans la série: entre rednecks beaufs et graveleux, policiers malsains ou forte-tête mafieuse aussi douteuse sur le plan moral qu’hygiénique, les mâles en prennent pour leur grade. Plaidoyer féministe? Campion s’en défend, même si, entre une enquêtrice aussi libre que pleine d’abnégation et une communauté où les femmes pansent leurs plaies ensemble, loin des blessures infligées par les hommes, on ne peut s’empêcher de songer à l’aspect militant de l’entreprise.

The Killing en exemple

La finesse du scénario n’aurait pu s’autoriser une interprétation bancale. De fait, aussi justes les uns que les autres, les acteurs de Top of the Lake épatent, sans exception. Dans le rôle principal, Elisabeth Moss (Peggy Olson dans Mad Men) rend l’intensité de son personnage avec une vérité qui rappelle la prestation de Mireille Enos dans The Killing. Les similitudes entre ces deux personnages de femme ne sont d’ailleurs pas le fruit du hasard: Jane Campion a admis s’être inspirée de cette série pour imaginer son intrigue. On y retrouve l’enquêtrice féminine sensible et investie, les tons gris et bleutés de la photo ou encore le rapport assez signifiant à l’eau. Comme dans Twin Peaks, dont l’ombre plane également ici.

Dans le rôle d’un patriarche complexe et fort en gueule, ce bon vieux Peter Mullan, le Joe de My name is Joe (Ken Loach), donne tout ce qu’il a dans le ventre. Pareil pour Holly Hunter, héroïne de La Leçon de Piano: elle joue ici le gourou GJ, personnage atypique qui injecte dans la série une dose bienvenue de recul et d’humour.

Présentée aux festivals de Sundance, Berlin et Cannes, Top of the Lake s’affirme comme l’une des dernières grandes trouvailles de la fiction télé. Si l’on excepte un final un brin décevant, la mini-série de Jane Campion et Gerard Lee vaut vraiment le coup de zapette. Promis.˜

UNE MINI-SÉRIE BBC TWO/SUNDANCE CHANNEL/UKTV, CRÉÉE PAR JANE CAMPION ET GERARD LEE. AVEC ELISABETH MOSS, PETER MULLAN, AL PARKER.

Episodes 1, 2 et 3 le 5 août à 20h50 sur Arte.

Episodes 4, 5 et 6 le 12 aout à 20h50 sur Arte.

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