Critique

[à la télé ce soir] The Painter and the Thief

© BENJAMIN REE/KRISTOFFER KUMAR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Rencontre de deux marginaux que tout semble opposer, ce documentaire à deux voix primé à Sundance pour son storytelling gratte le vernis de nos vies, explore les vertus prodigieuses de l’art et questionne l’influence du regard des autres sur la perception de soi.

À Oslo, les oeuvres d’art ont une fâcheuse tendance à se volatiliser. En août 2004, c’est déjà dans la capitale norvégienne que La Madone et l’incontournable Cri de Munch avaient disparu. Cet autre cambriolage, moins retentissant, a débouché sur une bien étrange histoire, devenue le sujet déconcertant de ce documentaire réalisé par Benjamin Ree (Magnus). En avril 2015, l’artiste tchèque Barbora Kysilkova, connue pour ses oeuvres naturalistes, se fait dérober deux tableaux à la Galerie Nobel. Les malfrats ont vite été démasqués. Ils ont embarqué les toiles enroulées sous le bras et ont montré leurs jolis minois aux caméras de vidéosurveillance. C’est là que la tournure des événements devient surréaliste. Confrontée devant les tribunaux à celui qui a fait disparaître ses oeuvres (les peintures n’ont pas été retrouvées), Kysilkova lui demande de poser pour elle. Et non contente de lui tirer le portrait, elle va se rapprocher de Karl-Bertil Nordland et tisser avec lui une vraie relation d’amitié.

Tatoué de la tête aux pieds, Nordland a été prof de menuiserie, est l’un des seuls Norvégiens à connaître la technique des rondins empilés et a terminé troisième d’une Coupe d’Europe de BMX dans les années 90. C’est aussi un toxicomane tout ce qu’il y a de plus imprévisible. Il semble de bonne foi quand il dit ne plus se rappeler de la journée en question. « Je ne me souviens pas de ce que j’ai fait des tableaux. Tout ce qui s’est passé ce mois-là est flou pour moi. Je ne sais pas où ils sont. (…) Je t’ai tout dit. J’étais complètement défoncé. » Kysilkova aimerait comprendre ce qui s’est passé. Mais  » comment comprendre un junkie qui n’a pas dormi depuis quatre jours, qui a pris 20 grammes d’amphétamines et avalé une centaine de pilules« . « Les mouchards ne font pas de vieux os » tatoué sur le torse, un t-shirt « Le crime paie » sur le dos… Tout en s’offrant aux pinceaux de sa victime, Nordland va lui raconter comment il est devenu un délinquant et un toxico. La fête, du mercredi au mercredi. Les meurtres, les suicides et les overdoses de ses anciens compagnons de vie. Tandis que Kysilkova se demande à quoi aurait ressemblé la vie de son nouvel ami si quelqu’un avait pris la peine de le voir vraiment, Nordland perce les secrets de sa bienfaitrice. Rencontre de deux marginaux que tout semble opposer, ce documentaire à deux voix primé à Sundance pour son storytelling gratte le vernis de nos vies, explore les vertus prodigieuses de l’art et questionne l’influence du regard des autres sur la perception de soi.

Documentaire de Benjamin Ree. ****

Lundi 29/03, 00h45, Arte.

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