Critique

[À la télé ce soir] Nos jeunesses perdues

© 2019 NRW / Arte France
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Éric D’Agostino s’intéresse à ceux qu’on appelle « les dessaisis »: les mineurs renvoyés par le juge de la jeunesse devant la justice des majeurs.

Frontière belgo-française. Au milieu des bois, au coeur de la forêt ardennaise. On est à la prison de Saint-Hubert, dans une petite section de jeunes multirécidivistes ou auteurs de crimes. Ils ont entre 16 et 22 ans et purgent des peines d’adultes dans un système qui préfère trop souvent l’emprisonnement à la réinsertion. Dalhad, à côté de ses pompes, croit qu’il sera bientôt libéré. Il ne se souvient même pas s’il a déjà avoué au juge l’un des faits qui lui est reproché. Franco, lui, se demande pourquoi on ne trie pas les détenus comme on le fait avec les déchets ménagers. « Un bac pour les cartons. Un autre pour les ordures. » À Saint-Hubert, le temps est long. Entre des ateliers de menuiserie et de cuisine, les reclus font des tractions aux barreaux, courent et soulèvent des haltères à la salle de sports, font du rap et parlent à travers les murs.

En 2014, avec son documentaire La Nef des fous (une référence au tableau de Jérôme Bosch), Éric D’Agostino plongeait dans les annexes psychiatriques de la prison de Forest. Là où sont placés sans date de sortie préétablie les détenus déclarés irresponsables de leurs actes. Dans Nos jeunesses perdues, il s’intéresse à ceux qu’on appelle « les dessaisis »: les mineurs renvoyés par le juge de la jeunesse devant la justice des majeurs. Ils sont une douzaine à Saint-Hubert. Enfermés pour des raisons diverses sur lesquelles le réalisateur ne s’appesantit pas trop. « Que veux-tu apprendre ici à part la violence? Ils croient quoi les juges? On va être enfermés avec des délinquants qui ont fait pire que nous et on va arrêter nos conneries? Pas du tout. C’est comme ça que tu plonges. À force de rester enfermé. Tu es là pour vol avec violence mais certains sont là pour braquage, meurtre… Ils vont t’apprendre ce genre de trucs. Il y en a, c’est pour terrorisme. Ils peuvent te radicaliser. »

En mode cinéma direct, sans commentaire mais avec beaucoup d’intelligence et de pudeur, D’Agostino suit les groupes de parole et les tête-à-tête avec les éducateurs. Les rêves et les regrets. Les moments de fraternité et de tension. Les coups de mou et les coups de sang. L’ancien reporter de la RTBF (Tout ça ne nous rendra pas le Congo, Questions à la Une) poursuit surtout avec force et finesse un important travail sur le système carcéral et l’enfermement. Passionnant.

Documentaire d’Éric D’Agostino. ****

Mercredi 8/07, 23h30, Arte.

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