Laurent Raphaël

Délit mineur

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Si votre fiston, votre petit frère, etc. n’est pas encore complètement abruti par sa Nintendo DS, emmenez-le un dimanche après-midi au cinéma voir Madagascar 3 pour l’achever.

L’édito de Laurent Raphaël

Si votre fiston, votre petit frère, votre cousine ou votre neveu n’est pas encore complètement abruti par un usage illimité de sa Nintendo DS ou une fréquentation pathologique de sa PS3, emmenez-le un dimanche après-midi au cinéma voir Madagascar 3 pour l’achever. Avant même le début du film, rien qu’avec le matraquage des bandes-annonces, il aura le cerveau essoré comme un surfeur loupant sa vague. Et on ne parle pas ici des pubs qui avaient déserté l’écran ce jour-là mais des trailers faisant de la retape pour des longs métrages dont la sortie est prévue dans deux, trois voire quatre mois. A croire que les studios se lancent des paris pour celui qui arrivera à fourguer le plus de gags et de changements de plans dans une seule capsule. On doit friser les 50 images par seconde et tourner autour de 100 db. Car à la déflagration visuelle s’ajoute la charge de la cavalerie sonore. A ce rythme-là, le cinéma sera bientôt interdit aux épileptiques…

Une couche speedée d’Hotel Transylvania, fable au demeurant prometteuse qui voit un petit humain venir semer la zizanie dans la maison des monstres, suivie d’une tranche survitaminée de Rise of the Guardians. On ne s’inquiète même plus de l’effet des trognes cauchemardesques qui défilent. La cadence clipesque pique tellement aux yeux qu’on soumettrait Winnie l’ourson à ce régime, il aurait l’air d’un dangereux psychopathe. En comparaison, la mise en bouche de Frankenweenie, le prochain Burton, semble avoir été tournée au ralenti. On en profite pour reprendre une respiration avant de replonger de plus belle avec deux ou trois loopings promotionnels.

On n’ose pas imaginer ce qui se passe dans le cortex des petiots. Un coup d’oeil à droite, un coup d’oeil à gauche: il y a ceux qui dévorent les images comme leurs popcorns. Et il y a ceux qui ont l’air tétanisés devant ce déluge. C’est comme si on voyait leur innocence leur couler des yeux. Pour couronner le tout, le comique qui s’occupe des premières parties dans ce complexe du haut de la ville a eu la bonne idée de glisser au bout du tunnel le trailer du nouveau Jason Bourne. Là on dit bravo. C’est vrai quoi, autant les préparer tout de suite à l’avalanche d’images sanglantes et brutales qu’ils ingurgiteront de gré ou de force tout au long de leur vie. Et voilà l’assemblée de kids soumise pendant 30 secondes à un flot nourri de violence même plus amorti par le matelas de l’animation ni le pare-chocs de la métaphore. Après l’échauffement, les choses sérieuses.

Voilà comment réduire en purée des années d’efforts et de stratagèmes pour épargner au lardon les séquences les plus trashs du JT… Avec nos kilomètres de bobines en mémoire, on ne sent même plus les coups. Mais sur le sol meuble des têtes blondes, cette invasion barbare laissera des traces. Quand Madagascar démarre enfin, ce n’est pas le calme après la tempête. Les scénaristes, inspirés mais payés en cocaïne, ont eu la main lourde sur l’action. Pas de répit, ça s’enchaîne sans relâche avec l’impression d’être sur des montagnes russes pendant 1h30. On sort de la salle groggy avec à nos côtés un petit zombie aux yeux hagards. Après cette épreuve sensorielle extrême, le brouhaha de la rue paraît presque paisible. Et quand le loustic nous demande d’une voix blême ce qu’on fait en rentrant, on lui répond: on se regarde quelques vidéos d’accidents de voiture sur YouTube, on enchaîne avec le dernier Saw. Et si à minuit, on n’est pas rassasiés, on s’enfile l’intégrale George Romero. Bonne nuit les petits!

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