Adieu ciné, vive la télé

Si Steve McQueen, Bruce Willis et Will Smith délaissaient hier la petite lucarne pour le grand écran, acteurs et réalisateurs font aujourd’hui des infidélités au cinéma en se recyclant dans les séries télé. Décryptage de ces nouvelles frontières.

De Steve McQueen à Johnny Depp, quelques-unes des plus grandes stars hollywoodiennes des 50 dernières années ont d’abord fait leur trou dans les séries télé. Michael Douglas a arpenté Les Rues de San Francisco. Bruce Willis, barman qui courait les auditions à New York, a joué au détective privé. Denzel Washington au jeune toubib dans St. Elsewhere. Et même s’il a dû repasser par la Chine pour lancer sa carrière, Bruce Lee a joué dans Le Frelon vert et L’Homme de fer. Les feuilletons peuvent se targuer d’avoir formé deux James Bond. Le Saint Roger Moore et le très classe Remington Steele, alias Pierce Brosnan. Et ils ont offert leurs chances à John Travolta, Robin Williams, Tom Hanks, Jim Carrey, Leonardo DiCaprio ou encore Jamie Foxx…

La ligne de démarcation entre le cinéma et la télévision n’en était pas moins clairement marquée. C’était peut-être parfois l’un puis l’autre. C’était bien plus souvent l’un ou l’autre. Avec le temps, les frontières sont devenues plus floues. On est en 2011. La petite lucarne fait de l’oeil à la grande. Kiefer Sutherland, après 25 ans de cinoche, doit sa notoriété au personnage de Jack Bauer dans 24 Heures. Son père Donald joue les riches crapules dans Dirty Sexy Money. Nommée cinq fois aux Oscars, Glenn Close sidère dans Damages. Martin Scorsese vient de créer Boardwalk Empire, série emmenée par Steve Buscemi, dès le 21 février sur Be Tv. Et De Niro de produire Rookies, feuilleton racontant six jeunes recrues de la police new-yorkaise.

Fini de rougir

Le « Quand on va au cinéma, on lève la tête, quand on regarde la télévision, on la baisse » de Jean-Luc Godard semble avoir pris un coup dans l’aile. D’ailleurs, les salles obscures ne semblent plus être l’obsession du comédien. Faut dire qu’en matière de fiction, la télévision n’est plus aujourd’hui « le chewing-gum de l’oeil », comme le veut un célèbre proverbe américain.

À coups de Sopranos, d’Oz, de Deadwood et de Pacific, HBO a changé les séries télé. Transformant un sous-genre culturel en création artistique à part entière. Plutôt bien épaulée par la Fox avec 24 Heures chrono, Prison Break, My Name is Earl, Sons of anarchy… Les feuilletons ont gagné en qualité. Les personnages pris de l’épaisseur. De quoi assouvir les ambitions d’acteurs et faire pleurer Tom Selleck, Richard Dean Anderson, Fred Dryer qui ont meublé nos après-midi de week-ends pluvieux sous les traits de Magnum, MacGyver et Rick Hunter, sans même pouvoir prétendre à un semblant de succès en salles…

De leur temps, on attendait le grand film du dimanche soir (le lundi pour la RTBF). Les séries ne jouaient pas dans la même cour que le cinéma. Sous-produits de la télé, elles pouvaient toujours se brosser pour un prime time. Aujourd’hui, fini de rougir. Que du contraire. Les audiences et les couv’ de magazines flattent les ego.

Dirty sexy money…

En même temps, faut pas se leurrer. L’argent pèse au moins autant dans la balance que la profondeur des personnages. Les cachets pratiqués dans le milieu des séries télé font mieux que nourrir leurs hommes. Si le cas de Charlie Sheen avec 1.250.000 dollars par épisode de Mon Oncle Charlie reste exceptionnel (le feuilleton, devenu un succès mondial, est le plus rentable de tous les temps), les quatre Desperate Housewives et le méchant Docteur House empochent tout de même 400.000 dollars par apparition (chiffres dévoilés l’an dernier par le magazine américain TV Guide). Tandis que l’insupportable David Caruso, le mieux payé des Experts, s’en fait 375.000 pour jouer avec ses lunettes de soleil à longueur d’enquêtes.

De plus en plus de guest stars, invités d’un soir, en profitent pour y arrondir leurs fins de mois. Katie Holmes (pour rappel découverte en amoureuse de Dawson) et Sigourney Weaver ont raflé 55.000 euros pour leur apparition dans Eli Stone. Et ça fait presque minable à côté des 365.000 euros qu’aurait exigés Jennifer Aniston (elle enchaîne les mauvais films depuis Friends) pour un passage dans 30 Rock.

Et oui messieurs. Depuis une dizaine d’années, les femmes ont pris le pouvoir dans les séries télé. Elles qui, durant les seventies, étaient la plupart du temps réduites aux rôles de potiches. Patricia Arquette, dont la filmo impressionnante recense, entre autres, True Romance, Lost Highway et Ed Wood, a ainsi mis le cinéma entre parenthèses pour jouer dans la série Médium, qui lui a d’ailleurs valu un Emmy Award.

Pendant ce temps, au cinéma, Courtney Cox (Friends), Jennifer Garner (Alias), Sarah Michelle Gellar (Buffy) et Eva Longoria (Desperate Housewives) enchaînent ce qui ressemble furieusement à des navets. On en oublierait presque que la bluffante Hilary Swank (Boys don’t cry, Million Dollar Baby) sort de Beverly Hills 90210

Julien Broquet

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