Critique | Livres

Le livre de la semaine: Rédemption de Matt Lennox

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN NOIR | Un homme tente de rafistoler sa vie en sortant de prison. Il va se heurter aux préjugés. un portrait à l’étuvée sur la volatilité du bien et du mal.

Les Etats-Unis n’ont pas le monopole des romans atmosphériques exposant sous une lumière blafarde les zones les plus reculées de la conscience. La Canada voisin est également une pépinière d’auteurs perchés en équilibre sur l’arête effilée de la morale.

Matt Lennox
Matt Lennox© DR

Comme Matt Lennox, dernier représentant de cette lignée de flibustiers des faux-semblants. Son parcours riche en virages à 180 degrés est à lui seul typique de cette « école américaine » qui place la littérature au coeur de la vie plutôt que sur les bancs trop douillets du système scolaire. Après des études de cinéma, ce solide gaillard de 33 ans a en effet servi dans l’armée de Sa Majesté, avec séjour prolongé en Afghanistan en 2008 et 2009, avant de déposer les armes pour se consacrer à l’écriture. Une expérience qui laisse forcément des traces.

Son premier roman, Rédemption (The Carpenter en vo, soit Le charpentier, titre moins empesé), que nous convoie la très fréquentable collection Terres d’Amérique des éditions Albin Michel, semble avoir été façonné dans le même moule que les cauchemars de Dennis Lehane, Mystic River en tête. L’intrigue tient en peu de mots: après avoir purgé une peine de prison de 17 ans, Leland King revient s’installer en 1980 dans sa ville natale de l’Ontario pour être auprès de sa mère, atteinte d’un cancer. Un retour qui n’est pas du goût de tout le monde dans ce patelin à l’esprit étriqué où la justice divine supplante la justice des Hommes. Ses tentatives de se fondre dans le paysage vont vite se heurter à la suspicion, à la méfiance et à l’hypocrisie d’une Eglise qui donne d’une main compassionnelle ce qu’elle reprend de l’autre en imposant par la peur et l’intimidation la voie (du Seigneur) à suivre.

Double peine

Laissant cuire le bouillon des sentiments à feu doux, Matt Lennox a la bonne idée de ne pas nous dire d’emblée ce qui a conduit Lee derrière les barreaux, comme pour éviter de nous aveugler avec une vérité qui nous empêcherait de voir le poison se répandre dans les coeurs de cette communauté faussement accueillante. Et dans laquelle tentent de survivre d’autres brebis égarées, comme Pete, le neveu de 19 ans, le seul à ne pas être encombré par le passé de Leland, et qui ne rêve que d’une chose: fuir cet enfer unitarien. Ou encore comme Stan Maitland, flic à la retraite rongé par une vieille affaire qui refait surface à la faveur du suicide d’une jeune femme (mais est-ce vraiment un suicide?). Trois âmes unies dans leur solitude, trois marginaux dont la lucidité fait tache dans le décor.

Les émanations toxiques se libèrent lentement au gré des désillusions des uns et des autres, le fleuve narratif charriant sous la surface placide son lot de détritus. Plus on avance, plus on s’enfonce dans les zones grises de la morale, là où le Bien et le Mal dansent ensemble sur un tas de fumier.

Un roman hautement mélancolique hanté par le libre arbitre et le poids des préjugés qui malaxe la pâte humaine pour en extraire le jus amer de l’engrenage fatal. Pas de place pour la rédemption nous dit Lennox, King est coincé entre le marteau divin et l’enclume des faiblesses et choix, bons ou mauvais, qui jalonnent l’existence et s’exposent aux jugements indélébiles. Sale temps pour les braves.

  • Rédemption, de Matt Lennox. Editions Albin Michel. Traduit de l’anglais (Canada) par France Camus-Pichon, 432 pages.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content