Grinderman, la marque de la bête

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En 2010, Nick Cave est le rock. Exemple avec la deuxième poussée de sève de son projet Grinderman, sauvagement électrique et burlesque à la fois.

Moustache ou pas? Assis dans le canapé d’un hôtel cossu, derrière la Grand Place de Bruxelles, le Nick Cave version 2010 a décidé de faire sans. Une impeccable chemise couleur lie de vin assure par contre à elle seule l’élégance du bonhomme. Même si l’Australien n’a pas besoin de cela: à 53 ans, il incarne l’animal rock’n’roll dans ce qu’il peut avoir à la fois de plus racé et de plus brut.

Le projet Grinderman n’y est pas pour rien. Lancé en 2007 avec la moitié des Bad Seeds, il a réinjecté de la sauvagerie dans la poésie sombre du Cave. Le second volet, paru ces jours-ci, confirme: groove shamanique, guitares lourdement vicieuses, chant habité… Une nouvelle fois, personne n’en sort vivant, et on ne voit pas très bien aujourd’hui qui peut rivaliser avec tant de lubricité électrique.

Pourquoi est-il toujours important de faire des disques? Surtout autant: quasi un par an dans votre cas.
Je pense ressentir comme une forme de devoir… Je dois avoir accumulé quelque chose comme 200 chansons, un peu plus peut-être. J’ai l’impression d’avoir créé une oeuvre, un « body of work », qui me rend assez fier… Du coup, c’est comme si j’avais une sorte d’obligation de continuer ça, de le faire grandir en y ajoutant de nouvelles choses. Car il reste encore des endroits où aller…

Et puis je travaille également sur d’autres matières. Sur des scripts de films par exemple. Pour l’instant, je bosse sur l’adaptation télé de The Death of Bunny Munro (le roman qu’il a sorti l’an dernier, ndlr), et pour un film de John Hillcoat qui a fait notamment The Proposition et The Road.

Le projet Grinderman a été lancé un peu comme une récréation. Saviez-vous dès le départ qu’elle allait se prolonger?
En terminant le premier album, on savait qu’on allait en faire un second. On avait pris beaucoup de plaisir à l’enregistrer, les gens l’ont aimé… Cela a aussi créé une sorte de friction avec les Bad Seeds, mais dans le bon sens du terme: quelque part, cela nous a autorisés à refaire un peu plus de bruit au moment de retourner en studio. Et puis, l’audience a changé, en se rajeunissant un peu. Les femmes aussi ont commencé à nous aimer de nouveau. Non vraiment, pour un projet né de manière aussi spontanée, Grinderman ne nous a amené que du bon…

Plus de femmes vraiment?
Ah oui, les femmes aiment Grinderman. C’est sexy.

Et violent…
C’est violent et sexy. Elles aiment ce genre de truc. Enfin, pas toutes. Pas la fille du Wire Magazine. Elle n’a pas aimé le disque. Mais à part elle… (rires)

Le clip de Heathen Child, le premier single, est très particulier. On vous voit notamment déguisés en gladiateurs. Il est à la fois angoissant et complètement kitsch…
C’est ce que nous sommes! Ridicules et effrayants à la fois (sourire). On a vraiment essayé de trouver le bon équilibre entre ces deux pôles. Ce qui nous a pris pas mal de temps.

Vous êtes le seul à pouvoir vous permettre ça aujourd’hui…
Je le prends comme un compliment (sourire).

Cet équilibre, entre kitsch et cool, vous le cherchez délibérément?
C’est ce qui fait Grinderman. On se balade en effet sur une ligne très ténue, sur laquelle vous pouvez vite tomber dans le ridicule, dans quelque chose de très stupide. Ou réussir à faire quelque chose de cool et d’intéressant… Dans Grinderman, on n’arrête pas de faire des aller-retours entre les deux. Et c’est ce qui est excitant. C’est un endroit vraiment passionnant à creuser. Des gens comme Elvis Presley, Tammy Wynette, The Fall, Miles Davis, The Carpenters… Pour moi, tous ces artistes étaient capables d’être sublimes, géniaux, et à d’autres moments complètement à la rue, horribles. Vous ne saviez jamais à quoi vous attendre. J’ai toujours été intéressé par ce genre de musique. Bob Dylan est comme ça. Van Morrison a pondu la plus belle musique que j’ai jamais entendue de ma vie. Et la pire. Ce n’est pas rien, il faut pouvoir le faire! Neil Young pareil: il a fait des trucs hideux, que j’ai directement jetés à la poubelle, tellement c’était mauvais. Mais en même temps, il a réalisé des musiques incroyables.

Vos textes fonctionnent souvent sur des grands archétypes: le bien, le mal, le sexe, la mort… Au bout du compte, l’écriture sert-elle à créer votre propre monde ou au contraire, est-ce le monde qui façonne votre écriture?
C’est difficile de répondre mais pour moi, l’imagination est un endroit où j’ai appris à me sentir bien. Dans ce monde-là, tout trouve un sens. C’est très excitant pour moi. Les choses que j’écris viennent de là, de mon imagination. Pas de ma vie quotidienne. J’essaie de créer un autre univers, différent du vrai monde dans lequel on vit. Je n’ai jamais trouvé l’idée d’une chanson en lisant un journal, par exemple… Bien sûr, ma musique endosse certaines des vues que je peux avoir sur le monde en général. Mais je ne suis pas intéressé à rendre tout cela plus précis, spécifique.

Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est la première fois que vous écrivez une chanson intitulée simplement Evil
(sourire) Je n’aurais jamais imaginé cela non plus… En réalité, l’explication est très simple. Quand j’ai commencé à chanter, Warren (Elllis, ndlr) s’est mis à crier à l’arrière: « Evil! Evil! ». Cela a créé une tension bizarre entre ce que je chantais d’un côté et ce qui se passait derrière, qui amène ce côté terrifiant à la chanson. En fait, c’est comme cela que les choses fonctionnent dans Grinderman. De manière très spontanée. Même quand on l’a choisi comme titre, cela a pu paraître un peu grotesque. Mais voilà, à la fin, c’est ce qu’est la chanson, j’imagine… Disons que pour moi, c’est une sorte d’ode à Miles Davis et à son Live-Evil. Un disque génial… C’est mieux, non? (sourire).

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Grinderman, Grinderman 2 , Mute/Pias.

En concert les 17 et 18 octobre, à l’Ancienne Belgique, Bruxelles. Complet.

Laurent Hoebrechts

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