Avignon 2012: la politique dans l’½il du théâtre

© Boris Horvat/Imageglobe
Nurten Aka
Nurten Aka Journaliste scènes

Une comédie économique, un spectacle sur la démocratie, un théâtre-conférence sur la planète, à chaque fois en interpellation du public. Avignon, des questions politiques, dans l’air du temps.

Un des gros succès d’Avignon est L’Ennemi du peuple d’Ibsen, un texte de 1882, mis en scène en bonne modernité par l’Allemand Thomas Ostermeier. Le pitch? La dégringolade « initiatique » d’un jeune docteur idéaliste dénonçant la pollution des eaux de la station thermale de la ville, que son maire de frère dirige. Il finira « seul contre tous », largué par ses potes gauchos dont le rédac’ chef d’une gazette. Traduction moderne dans un décor « bobo », la pièce file à vive allure, dès le début dans un loft où le médecin répète avec son groupe rock. Très série branchée, dans un look vintage DDR/Berlin Est. L’un des gars, chaque fois qu’il met ses écouteurs sur les oreilles, c’est Changes de David Bowie qui envahit la salle, suivi de Guns of Brixton des Clash. De bons effets, couplés au jeu concret des comédiens allemands.

Une autre excellente position du metteur en scène: infiltrer dans la pièce, L’Insurrection qui vient, un texte anar’ du Comité invisible, à faire sursauter le spectateur, genre « un employé n’a pas le droit d’avoir des convictions » ou encore « La société est devenue une abstraction, l’intelligence n’est pas de savoir s’adapter, comme on nous l’apprend depuis l’enfance… » Un discours porté sur scène par le médecin censuré, lors d’une tribune où il glissera un « exterminer ses adversaires ». Intervient alors le coup de théâtre-action d’Ostermeier. On demande à la salle de voter. Évidemment, le public approuve le discours du médecin. Le spectacle plante alors sa question: comment pouvez-vous voter pour un homme qui veut exterminer les opposants et donc la démocratie! La salle s’en fout, ou n’entend pas: la révolte fait rarement dans la nuance. CQFD. Séduisant et bien foutu, L’Ennemi du peuple reçoit une salve d’applaudissements d’un public acquis/conquis.

Soap économie

Demi-succès pour le sympathique metteur en scène Nicolas Stemann qui -sur scène- nous introduit son spectacle: Les contrats du commerçant, une comédie économique, d’Elfriede Jelinek, sur le système financier, ceux qui manipulent et ceux qui ont cru au rendement à 15%. La fable du Grand Rien. Sur scène, on frôle la cour de récréation qui amuse et fatigue. On marche à l’intro. Le metteur en scène explique que les comédiens jouent un texte variable tous les soirs, dont le décompte des pages s’affiche. On démarre à 99 pages, jouées texte en mains. Comme la durée sera variable il nous signale qu’on peut entrer et sortir comme on veut, de ne pas stresser avec les surtitres « ce n’est pas le plus important ». En effet, au bout d’une joyeuse heure où l’on bouffe des euros, le texte se perd dans un spectacle, limite potache avec scène de magie, chansons participatives, intervention d’un spectateur (de mèche) etc. D’ailleurs, le metteur en scène lance aux comédiens. « On n’est pas dans le Off. Respect, c’est Jelinek, prix Nobel! »… Un spectacle trop festif et fourre-tout de 4h qui dilue le propos corrosif de Jelinek. Dommage, la sarabande était talentueuse.

Dix Milliards

Le festival se termine par les interrogations de Katie Mitchell, metteuse en scène anglaise, basée en Allemagne, préoccupée par l’avenir de la planète. Dans Dix Milliards, elle met en scène un vrai scientifique de Cambridge -Stephen Emmott- dans le décor identique de son bureau! En une petite heure, il interconnecte différents éléments cruciaux pour l’avenir de la planète, comme l’eau, l’énergie l’agriculture, la démographie, le transport, l’alimentation, le climat… Passé-présent-futur. La question s’installe: « quel peut être l’impact de la présence de dix milliards d’hommes sur la planète avant la fin du XXIe siècle? » Sa solution? Un changement radical de nos comportements à l’image d’un astéroïde risquant d’anéantir la France et l’Europe, qui mobiliserait le monde comme jamais. Passionnant et perturbant.

Le festival d’Avignon s’imbibe des enjeux de notre société: économie, écologie. Des spectacles dans l’air du temps…

Concluons par la « polémique » du festival autour de La Mouette de Tchékhov mis en scène par le Français Arthur Nauzyciel, qui fit fuir quantité de spectateurs, à la première. En Cour d’honneur: des comédiens en collants et masques de mouette dans un décor de goudron duquel sortent des carcasses métalliques comme d’un naufrage. Un décor mort et des interprètes englués dans un formalisme ringard, avec une sur-articulation, une déclamation lourde et un ballet kitch. On pense s’être trompé d’époque et on reste jusqu’au bout (4h!), effaré. Encore plus lorsque Le Monde, emballé, ose écrire « au soir de la première où les désertions furent rares » et que Libération parle de « panache et grâce » tandis que La Provence signale que « La Mouette s’écrase », que Le Figaro parle d’une « Mouette mazoutée » et Télérama d’une « Mouette engluée »… De quoi se marrer, comme chaque année, entre collègues de la presse étrangère. Car il fallait avoir carrément une mouette dans l’oeil pour ne pas remarquer la désertion massive des spectateurs. A Avignon, il y a souvent un spectacle qui fait polémique.

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