La sève de monsieur Belin

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Dandy, crooner, penseur, Bertrand Belin s’épanche dans une interview au long cours sur la genèse de son 4e album, Parcs, son amour des mots, de Buddy Holly, Debussy et Richard Hawley… Intégrale BB.

Entretien: Julien Broquet

C’était quoi l’idée au moment de travailler sur le successeur d’Hypernuit?

« L’intention principale, c’était de ne pas me répéter. Ou du moins d’essayer de m’éloigner le plus possible formellement de ce que j’avais déjà pu faire. C’est mon 4e album. J’ai la prétention de ne pas ronronner. Le répertoire est très très vaste de par le monde et de par les siècles. Je ne trouve pas des références que dans ma propre trajectoire. J’ai pour préoccupation d’aller de l’avant. J’avais aussi un appétit assez grand de disposer sur scène de morceaux convoquant la musique sur le plan physique. Ca se fait à travers des tempos. De la puissance, du rythme. J’ai un peu plus visité le combo pop classique. Batterie, basse, guitare. Je voulais un côté plus sonore. Parce que mes concerts le demandaient je trouve. Il y avait aussi une envie de réinjecter ce que j’ai toujours aimé. C’est à dire le rock et la pop. Je l’expérimentais sans doute un peu moins dans mes précédents disques. Je ne pense pas à des choses très clairement. Il y a des artistes que j’ai écoutés mais ils sont eux-mêmes les représentants d’un genre. Buddy Holly par exemple est un super auteur de chansons. C’est un mec assez peu physique si on le compare à Jerry Lee Lewis par exemple. Néanmoins, il y a une sensualité très belle dans le rythme. La pulsation, la verticalité. En opposition à l’horizontalité, au middle tempo qui caractérise généralement mes disques. « 

Enregistrer à Sheffield, c’est aussi la recherche de ces influences anglo-saxonnes. D’un côté relativement urbain ?

« J’ai toujours baigné dans ces influences. Mon catalogue n’est composé quasiment que de ça. Et puis d’un autre apport. Celui des musiques orchestrales européennes. Des grands compositeurs. Sur mon disque La Perdue, et même sur le premier, Bertrand Belin, il y avait des petites miniatures en provenance de ce que j’aime ressentir quand j’écoute Debussy, Ravel. Des trucs comme ça. C’est moins présent sur mes derniers albums. Enfin bref. Sheffield, c’était surtout à cause d’un gars en particulier. Mark Sheridan, Shez, qui vit là-bas et qui est un guitariste, un musicien sublime. L’objectif était de le rencontrer sur le plan musical pour travailler ensemble sur ce disque. Etant d’un naturel assez peu aventureux, je ne deviens pas ami avec tout le monde comme ça. Ce n’est guère par méfiance. Une question de pudeur peut-être. Du coup, je n’envisageais pas de faire de la musique avec quelqu’un dont je ne sois pas proche. Du moins en lequel je ne puisse pas remettre toute ma confiance. Quelqu’un qui pourrait me considérer comme son ami aussi. Je l’ai rencontré dans le but de bosser sur ce disque mais j’ai voulu faire connaissance humainement pour voir si on avait quelque chose à se dire. Je me suis rendu à Sheffield. Voir si nous avions quelque chose à nous raconter. Je me suis installé dans un studio de répétition là-bas. J’écrivais des chansons. Et pendant mon séjour, j’ai rencontré Mark Sheridan. C’est une rencontre qui avait été décidée hein. Je ne suis pas tombé dessus par hasard. C’est une recommandation de mon ami Chet chez Cinq7 (ndlr: son label). Il le connaît depuis une quinzaine d’années. A beaucoup travaillé avec lui. Et m’a dit: « il faut que tu rencontres ce gars ». Shez est guitariste. On a un rapport de miroir quelque part. Mais il est anglais. Il a une autorisation de fait, inscrite dans son ADN, de pratiquer un certain genre de musique sans être dans la citation et l’imitation. Quand nous autres en France, bien qu’on le fasse avec le plus de naturel possible, on a toujours l’impression d’imiter les grands frères. Il nous manque une légitimité. Tout le monde ne vit pas les choses comme ça. Certains font de la musique avec une certaine joie et légèreté, un désir de divertir qui ne va pas se poser de problème d’éthique, de politique, d’esthétique. Ce qui est bien aussi. Et tant mieux pour ceux qui pratiquent la musique de la sorte. Mais ce n’est guère mon cas. Je réfléchis à des choses. Je ne devrais peut-être pas. En tout cas, il y a des trucs que je ne m’autorise pas tant ils ont déjà été faits. Je ne suis pas trop adepte de la citation ou du mixage des formes. Pratiques musicales très courantes. Je ne suis pas bon pour ça. Je ne suis pas assez mélomane. J’essaie de faire arriver de la musique pas seulement de la musique mais aussi de nulle part. C’est pour ça que je me méfie des formes établies. Puisque Shez, il a son passeport, légitime, je l’ai laissé faire un petit peu. Il a intégré dans le disque des discours musicaux qui sont typiques. Appartiennent à une typologie du rock, de la pop. Comme c’est lui qui s’en chargeait, je l’ai laissé faire en me lavant les mains. »

Il y a un côté presque Television sur certaines guitares de ce nouvel album?

« Oui oui. C’est vrai. Mais ce n’était pas intentionnel. Il y a des méthodes de production que j’ai vu utilisées chez plein de gens. Mettre une guitare acoustique à côté d’une guitare électrique parce que ça permet de produire un peu plus le son, je n’avais jamais fait ça, moi, dans mes disques. Je n’avais jamais mis un instrument en plus qui ne pourrait pas être joué sur scène seulement pour produire. J’ai participé à assez d’albums pour savoir que ça se fait. Je l’ai parfois fait pour d’autres. Mais perso, j’ai toujours pensé que ce qui était sur la bande devait être audible. Parlant. Appartenir au discours. Hors, là, on a épaissi. Shez a apporté ça. Moi, j’étais plutôt dans l’esprit: j’ai déjà joué une guitare. Je ne vais pas en enregistrer une seconde. J’adorais Richard Hell mais je ne peux pas aller plus avant vers ce type de rock. D’abord, je chante en français. Ce qui pose certains soucis de musicalité. Puis, je suis davantage un crooner qui murmure qu’une voix à même de percer un mix. Ce que j’ai à dire ne supporte pas d’être dit fort. Et en même temps, ne pouvant chanter très fort, je dois faire une musique qui laisse entendre ce que j’ai à dire. J’aimerais tellement être un Richard Hell ou, dans un registre plus lyrique, un David Byrne. »

Parlez-nous des Yellow Arch Studios où vous avez bossé?

« Ils ont été montés par des musiciens et des mecs courageux, bien intentionnés, qui ont d’abord ouvert des locaux de répétition. Il s’agit d’une ancienne usine de boulons dans un faubourg industriel. Sheffield, c’est le métal. Donc une usine de boulons qui a dû péricliter dans les années 80. Tous les jeunes groupes de la ville viennent répéter là. Les Arctic Monkeys y ont travaillé. Jarvis Cocker de Pulp y a enregistré. C’était surtout aussi le studio de Richard Hawley. »

Vous êtes fan?

« C’est un mec de Sheffield. Il est très amoureux de sa ville. Et sa ville le lui rend bien. Il est célébré partout là-bas. Il y a une sauce célèbre qui y est fabriquée. Un bazar assez relevé. Bien, il a la sienne, à son nom. Les Hawley vivent à Sheffield depuis des générations mais c’est le cas de nombreuses familles je pense. C’était une ville industrielle qui a connu une période vraiment faste. L’acier de Sheffield était connu dans le monde entier. C’était un bassin ouvrier qui a vu naître des ancêtres de syndicats, des vocations politiques ouvrières puissantes… Je suis fan oui. J’ai une tendresse immédiate pour les gars comme lui qui arborent certains versants de la culture rock’n’roll des années 50 et 60 que j’ai beaucoup pratiquée adolescent et jeune adulte. J’ai commencé en faisant des covers d’Eddie Cochran, de Gene Vincent, de Buddy Holly, de Johnny Burnette. J’aime beaucoup les crooners aussi. Des Français tels que Jean Sablon jusqu’aux Américains et aux chanteuses comme Ella Fitzgerald qui à leur manière croonent un peu. J’aime ces deux dimensions. Hawley possède une voix particulièrement belle. Je l’ai entendu en répète. On restait derrière la porte, on n’en croyait pas nos oreilles. C’était magnifique. Je l’ai vu en concert plusieurs fois aussi bien sûr. Puis, on l’a croisé au pub d’à côté. Mark Sheridan est l’un de ses potes de toujours, un ami d’enfance quoi. On ne s’est pas rencontré tous ensemble. Mais on a bu quelques verres avec lui. C’est un monsieur qui je pense tient à sa tranquillité. Il a une espèce de classe pudique. »

Comment avez-vous perçu Sheffield?

« C’est une cité qui tente de sortir de sa torpeur, du démantèlement des entreprises. Elle a connu un grand passage à vide qui essaie d’être déjoué par l’investissement dans l’université. C’est une ville étudiante très puissante. Une ville qui s’est reconstruite de l’intérieur. Un peu comme Lille si on veut. Ca ressemble fort en fait. Sauf qu’il n’y a pas de centre bourgeois. Il en existe un en dehors de la ville, probablement le quartier des anciens patrons. C’est une ville à la fois sinistrée et en changement. Avec des éclopés, des édentés qui attendent le bus. Tu imagines qu’il n’y a pas grand-chose dans leurs poches pour finir le mois. Ambiance jogging bon marché. Pas mal d’alcool. Beaucoup. Je n’ai pas eu le temps de prendre la température de la culture locale. Mais c’est ahurissant de voir les défilés de filles le soir qui vont de pub en pub perchées sur des talons hauts avec des jupes à peine discernables dans un froid glacial. Avançant par groupes de 12 de bar en bar en se vrillant les talons sur les trottoirs. Dans les pubs, la musique est à fond. Des DJ’s poussent les vinyles à leur maximum avec de la super musique partout. Ca arrose de vieux Kinks. C’est irradiant. Formidable. On est entrés en transe de nombreuses fois. Tu entends un morceau du Pulp de Jarvis Cocker, un local de l’étape, comme Common People, et tout le monde se met à danser et chanter. Il y a une vraie fierté de la ville et de ses héros. On est tombé sur des portraits peints par des clients de Richard Hawley. La culture rock est nettement plus populaire que par chez nous. C’est pour ça que j’y ai été aussi. Le rock est une musique traditionnelle en Angleterre. On a vécu des moments assez fous où passaient des morceaux que nous n’avions jamais entendus. La musique s’arrêtait. Tout le monde chantait. Et nous, on était là comme des couillons. C’était des tubes anglais qui n’ont pas traversé la Manche. C’est assez troublant. »

Bosser si étroitement avec un Anglais qui ne comprenait pas ce que vous chantiez, ça a changé quelque chose?

« Peut-être que je m’en rendrai compte un jour mais a priori, je dirais non. Je me suis peut-être juste moins préoccupé de ce que j’avais écrit. Tout le monde parlait anglais. Pendant 15 jours, on a parlé anglais. Le français resurgissait au moment d’enregistrer les voix. Avec Shez, on a surtout eu des conversations sur le fond des textes. Je lui racontais ce dont il était question. Comme c’est un personnage qui a une approche très sensible de la langue, on a eu de longues discussions sur les sujets des chansons. C’est aussi un lecteur de poésie. Il me causait assez spontanément de ce dont parle Richard Hawley dans ses morceaux. On a notamment disserté également sur les principes métaphoriques basiques. Les dix ou douze métaphores qui fondent toutes les métaphores suivantes. L’eau qui coule et la fuite du temps, l’air et la pureté… Une réflexion menée par Borges dans l’une de ses conférences. C’est probablement un peu faux mais c’est marrant d’y penser. Je parle des métaphores fondamentales qui ont été observées par l’homme avant qu’il ait eu envie de les transmettre à son voisin. Genre, on s’assied devant l’eau, on sait pas pourquoi. Il y a le caractère nourricier, survie. Mais il y aussi le fait d’admirer le spectacle d’une eau qui coule devant soi sans se rendre compte qu’on est devant le spectacle synthétisé de la fuite du temps. Enfin bref, Sheffield a sanctuarisé un peu la langue française. Parce qu’elle était réservée au moment où je chantais. »

Est-ce que certains thèmes hantent vos disques? Vos textes paraissent souvent assez obscurs.

« On m’a souvent dit qu’il y avait un fil rouge dans Hypernuit. Moi, je ne l’y ai jamais mis mais je suis traversé par des obsessions. Je suis travaillé par des enjeux. La façon de les restituer, c’est assez inconscient. Je n’ai jamais voulu faire histoire. Pas plus ici que sur Hypernuit. Je ne pense pas que mes textes sont cryptés. J’essaie de faire en sorte qu’ils ne le soient pas du tout. Il n’y a rien de mystérieux. Tout ce qui est dit est dit. C’est à prendre au premier degré. C’est pas si compliqué que ça. Tout est assez évident. Par exemple Une Ruine. « Tu voulais revoir l’endroit. Il est là devant toi. Une ruine sous une pluie fine. » Ce qui paraît crypté, je suis assez d’accord, c’est qu’on se demande pourquoi il est question d’une ruine. Pourquoi parler de ça. »

Il n’y a pas de cadre à la plupart de ces chansons?

« C’est un registre de saisissement. C’est à dire que tu balayes une caméra et qu’elle s’arrête de manière aléatoire. Elle prend une image. Tu n’as pas choisi de capter cette image. Mais tu l’as devant les yeux et tu racontes ce que tu vois. C’est un peu comme ça que je perçois mes chansons. Pas pour le caractère pictural mais pour l’existence du hors champs. Il faut recomposer l’histoire. Se demander ce qu’il s’est passé. On te montre une maison. Ce n’est qu’une maison. Tu peux te dire: elle est angoissante. Il doit y régner une atmosphère un peu étrange. Qu’est-ce qui a bien pu s’y passer. J’ai l’impression qu’il y vivait une famille et qu’elle n’y habite plus. Pourquoi? Ce sont des ressorts de cinéma. Moi, c’est le hors champs qui m’a souvent intéressé. C’était le cas dans Hypernuit aussi. J’ai une grande confiance dans le fait que les mots peuvent faire sens malgré eux. Même les Monty Python en ont fait l’expérience. Imaginons nous sur un radeau, tout seul, en pleine mer. Ca fait huit jours que tu es là, tu as le temps de cogiter. Et il y a un type qui arrive, qui sort la tête de l’eau, met les mains sur le radeau, te dit fourchette et se tire à la nage. Tu es là perdu au milieu de l’océan, et on vient de te dire fourchette quand même. Alors tu te demandes ce que ça peut bien recouvrir. Et ça doit recouvrir quelque chose parce que les circonstances dans lequel ce mot a émergé sont telles qu’il doit certainement avoir une signification cachée. Et à toi de la découvrir. Mes chansons fonctionnent dans ce registre-là. Il y a forcément une raison pour laquelle arrive cette idée. Il y a deux façons d’appréhender la langue. Dans l’une, tu as vraiment un message à faire passer et tu fais appel à des mots pour organiser ta phrase. Dans l’autre, tu arrives, vois les mots, n’as pas de message particulier à énoncer et te rends compte qu’en agençant les mots, du sens se forme. Je suis plutôt dans un rapport comme celui-là. Mais je suis très attentif au sens qu’ils produisent. Je suis content de porter cette parole. « 

Il y a une économie du mot chez Bertrand Belin ?

« Du mot non mais de la phrase oui. Je ne veux pas de moins en moins de mots. Je veux que les phrases soient de moins en moins pleines. Retirer les mots inutiles? Le problème, c’est qu’on ne sait jamais ceux qui le sont. J’ai plutôt du goût à conserver les mots inutiles. Comme « Qui? Qui peut? Qui Peut dire? ». C’était sur Hypernuit. Mais sur le nouveau, il y a « le monde est coi, coi coi coi ». C’est un mot qui signifie vraiment quelque chose. Il y a eu un silence soudain. C’est pas le monde est silencieux. Parce qu’avec silencieux, il n’y a pas de début. Avec coi, il y en a un. C’est important. En répétant coi, coi devient une espèce de bruit, un animal, une grenouille qui saute, tout un tas de trucs. Je préfère répéter coi cinq fois que de me prendre la tête pour trouver une suite à cette phrase qui ne procurerait pas un effet plus important. »

Vous avec déclaré: grâce à la musique, je me suis dit que j’allais pouvoir traverser l’existence. Ca vous semblait compliqué?

« Oui et ça le sera toujours. La vie sera toujours un combat. Pour tout le monde je ne sais pas. Je ne peux pas penser à la place des autres. Ce n’est pas une vision, un point de vue philosophique sacré et encore moins religieux. Je ne vois pas ça comme un sacerdoce et je pense qu’il est possible de traverser la vie dans la joie. C’est très personnel. Sur le plan humoristico philosophique, je trouve dégueulasse de devoir mourir. Quand nous arrive la joie de nous émouvoir grâce à nos sens, d’être là, d’observer n’importe quel objet du quotidien, les fonds marins, un oiseau dans le ciel, d’embrasser une femme ou un homme, de faire n’importe quoi dans le vivant, il est normal d’espérer que ce soit une situation permanente et éternelle. C’est injuste de nous l’ôter non? Mais sur le plan personnel, on est plus ou moins aptes à se réjouir. Le difficile métier de vivre, je crois aussi à ce versant-là des choses. Difficile parce qu’on est des individus un peu déïques. Chacun d’entre nous a un pouvoir incroyable. Dans un réseau de normes très contraignant. On déplore l’état du monde sans pouvoir tellement agir ou faire quoi que ce soit à part voter et aller à des manifestations. On déplore l’état aussi écologique du monde en poursuivant nos actions comme si de rien n’était. On est à la fois les spectateurs et les auteurs d’un désastre en cours qui peut faire froid dans le dos. Nous ne pouvons pas vivre complètement notre vie dans un accord harmonieux entre notre conscience et nos actes. Je ne dis pas que c’est impossible. Je dis que c’est assez difficile. « 

Il y a un côté Baxter Dury à votre chanson Un Déluge? Et le fils de Ian qualifie sa musique de psychédélisme de bord de mer. Amusant pour un fils de pêcheur.

« J’ai beaucoup aimé son dernier disque. Et c’est vrai que c’était une influence pour moi en particulier sur ce morceau. Si j’ai enregistré ce titre avec cette sorte de joie qui a l’air de l’abriter, c’est aidé par son album. Ce disque m’a permis d’atteindre mon maximum de joie. Je suis content que ça s’entende. Psychédélisme balnéaire oui. De bord de mer, je ne sais pas. Selon moi, le bord de mer n’est pas tellement balnéaire. La mer est pour moi quelque chose qui ne cohabite pas avec l’homme. Le balnéaire, par contre, représente une interaction entre l’homme et la mer. Psychédélisme balnéaire, je trouve ça assez vrai. Comment s’appelle ce Coney Island de l’Angleterre? Une ville de bord de mer avec d’anciens parcs d’attraction, des pontons qui s’enfoncent dans l’eau? Une cité balnéaire anglaise, c’est d’office quelque chose de spécial. »

La mer reste importante pour vous? Il y a toujours beaucoup de flotte dans vos textes ?

« Ce qui me plaît dans l’océan, c’est l’idée de ce qu’il recouvre. Il existe des fonds, des reliefs marins. La terre continue. Dans des régions montagneuses très éloignées de l’eau, on peut trouver des fossiles marins. S’apercevoir que la mer était là il y a des milliards d’années. S’imaginer qu’on pouvait y croiser des cétacés. Le dessous de la mer, c’est une source d’inspiration. Ca réveille vraiment la supputation. Je suis fasciné par les animaux marins. Je suis aussi fasciné par leur goût. J’en mange beaucoup d’ailleurs. La mer est vraiment un truc qui recouvre autre chose avec une transparence qui met en appétit. « 

De manière générale, vous vous intéressez beaucoup à ce qui se cache sous les choses non?

« Oui, c’est vrai. »

Que raconte Pour un oui pour un non?

« Rien de plus que ce qui est dit. Des mecs veulent se battre. Sans raison. Parce qu’il sont des imbéciles. Et quand ils se battent, ça fait un buisson. Comme dans les bandes dessinées. C’est une métaphore d’échelle. Après, tu as le zoom arrière. Animal, viscéral, vicinal, communal, national, international. C’est comme une chanson sur l’ADN de la guerre. Sur la bêtise. Sur la violence consubstantielle de l’homme. Dans tous mes disques, il y a en une. Ne sois plus mon frère: « ils veulent la guerre, ils veulent ton bras, toi tu leur donneras Tu feras ton fier ». Ou encore La tranchée: « j’avais un ami, j’avais cru, il a dû filer, il a dû, dans la galerie, je n’ai plus le coeur à la guerre ». J’ai toujours eu cette obsession pour les soldats. C’est très bizarre, très ambivalent. Quand tu penses à Guillaume Apollinaire. A tous ces mecs qui sont partis faire la guerre d’Espagne. Les intellectuels, les poètes qui voyaient dans les armes une réponse à leur soif de justice beaucoup plus rentable que leur oeuvre littéraire. Le soldat est une figure héroïque alors que je suis plutôt non violent et pas particulièrement militariste. Le difficile métier de vivre, c’est aussi vivre entouré d’une armée, de police et de s’en satisfaire plus ou moins. »

A quand remonte votre amour des mots? Vous lisez quoi pour l’instant?

« Actuellement, je lis L’avenir dure longtemps de Louis Althusser. Un intellectuel, philosophe marxiste décédé il y a 20 ans, qui a connu un grand drame dans sa vie. Il a assassiné sa femme dans un état de démence tel qu’il a été déclaré non responsable de ses actes. C’est une autobiographie qu’il a écrite après avoir un tant soit peu retrouvé ses esprits. Ce qui m’intéressait dans ce livre, c’était justement quelle forme, quel nerf littéraires étaient nécessaires à convoquer pour décrire des faits aussi horribles que l’assassinat de sa propre épouse. Il raconte la scène au moins comme il peut s’en souvenir. Burroughs aussi avait tué sa femme mais en jouant à Guillaume Tell. C’est complètement ahurissant. Chez lui, je crois que ça s’est dilué dans une espèce d’effroi et d’horreur généralisés. Je ne suis pas sûr qu’il en ait parlé de la même manière. Je lis beaucoup d’essais. J’aime souvent leur forme. Je vis avec une personne qui s’intéresse énormément à l’archéologie, à la question de l’objet, de l’archive. Je lis donc aussi cette littérature là. Ca m’intéresse ce qui est enfoui, ce qui revient à la surface. Je lis beaucoup de poésie aussi. Des romans, pour l’instant assez courts, parce que je n’ai pas énormément de temps. Il est rare que je possède cinq ou six jours peinards. Là, je lis et relis Henry James, L’Elève. J’ai dévoré beaucoup de ses courts romans. Je ne passe pas ma vie dans les bouquins mais j’y suis attentif. Je viens d’un milieu tellement peu tourné vers les livres et la lecture, assez peu cultivé et instruit, que je suis encore dans l’enfance en ce qui concerne mon rapport au livre. Transgressif et sensuel quoi. A la fin de l’adolescence, je me suis rendu compte grâce à quelques rencontres avec des gens de mon âge qui avaient eu d’autres parcours que les mots et leur pratique allaient être un outil d’extraction sociale. Qu’ils allaient me permettre de déjouer le parcours qui m’était tracé. Comme pour beaucoup de gens. Les mots et l’instruction ont été un réveil un peu tardif. »

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