Lauréat de la Palme d’or, le cinéaste autrichien signe, avec Le ruban blanc, un film dans la continuité de son ouvre, exigeante et pénétrante.

Entretien Jean-François Pluijgers

Avec Michael Haneke, c’est un habitué que couronne le Festival de Cannes. Au gré de multiples participations, le cinéaste autrichien y avait d’ailleurs déjà glané un Grand prix, assorti d’un double prix d’interprétation pour Isabelle Huppert et Benoît Magimel, pour La Pianiste, en 2001; distinctions suivies, quatre ans plus tard, du prix de la mise en scène pour Caché. La Palme d’or au Ruban blanc (1) apparaît incontestable, tant ce film allie à une esthétique éblouissante la densité du propos. Relatant une série d’accidents survenus dans un village de l’Allemagne du Nord à la veille de la Première Guerre mondiale, Haneke orchestre, dans un noir et blanc étincelant, une plongée implicite aux racines du mal. En l’occurrence le nazisme, idéologie qu’embrasseront, vingt ans plus tard, des enfants élevés suivant un modèle rigoriste et répressif, administré par des parents s’estimant dépositaires d’une autorité divine…

Un sujet fort et pénétrant pour un maître film, évoqué avec le réalisateur à la veille de la proclamation, dans la quiétude d’un palace cannois.

Pourquoi avoir voulu raconter cette histoire aujourd’hui?

Voilà dix ans que je voulais tourner ce film, sans arriver à obtenir un financement. C’est un film onéreux, un drame en costumes avec beaucoup d’acteurs, et nécessitant un temps de tournage très long. Le budget en était de 12 millions d’euros, un montant malaisé à réunir pour un projet ne s’annonçant pas particulièrement comme un blockbuster. J’ai pu le faire maintenant grâce au succès de mes films précédents. Au cinéma, on n’a jamais que la valeur de son dernier film. Le succès de La Pianiste et Cachém’a permis de tourner Le ruban blanc.

Votre film montre que le nazisme n’est pas uniquement un sous-produit de l’émergence de la classe moyenne…

Le nazisme a été engendré par la société dans son ensemble, même s’il est indiscutable que la classe moyenne avait un intérêt financier qui l’a conduite à le soutenir. Mon film essaye de dépeindre d’autres éléments qui sont entrés en ligne de compte, notamment le danger résultant du fait que des gens assimilent un principe, ou une idée, à une idéologie. Lorsque cette idéologie est érigée en moyen exclusif de salut et en principe absolu, cela conduit les gens à devenir inhumains, et les dépositaires de cette idéologie absolue à se considérer comme les juges d’autrui. Cette situation est, à mes yeux, le début de toute forme de terrorisme, qu’il soit de gauche ou de droite, politique ou non.

Pourquoi avoir choisi de tourner ce film en noir et blanc?

Nous ne connaissons la période dépeinte dans le film qu’à travers des images en noir et blanc. Si j’avais tourné un film historique se déroulant au 18e siècle, ou plus tôt, cela aurait été différent: nous connaissons ces époques à travers des peintures, en couleurs pour la plupart, ou au départ de films, également en couleurs. Pour la fin du 19e siècle et le début du 20e, les images dont nous disposons sont basées sur des photographies ou des films en noir et blanc. Nos attentes sur cette période sont donc très précises. Recourir au noir et blanc me permettait par ailleurs d’installer directement l’atmosphère requise, mais aussi d’introduire une certaine distance. Et d’envisager, en conséquence, l’histoire sous un angle quelque peu abstrait, rompant ainsi avec l’illusion de naturalisme que l’on retrouve souvent dans les films.

La punition rituelle du ruban blanc est-elle établie par les faits? Y recourait-on fréquemment?

L’histoire et les personnages ont été inventés, mais beaucoup de détails s’appuient sur des faits. J’ai lu énormément sur cette époque, et en particulier sur les méthodes pédagogiques pratiquées à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Le ruban blanc n’est pas inventé, il en est fait mention. l

(1) Le Ruban blanc sortira en Belgique en octobre.

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