Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

UN COFFRET PRÉCIEUX RASSEMBLE, IDÉALEMENT RESTAURÉS, SEPT SOMMETS DE L’oeUVRE DU MAÎTRE JAPONAIS. SUBLIME!

Coffret Yasujirô Ozu

PRINTEMPS TARDIF, ETÉ PRÉCOCE, VOYAGE À TOKYO, FLEURS D’ÉQUINOXE, BONJOUR, FIN D’AUTOMNE, LE GOÛT DU SAKÉ. DURÉE TOTALE: 13 H 42. DIST: LUMIÈRE.

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Que de trésors dans le joli boîtier couleur prune, sur lequel s’affiche le nom du grand cinéaste nippon! Au-dessus, l’image de trois femmes, qui regardent vers la gauche du cadre, en direction d’un hors champ qu’elles contemplent d’un regard concentré, le visage impassible. On les retrouvera dans Fleurs d’équinoxe (1958), un des sept films proposés dans le coffret. Trois jeunes femmes regardant par-delà la caméra, vers un futur qu’elles vont dessiner. Car même si des hommes sont parfois au coeur des films d’Ozu, les femmes en sont le moteur, bousculant les lourdeurs de la tradition dans un Japon d’après-guerre qui se cherche, entre tradition et modernité. Cette tension, le natif de Tokyo ne se lasse pas de la filmer, au fil de récits opposant le mariage d’amour aux épousailles arrangées, la piété filiale à l’indépendance, et plus largement des générations ne vivant plus seulement de valeurs ancestrales auxquelles la cuisante défaite militaire a porté un grand coup. Dans Printemps tardif (1949), Noriko vit avec son père resté veuf sans penser au mariage. Mais le papa songe de plus en plus à la pousser vers un destin tout à elle, même s’il sait dès alors se condamner lui-même à une solitude que sa fille craint de lui infliger. Dans les rôles principaux, les deux acteurs fétiches d’Ozu: Chishu Ryu (au générique de 20 de ses films!) et Setsuko Hara (qui en joue six). Ils sont ici père et fille. Ils seront… frère et soeur deux ans plus tard dans Eté précoce, où trois générations cohabitent et où Hara incarne une nouvelle Noriko, qui bravera la volonté familiale pour épouser l’homme qu’elle aime, pauvre et déjà père d’un enfant, plutôt que celui choisi pour elle. L’humour se glisse dans des échanges doux-amers générationnels et entre les sexes, auxquels succèderont les accents élégiaques d’un chef-d’oeuvre, Voyage à Tokyo (1953).

Avec le temps…

Chishu Ryu et Chieko Higashiyama, qui étaient frère et soeur dans le film précédent, y sont… mari et femme, rendant visite à leurs enfants (Setsuko Hara campe leur belle-fille) qui vivent dans la capitale mais n’ont guère de temps à leur consacrer. Cet adieu poignant à un certain mode de vie, sous l’effet d’une modernité galopante, inspire à Ozu un sommet d’émotion. Le noir et blanc superbe, longtemps privilégié par le cinéaste malgré les pressions du studio Shochiku, cèdera finalement la place à la couleur, en 1958, avec Fleurs d’équinoxe. Le rouge est privilégié dans une palette sublimant encore plus le style retenu, caméra placée à hauteur de regard d’un Japonais assis sur un tatami, qui caractérise Ozu. Lequel poursuit dans les merveilleux Bonjour (1959, avec sa drôlerie à la Tati), Fin d’automne (1960) et Le Goût du saké (1960, le tout dernier film), son exploration d’un monde qui change au niveau le plus intime. En captant mieux qu’aucun autre le passage irréversible du temps.

LOUIS DANVERS

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