Serge Coosemans

L’Observatoire de la Night en pleine analyse de terrain: du sang, de la drague, de la techno!

Serge Coosemans Chroniqueur

Oreilles qui saignent, dragues improbables, parades nuptiales dopées à la bière d’abbaye et meilleure musique du monde, c’était un samedi soir de gros lol pour notre chroniqueur et ses amis de l’Observatoire de la Night. Sortie de Route, S02E10.

Samedi soir à Bruxelles, il y avait la Bulex, il y avait la Catclub, il y avait la Bitchy Butch. Avec le Testeur de Tests, l’homme qui vendrait du Coca-Cola dans les crèches et le couple de survivalistes le plus décroissant de Londres, on a fait les rebelles, on a dit non au clubbing quasi corporate et on a filé aux Ateliers Claus, pour la soirée du magazine Wow et son live d’Ital. De son vrai nom Daniel Martin McCormick, c’est un jeune garçon de Brooklyn que son dossier de presse présente comme quelqu’un de particulièrement apte à retourner les dancefloors grâce à un « univers sonore unique », schmilblik à base de recettes house et techno malaxées dans un esprit on va dire radical. Traduction: il fait de la musique pour gens qui prennent du speed, beaucoup de speed, énormément de speed. Pour un représentant de la hype, McCormick ne se la ramène toutefois pas vraiment lorsqu’on le croise au bar. Affublé d’un pull de laine atroce, couleur lendemain de cassoulet, avec dessus des motifs brodés de tentes d’Indiens, il ressemble plus à un objecteur de conscience flamand qu’à une microcélébrité de la musique électronique. Il est grand, mal nourri, et la dernière fois qu’il a été chez le coiffeur, il a dû lui montrer une photo de Franz Ferdinand en insistant bien sur la mèche. Il y a une fille qui le colle mais il n’a pas l’air très emballé. Il a surtout l’air déçu qu’il n’y ait pas beaucoup plus que cinquante personnes dans la salle. Ce qui est très compréhensible.

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Comme souvent dans de tels cas, les gens se sentent couillons. Couillons d’avoir misé leur samedi soir sur un pari risqué, surtout un samedi soir comme celui-ci, où les propositions festives assurées de draîner du monde et de générer la grosse ambiance sont, en ville, nombreuses et variées. Cinquante personnes, cela pourrait faire une très belle boum. Il suffirait de se sourire, de se payer des verres, de briser la glace. Les lieux s’y prêtent, propres, chaleureux et conviviaux. La musique aussi, le warm-up de DJ Aguila (des soirées Vicuna) étant vraiment excellent. Mais nous sommes à Bruxelles et à Bruxelles, cinquante personnes, cela fait surtout dans le même bocal cinquante univers différents qui se jaugent et préfèreraient la transformation en statues de sel plutôt que d’admettre l’ennui et faire en sorte de le tromper. D’où tout un tas de comportements que nous trouvons très vite extrêmement drôles, dans notre rôle de l’Observatoire de la Night en pleine analyse de terrain. On passe vite sur les hipsters gays habillés comme Mika, les crevards à bonnets à ponpons et une grosse blonde en tutu rose. Ces créatures-là se donnent tellement de mal pour se faire remarquer qu’elles fondent très vite dans le décor.

Notre regard se porte plutôt sur une poignée de filles ni vraiment belles, ni vraiment quelconques, la trentaine bien entamée, avec en renfort caisse une toute mignonne petite métisse à coiffure afro. Celles-là ont décidé de s’amuser coûte que coûte, de danser, de se donner à la nuit. À part la métisse, il est évident qu’elles sont un peu perdues face aux codes de la night, qu’elles bougent de façon plutôt coincées, sourient de façon très peu naturelle. Tout cela traduit sans doute un retour récent au célibat. Ce n’est pas drôle en soi mais face à elles, les dieux noctambules de l’amour et du hasard ont lâché deux véritables fauves, qui eux, s’asseyent sur tous les codes existants. L’un, très grand, tenant visiblement à peine debout et ne quittant pas ses lunettes solaires a véritablement la tronche du rappeur Frank Ocean, ce qui nous entraîne évidemment à la surnommer Frank Rivière. Bien que noir, c’est le Michel Blanc de la soirée. Il a pour tactique ultime de se positionner devant une fille, faire quelques mouvements de bouche et d’épaules -une parade nuptiale au ralenti, dopée à la bière d’abbaye-, avant d’essayer de lui toucher le bras ou le visage. Si la demoiselle tourne le regard, marque sa désapprobation ou fuit, il passe directement à la suivante. Évidemment, comme il y a peu de monde, la suivante, c’est très vite celle d’il y a un quart d’heure mais ça, Monsieur Frank Rivière n’a pas l’air sinon de s’en souvenir, du moins de s’en formaliser. Résultat des courses: ce garçon repart chez lui avec le plus beau bouquet de râteaux jamais vu en dehors d’un magasin de bricolage. Son camarade, black lui aussi, moins saoul et nettement plus finaud, score davantage, en se montrant notamment beaucoup plus cash. En fait, dès qu’il croise une nana, il l’embrasse tout sourire, lui sort la gamme complète du zouk lover, collé-serré, tout ça. Tactique payante puisque tandis qu’un garçon à bonnet se met à passionnément parler avec Ital, sa (très jolie) compagne s’embarque dans une dirty dance à mains baladeuses avec ce véritable tombeur. Le plus drôle dans tout ça, c’est que ces grands radars ont raté LA fille réellement sublime de la soirée, qui regardait tout cela de loin, tranquillement, toute discrète malgré sa rayonnance.

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Artistiquement, musicalement, on aura plutôt été partagé entre le petit frisson de plaisir et le saignement d’oreilles. Des concerts aux volumes sonores débilitants, j’en ai vu un paquet dans ma vie (My Bloody Valentine, Leftfield, Spiritualized, Mogwai, Meat Beat Manifesto… ). À chaque coup, on sortait des gens de la salle vacillants ou les pieds devants et pourtant, je n’ai jamais ressenti le besoin de bouchons dans les oreilles, jamais de ma vie entière, jusqu’à ce que cet Ital ne monte ce samedi sur scène, parvenant à révulser mon organisme en moins d’une minute chrono. Non pas à cause de sa musique mais bien à cause du volume assourdissant et agressif de la prestation. On me dira que c’est comme ça que ça doit se vivre, tout à fond. Je répondrai que lorsque cela lorgne vers la torture pure, simple et maladroite, c’est plus de l’incompétence technique inutile que quoi que ce soit de plaisamment sado-masochiste. Regards crispés dans le public, drague en stand-by le temps que l’artiste exprime sa vision nerd des basses assourdissantes et des stridences saturées, ça nous a paru aussi long que vain, même pas amusant. Par contre, dès que le volume sonore s’est refait plus chatoyant et que le DJ Sixsixsixties des très bonnes soirées Holger (JG Wilkes d’Optimo au Bazaar la semaine prochaine!) s’est mis à taper ce qui pourrait bien être la meilleure musique du monde, on a vite retrouvé une bien bonne banane en travers de la bouille. Faut dire que l’ambiance est alors devenue nettement plus polissonne, presque un peu transgressive, avec les clopes qui se foutent pas mal des lois en vigueur, toutes ces dragues improbables, la bière pas chère et une franche ambiance d’after à même pas 3 heures du matin. Bref, c’était une fête à la fois très nulle et malgré tout très bien, comme une soirée en famille à Recyclart vers 2005 ou une cuite en bande au KultuurKaffee le jeudi soir. Du gros lol en pot et par les temps qui courent -la déprime de Toussaint, tout ça- c’est quand même très important, le gros lol en pot. Bien plus que de se montrer dans le réseau du clubbing corporate, en tous cas.

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