Critique | Livres

Tristan Garcia – Faber. Le destructeur

Tristan Garcia © Jean-Baptiste Millot
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN | Tristan Garcia tire le bilan d’une époque à travers la trajectoire d’un trio tenté par la révolution. Mais on n’échappe pas si facilement à « une vie de con ».

Tristan Garcia - Faber. Le destructeur
© DR

On ne pourra plus reprocher à la littérature française de labourer le seul champ des petites névroses. Depuis quelques saisons ardentes, une nouvelle vague d’auteurs souvent nés de la dernière pluie fait souffler un vent de révolte sur la fiction hexagonale. Insurrection des sans-papiers, émeutes en banlieue, trou noir social, injustices chroniques… Ces écrivains engagés posent leur stéthoscope sur la poitrine d’une époque asthmatique et leurs verdicts ne sont pas tendres, qui empruntent les chemins broussailleux d’une radicalité lyrique tranchant avec les discours policés et lénifiants de la classe politique dominante. Point de traitement homéopathique chez Yannick Haenel (Les Renards pâles), Loïc Merle (L’Esprit de l’ivresse) ou Sandra Lucbert (Mobiles), tous préconisent peu ou prou des thérapies de choc, ou en tout cas les envisagent, pour tenter de sauver le moribond.

Dans ce concert de klaxons, Tristan Garcia n’est pas le moins désillusionné. Son nouveau roman, Faber. Le destructeur, fait le procès des espoirs déçus de ces enfants de la classe moyenne « d’un pays d’Occident, deux générations après une guerre gagnée, une génération après une révolution ratée. Nous n’étions ni pauvres ni riches, nous ne regrettions pas l’aristocratie, nous ne rêvions d’aucune utopie et la démocratie nous était égale. » Un état des lieux amer qui pourrait servir de manifeste pour une génération trahie. On leur promettait le bonheur, ils se retrouvent au chômage ou coincés au bas de l’échelle sociale malgré des piles de diplômes.

Voix sans issue

Pour faire avaler la pilule, l’auteur de La meilleure part des hommes emballe sa thèse dans une pure fiction à la mécanique bien huilée dont l’architecture n’est pas sans rappeler les séries télé. Avec Mornay (prononcez « mort-né »…), ville de province totalement fictive, comme épicentre. C’est dans cette bourgade sans relief qui suinte l’ennui que trois voix s’entremêlent pour raconter l’échec de leur tentative de dynamiter le système. Madeleine, Mehdi et Faber font connaissance dans la cour de récré au tournant des années 90. Les deux premiers deviennent très vite les disciples de ce garçon surdoué et charismatique, protecteur des faibles, dont le nom « était la promesse de quelque chose d’immense ». Sauf qu’en glissant progressivement vers l’ultragauche, non seulement il échoue à faire bouger les lignes mais il se met lui-même hors-jeu. Son étoile finit par pâlir auprès de Madeleine et Mehdi qui rentreront dans le rang d’une vie morne, laissant Faber s’enfoncer seul dans une clochardisation avancée.

Bien que les ficelles qui manipulent ses personnages soient parfois un peu trop apparentes, le surdoué Tristan Garcia confirme qu’il fait un moraliste convainquant, dans la même veine qu’un Houellebecq mais en moins grinçant, au risque ici d’être récupéré par les néo-réacs qui verront dans ce constat d’impossibilité d’une alternative satisfaisante la démonstration que le système actuel est encore la moins pire des solutions, pour paraphraser Churchill. Un roman pessimiste qui dénote en tout cas avec les appels à l’insurrection teintés d’idéalisme de certains de ses confrères.

  • Faber. Le destructeur, de Tristan Garcia, éditions Gallimard, 466 pages.

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