Serge Coosemans

La Nuit Blanche, cette Nocturne des Journées du Patrimoine?!?

Serge Coosemans Chroniqueur

Encore plus radoteur que d’habitude quand il est grippé, revoilà notre chroniqueur noctambule qui en remet une couche sur la disneylandisation de la nuit bruxelloise. Un autre grog, Serge? Sortie de route, S02E06.

Je ne suis pas mécontent d’être tombé malade à quelques heures de la Nuit Blanche. La morve en est devenue politique, le kleenex sur la table de nuit en guise de boycott. Solitaire mais symbolique, l’état grippal s’est transformé en doigt d’honneur. Heureux d’échapper aux « tableaux chantants décalés », « chorégraphies malicieuses » et autres « sculptures en ruban adhésif » promis par le programme, du fond de mon lit, j’ai trinqué quelques grogs moqueurs à la santé de cette « mosaïque urbaine interactive », en période pré-électorale sans doute plus hypocrite que jamais. Entendons-nous: je ne cherche pas ici à railler les gens qui ont participé à cette Nuit Blanche. Ni le public, ni les artistes, ni l’organisation. Mieux vaut ça que prendre racine dans sa cave mérulée, nous sommes bien d’accord. Faut-il pour autant benoîtement applaudir l’idée, le symbole, et tout ce que charrie le concept? Taire la critique? Not in my name!!!

En soi, cette nuit festive n’a rien de bien méchant. Il se fait juste que selon mes microbes et moi, elle se cadre dans un processus largement plus déplaisant, à l’oeuvre dans beaucoup de villes du monde. La disneylandisation de l’espace public, sa muséification, le branding de lieux de passage et de vie désormais vus comme des concepts touristiques et des décors évènementiels. À New York City ou à Londres, tout comme à Paris, Bruxelles et Berlin, on infantilise le rapport à la ville. On tente de sécuriser le décor comme on le fait pour les parcs d’attractions. D’y pérenniser un tourisme culturel même quand l’intérêt culturel est plus que relatif. Il s’agit de vendre une marque aux touristes et aux investisseurs, ce qui dans le cas de Bruxelles, revient souvent à baratiner comme on baratine à propos d’une poudre à lessiver dont il n’y a rien à dire, afin de simplement rendre la destination compétitive sur l’échiquier touristique. Au bout du compte d’apothicaire, cela implique cette politique assez ahurissante de laisser un Hard Rock Café s’établir Grand-Place (parions sur un McDo avant 2020!) mais de voter des règlements qui interdisent aux jeunes du cru de s’y taper le cul sur les pavés avec un clope et des pintes après 22 heures. Bruxelles est une marque et ses habitants deviennent les acteurs, volontaires ou non, de la publicité. Qui se veut clean, pimpante, sage, du genre à plaire aux Chinois, aux congressistes et aux 65+ en mode citytrip. Un fantasme drôlement petit-bourgeois, une ville voulue bonhomme où l’on voit des choses pittoresques et des bâtiments bien moches, même si dessinés par de grands architectes. Cela avant de claquer un ou deux Traveler’s cheques en pralines, bien manger, boire une bonne bière et puis bien dormir.

J’y vois une confiscation de l’imaginaire, des désirs et des libertés de ceux qui habitent réellement la ville. On me dira que la Nuit Blanche est justement un cadeau aux Bruxellois, un hommage à leur dynamisme. Non. C’est une fête encadrée, politisée. Autant dire un spot publicitaire géant, là aussi très édulcoré. Je n’y vois personnellement rien de plus qu’une Nocturne des Journées du Patrimoine, avec un peu de clubbing et des performances artistiques pour se donner un genre moderne. Soit un package qui correspond bien davantage à une vision urbaine scénarisée et avalisée par les autorités compétentes plutôt qu’à la réalité du terrain nocturne (d’ailleurs généralement pas très soutenu et parfois même à peine toléré par ces mêmes autorités compétentes). Une mise en scène à l’échelle d’une ville en vérité la nuit ni très belle, ni très sympathique. Est-ce vraiment comme ça que ces choses doivent fonctionner? Transformer la Cendrillon en Princesse le temps de quelques heures chronométrées, servant surtout à vendre une réputation? Présenter au public des artistes qui ont répondu à un appel d’offre et ont été sélectionnés par les organisateurs sur base d’on ne sait trop quel critères? Est-ce que l’animation d’une ville doit vraiment se fabriquer de la même manière qu’une émission du genre The Voice? C’est peut-être l’abus de Sofrasolone qui me fait dire ça mais moi, je pense que non. Vraiment pas. Jamais. Bien au contraire. Marrant, quel hasard: dimanche prochain, il y a justement un moyen démocratique de le faire savoir aux principaux intéressés!

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