Oscars, pourquoi ils ne l’auront jamais

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Chaque année, les distributions de statuettes font quelques heureux et beaucoup de déçus. Pour certains, le sort semble même s’acharner. Mais pourquoi tant de haine?

Y a rien à faire ! Ils ont beau donner l’interprétation la plus poignante, ces acteurs-là sont toujours passés à côté. Au point que ça en devient un sujet de plaisanterie : l’aura-t-il enfin cette année ?

L’exemple le plus frappant de cette catégorie est Leonardo DiCaprio (encore pressenti cette année pour le spectaculaire J. Edgar, il n’a même pas été nommé !). Il totalise trois nominations et pas une récompense. Il a aussi subi deux revers cuisants : l »année d’Aviator, ceux des Oscars choisissent le désormais has-been Jamie Foxx. Et, l’an dernier, alors que DiCaprio avait joué successivement dans Inception et ShutterIsland, il ne fut pas nommé ! La raison principale est que cet acteur a toujours privilégié une haute qualité cinématographique et évité les blockbusters catastrophes. Mais il n’est pas du genre à faire campagne. Ne manquerait-il pas de reconnaissance dans la profession ? Lui faudra-t-il attendre des cheveux blancs ? Nombreux sont, en effet, les acteurs récompensés, sur le tard, par un trophée d’honneur… On n’en est pas encore là.

Autre cas de figure chez les mal-aimés : ceux auxquels on interdit carrément la porte d’entrée. Le cas le plus flagrant est sans doute Marilyn Monroe. L’actrice n’a jamais été nommée. Quand Certains l’aiment chaud reçoit six nominations aux Oscars (dont celles de réalisateur pour Billy Wilder et d’acteur pour Jack Lemmon), la blonde platine n’est pas sur la liste des atouts du film. Comme si la profession ne l’avait pas admise.

Mais là où le bât blesse, c’est quand on constate l’absence de cinéastes majeurs parmi les oscarisés. Alfred Hitchcock et Stanley Kubrick sont célèbres pour être repartis cinq fois bredouille. Tous ces réalisateurs ont un point commun : ils ne correspondent pas à une mode. Méprisés par une partie de leurs contemporains, ce n’est que sur le tard qu’on leur a reconnu une certaine aura et une importance dans leur siècle. Christopher Nolan (snobé pour Inception) peut donc garder espoir…

La tragédie des comiques

La comédie n’est clairement pas le genre le plus plébiscité aux Oscars. Écartés des prestigieux Oscars décernés par l’Académie, les comiques américains ont tenté de récompenser les comédies en créant les American Comedy Awards (de 1987 à 2001). Une cérémonie parallèle à la réputation très… discrète. Les Oscars préfèrent célébrer l’ensemble d’une carrière à coup d’Oscar d’honneur (Buster Keaton, Groucho Marx). Avec trois statuettes sur cinq nominations, Charlie Chaplin sera l’un des plus primés (deux Oscars d’honneur et un pour la musique des Feux de la rampe). Bref, quand on est un petit rigolo, on est surtout le bienvenu pour mettre l’ambiance le temps de la soirée, comme Chris Rock, Whoopi Goldberg ou Billy Crystal. Neuf fois maître de cérémonie, ce dernier est pourtant très loin du record tenu par Bob Hope qui a assuré la présentation des Oscars à vingt reprises. L’Académie le remerciera largement en lui remettant cinq Oscars d’honneur (dont un pour son engagement humanitaire). Un prêté pour un rendu ?

Les malchanceux

Si, de Kirk Douglas à Cary Grant, en passant par Montgomery Clift, beaucoup d’acteurs de légende n’ont jamais accédé aux récompenses suprêmes – en dehors d’un Oscar d’honneur tardif -, tous ne sont pas victimes de cabales liées à une supposée détestation de la profession à leur égard. Le facteur chance entre évidemment en jeu chaque année, même si, pour certains, la déveine a semblé s’acharner. Martin Scorsese aura dû attendre 2007 pour se voir enfin décerner un Oscar du meilleur réalisateur (pour Les infiltrés). Avant cela, les effets de mode ou les concurrents sérieux auront entamé ses chances d’accumuler un palmarès à la hauteur de son talent. En 1976, Scorsese n’est pas même nommé personnellement pour Taxi Driver, et le film arrive finaliste dans quatre catégories : meilleurs film, acteur, actrice dans un second rôle et musique. Mais les phénomènes Rocky et Network (de Sidney Lumet) ne lui laissent aucune chance. En 1981, Des gens comme les autres, de Robert Redford, un drame calibré au micron pour la course aux Oscars, met K.-O. Raging Bull, qui ne profite qu’à Robert De Niro sacré meilleur acteur. Un minimum syndical que Scorsese connaîtra à nouveau avec Les affranchis (Joe Pesci meilleur second rôle, alors que Kevin Costner est sacré meilleur réalisateur pour Danse avec les loups).
Ses films remportent régulièrement quelques accessits (Le temps de l’innocence récompensé pour les meilleurs costumes l’année où La liste de Schindler et La leçon de pianotriomphent), mais aucune de ses nominations au titre de meilleur réalisateur, pour La dernière tentation du Christ,en 1989 (cette année-là, les cartons Rain Man et Les liaisons dangereuses raflent tout), Gangs of New York (l’année du Pianiste, de Polanski, et de Chicago, soutenu par les frères Weinstein) et Aviator, n’aboutira.

Les privés de campagne

Une chose est entendue : pour obtenir un Oscar, il est indispensable de faire campagne. Et tous les talents s’y mettent, même ceux qu’on pourrait croire au-dessus de cela comme Woody Allen. Tous… ou presque, faut-il cependant nuancer. Car une campagne a un coût. Énorme. Et les producteurs et distributeurs investissent dans celle-ci en espérant retrouver une partie de l’argent dépensé. Ils sont donc prêts à prendre des risques, certes, mais forcément limités, comme on peut le constater au gré des nominations. Ainsi, un James Gray, primé à Venise et dont deux films ont été présentés à Cannes, n’a jamais connu l’honneur d’une nomination aux Oscars. Pas plus que le John Cameron Mitchell d’Hedwig and the Angry Inch, le Gregg Araki de Mysterious Skin. Abel Ferrara ou Jim Jarmusch n’ont pas connu non plus l’honneur d’une présence dans la short-list des oscarisables. Et ce n’est qu’avec ses oeuvres les plus mainstream, Will Hunting et Harvey Milk, que Gus Van Sant a été nommé, mais pas pour My Own Private Idaho ou la Palme d’or Elephant.
Car, à chaque fois, vu les sommes à engager, le jeu n’en valait pas la chandelle pour leurs distributeurs. Kirsten Dunst, primée à Cannes et encensée par la critique américaine pour Melancholia, se retrouve, en 2012, dans la même position : son distributeur, Magnolia Pictures, n’a pas la force de frappe d’un Harvey Weinstein menant de main de maître les campagnes de The Artistet My Week With Marilyn pour Michelle Williams ou La dame de fer pour Meryl Streep. La route aux nominations lui semble barrée. Car n’oublions jamais que, dès qu’il est question de prix, le cinéma est beaucoup moins un art qu’une industrie.

LeVif.be avec Sophie Benamon, Christophe Chadefaud, Thierry Cheze et Emmanuel Cirodde (Studio Ciné Live)

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