Rock en Seine, défilé de gros bonnets

© Noah Dodson

LCD Soundsystem, Arcade Fire, Beirut, Jonsi, Eels, 2manydjs, The Foals, Stereophonics, Queens of the Stone Age… Que du lourd à Rock en Seine, et donc pas beaucoup de prise de risque. En somme, pour finir la saison en beauté.

Lors de cette huitième édition, le festival Rock en Seine aura accueilli 105.000 pèlerins, venus plus pour se divertir que pour faire de réelles découvertes. Une programmation alléchante et éclectique mais pas forcément toujours pointue et sans beaucoup de prise de risque. Parmi les grands noms, on pouvait compter, au hasard, sur LCD Soundsystem, Arcade Fire, Cypress Hill, Stereophonics…

Juste après un Kele totalement transparent, la première bonne surprise du festival arrive avec Foals. La grisaille s’installe au dessus du domaine de Saint-Cloud mais on ne peut s’empêcher de ressentir l’excitation (féminine en majeure partie), surtout lorsque débarque Yannis Philippakis, chanteur-guitariste ténébreux, la mèche choucroute sur le front, façon Prince. Instrument haut-perché, il harangue la foule dans un ricochet de guitares sautillantes. Total Life Forever ouvre parfaitement le set. Les rythmiques frénétiques ne laissent personne indifférent. Spanish Sahara, les yeux dans les yeux, les yeux dans les cieux, qui s’ouvrent en deux et laissent échapper une fine pluie, comme une espèce de bénédiction divine, sur les dunes de parapluies. Instant de grâce. Le reste du concert joue à merveille sur la densité et la tension des compositions du groupe. Foals sait lâcher du lest pour mieux nous rattraper dans l’instant d’après. On est conquis.

Beast de son côté n’est pas en reste. Sur la scène de l’Industrie, on assiste à un grand foutoir musical qui fusionne rock, soul et rap. La poitrine vibre tandis que la voix de Betty Bonifassi vrombit, dans un flow éraillé. Mais jamais la locomotive Beast ne déraille. Tout le concert durant, le public subira les assauts de ce funk bâtard, mû par une énergie presque féroce.

Sur le coup de 21h, sur la scène de la cascade, après les minets de The Kooks, Black Rebel Motorcycle Club débarque. Ambiance lourde, fumée crasseuse, silhouettes noires sur fond de brume. Robert Levon Been chante comme si c’était son dernier souffle, sa dernière chance, la gorge brûlée par le whisky. Il cogne à coup de blues comme autant de coups de bottes dans le foie, le visage perlé de sueur et d’huile de vidange, avant de décamper à toute berzingue sur une Harley rouillée, comme pour semer la mort. Terminer sa course dans le public à s’astiquer le manche dans une espèce d’orgie malsaine, voilà une satanée performance loin du show convenu de Blink 182 qui clôture la grande scène pour ce premier jour.

Le lendemain, les Stereophonics font leur job comme on irait pointer à l’usine. C’est à dire bien mais toujours de la même façon. Le Swimming Pool est remplacé (pour les raisons qu’on connait) par Martina Topley Bird qui assure la tournée avec Massive Attack et Jonsi, le chanteur du groupe Islandais Sigur Ros, assure un set acoustique forcé (la majeure partie du matériel étant resté bloquée à l’aéroport). La soirée pointe, le soleil descend, les couples se serrent, se forment et se déforment. Un aviateur et un orang-outang se tiennent la main, un groupe de jeunes aux cheveux gras et aux yeux perdus communient dans les larmes et la salive. Une fine bulle de glace englobe la foule désinhibée par la musique fragile et la voix cristalline de Jonsi. Un peu de douceur dans ce monde de (guitares) brutes.

Sur la grande scène, la presque tête d’affiche du second jour c’est Queens Of The Stone Age, emmenés par son leader, Josh Homme, débarquant sur scène sûr de lui. Et pourtant… Creux et lents au démarrage, les Queens font dans le rock mollasson, plus stoné que stoner. Un rock qui s’écoule comme une chaude pisse alors qu’il devrait coller comme du goudron chauffé au soleil. A force de se perdre dans les side-projects, l’énergie semble se dissiper. Il faudra attendre le triptyque final Go With The Flow, No One Knows et Song For The Deaf pour enfin se ramasser l’uppercut en pleine panse, tant attendu, qui vous fera vomir la bière, ingurgitée jusque là pour tromper l’ennui, sur les pieds du voisin de préférence.

De l’autre côté du site, le post-punk à facettes de LCD Soundsystem a encore fait sensation. Après un passage remarquable aux Eurockéennes début juillet, James Murphy revient plus décidé que jamais à en découdre avec le public français. Pas de round d’observation, LCD attaque sans se ménager. Daft Punk Is Playing At My House, la fosse vole, virevolte, valse et valdingue, mitraillée de beat, repoussée dans les cordes. Murphy cogne à nous couper le souffle, chante à en perdre le sien. Le public tient le coup, titube mais ne tombe pas. Dernière charge avec Yeah et ses dix bonnes minutes de montée. Beignes en cascades avant de terminer sur un New-York I Love You But You’re Bringing Me Down, agrémenté d’un extrait de Empire State of Mind d’Alicia Keys & Jay-Z, qui nous permet de se poser tranquillement pour lécher ses plaies, seul dans son coin. On sera achevé par le punk virulent aux relents de MC5 de Jello Biaffra et la tempête de samples des 2 Many Dj’s qui embrasent l’audience.

Les jambes encore engourdies de la veille, c’est dans un esprit totalement soumis qu’on va voir les Black Angels. Le groupe donne directement le ton dans une ambiance Paris-Texas supersonique passée à la moulinette psychédélique. On aurait aimé assister au concert noyé dans les ténèbres, sous une lune teintée de sang mais, erreur flagrante, le groupe est programmé en plein après-midi. La voix de tête aux accents maléfiques, la réverb empoisonnée, la batteuse qui cogne comme un charpentier me font taper du pied sur le sol, entre les serpents et les scorpions. Une squaw entame une danse magique à deux pas de moi, je suis Mickey Knox qui cherche sa Mallory l’espace d’un concert détonnant et diabolique.

Eels nous aidera à redescendre, mais pas trop, en proposant une ambiance plus enjouée que celle de ses compositions mélancoliques habituelles.

De bon aloi avant un Beirut qui va en bouleverser plus d’un. Paris a toujours eu cette valeur particulière aux yeux de Zach Condon, chanteur de Beirut. Et c’est très naturellement qu’elle fut, l’espace de quelques chansons, la capitale d’un état qui s’étend des Balkans aux plages du Mexique. La troupe débarque sur scène, d’or et de cuivres vêtus. Nantes rayonne de suite sur le public. Les sourires apparaissent sur les visages, attitude béate devant tant de beauté. Ma voisine me tape sur l’épaule pour me dire qu’elle adore, mon voisin me confie qu’il a envie de pleurer. Tout me semble scintillant, comme si j’avais passé l’après-midi à regarder à travers le fond de ma bière. Les cuivres me donnent le vertige; des bulles de savon passent devant moi et se baladent, légères, sans jamais éclater. Beirut aurait même pu s’offrir le luxe de conclure sa prestation après quelques morceaux, comme Sunday Smile, tant le public était aux anges. Mais c’était sans compter sur le plaisir manifeste que ces petits gars avaient à jouer pour nous. Personne ne s’en est plaint.

Les deux derniers groupes étaient censés clôturer le festival en beauté. Mais tenir la comparaison avec un Beirut en état de grâce n’est pas chose aisée. C’est Roxy Music qui s’y colle en premier. Les morceaux n’ont pas forcément mal vieillis mais n’ont pas été épargnés par le temps non plus. Ça dégouline parfois mais le dandy Brian Ferry rééquilibre à lui seul leur classe innée; sa belle gueule de travers, le pied de micro penché entre ses mains.

Mais la grosse tête d’affiche, c’était Arcade Fire. Et comme les Parisiens ont été privés du grand final lors des éditions précédentes avec l’annulation d’Oasis et le désistement d’Amy Winehouse, on peut dire que les Canadiens sont attendus de pied ferme. Le concert sera enjoué et coloré, marqué par la multitude d’instruments utilisés. Le public se sent pousser des ailes et entonne l’intro de No Cars Go. Mais malgré cette prestation « honorable » et la volonté de continuer à chanter malgré la pluie qui s’abat sur scène (le set sera écourté pour des raisons de sécurité), on ne peut s’empêcher d’en attendre un peu plus : un show moins calculé et plus dans le ressentit. Arcade Fire victime de son succès? Probablement.

Certains ont plu, d’autres ont déçu. Des confirmations et des avis en demi-teintes. Des instants de pur bonheur et d’ennuis profonds. De l’adrénaline et de la fatigue. Le Rock en Seine reste un endroit qui propose une programmation agréable pour une fin de saison festivalière tranquille, histoire de décrocher en douceur.

Guillaume Monchaux (st)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content